Vingt ans après la taxe carbone dont la fraude a coûté 1,6 milliard d’euros à l’État français, les arnaques aux aides publiques se généralisent, alertent des enquêteurs et magistrats, prenant l’exemple du dispositif de MaPrimeRénov’, une aide de l’État pour financer les travaux de rénovation énergétique.
Ces dernières années, aidé par le développement des nouvelles technologies, le détournement d’aides publiques a atteint un « niveau industriel », observe Magali Caillat, sous-directrice de la lutte contre la criminalité financière à la Direction nationale de la police judiciaire (DNPJ). Tant et si bien qu’à chaque dispositif d’aide, une arnaque est détectée.
Des « petites » structures aux fraudes réalisées par de grands groupes, 100 milliards d’euros d’aides publiques sont distribuées chaque année sans que des gardes-fous soient mis en place par l’État pour éviter les fraudes.
L’administration française est appelée à sortir de sa « naïveté institutionnelle » pour cesser d’être exploitée par des organisations criminelles.
Démantèlement d’une vaste escroquerie évaluée à 27 millions d’euros
En décembre 2020, le parquet de Nanterre a ouvert une information judiciaire pour blanchiment en bande organisée, abus de biens sociaux et escroquerie « sur la base d’informations récoltées par la brigade de recherche et d’investigation financière » qui enquêtait sur « un réseau agissant au travers de sociétés œuvrant dans le secteur des économies d’énergie ».
Quelque 386 plaintes de particuliers ont été recueillies dans le cadre de ce dossier, a précisé le ministère public. « Une demi-douzaine de personnes ont été mises en examen depuis 2020, plusieurs placées sous contrôle judiciaire et la principale d’entre elles en détention provisoire pendant environ six mois, puis sous surveillance électronique pendant un an », a ajouté le parquet.
Les sociétés mises en cause, spécialisées dans l’installation de pompes à chaleur ou de chauffe-eaux, « démarchaient des particuliers via des commerciaux » en leur promettant d’importantes primes énergétiques et en les incitant à souscrire des crédits en ce sens, versés directement aux entreprises réalisant les travaux, a détaillé la gendarmerie.
« Un véritable piège se refermait alors », ajoute cette même source : le matériel était installé dès la signature du bon de commande, les aides promises n’étaient jamais versées et les recours s’avéraient impossibles car les commerciaux utilisaient une fausse identité et un numéro de téléphone éphémère.
Les personnes visées étaient principalement « des particuliers modestes, retraités ou en situation de précarité », a indiqué la gendarmerie, précisant que certaines d’entre elles se sont lourdement endettées, « les contraignant parfois à envisager de vendre leur logement ».
TotalEnergies, EDF, etc. sanctionnées pour fraudes aux aides à la rénovation
Cinq entreprises du secteur de l’énergie, dont TotalEnergies et la filiale d’EDF Dalkia, sont sanctionnées pour avoir fraudé des aides à la rénovation, a annoncé fin novembre la ministre déléguée à l’Énergie.
Dans une interview au Parisien, Olga Givernet, ministre déléguée démissionnaire chargée de l’Énergie de la France, a indiqué reprocher à ces entreprises « d’avoir détourné le dispositif des certificats d’économie d’énergie (CEE, ndlr), l’une des deux principales aides à la rénovation avec MaPrimeRénov ».
« Parmi elles, on compte deux poids lourds du secteur, TotalEnergies et Dalkia, une filiale à 100 % d’EDF, qui ont clairement fraudé ces aides. Ainsi que trois autres fournisseurs, Hellio Solutions, Sefe Energy et Teksial », a-t-elle ajouté.
« Toutes devront s’acquitter d’une amende de 2,4 millions d’euros au total », a affirmé Mme Givernet.
Les CEE sont un dispositif qui oblige les fournisseurs d’énergie à financer des actions d’économies d’énergie, telles que l’isolation des logements ou la récupération de chaleur industrielle, sous peine de pénalités.
Dans un rapport publié en septembre, la Cour des comptes avait appelé à réformer « en profondeur » ce dispositif qui donne, selon elle, lieu à des surévaluations des économies réalisées, et dont le coût est répercuté sur les ménages et entreprises.
« Parmi les comportements sanctionnés, nous avons identifié par exemple le fait de réaliser de fausses déclarations, en surestimant les déperditions énergétiques d’un logement avant travaux. Puis en exagérant, mais dans l’autre sens, le gain énergétique, une fois qu’ils ont été réalisés. Cela permet de gonfler artificiellement les sauts de classes énergétiques, et donc de récupérer un plus grand nombre de certificats », selon Mme Givernet.
Dalkia et TotalEnergie ont fermement démenti ces informations.
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Une « industrialisation » des fraudes aux aides publiques
L’office central de lutte contre la grande délinquance financière (OCRGDF) enquête depuis 2023 sur une importante fraude à MaPrimeRénov, mise en place pour encourager les travaux de rénovation énergétique dans les logements.
Il est soupçonné un vaste réseau de blanchiment, via des sociétés françaises de BTP qui n’effectuaient pas les travaux correspondants, et des têtes de pont basées en Israël. Un schéma classique « entre des commanditaires souvent basés à l’étranger et des chefs d’équipes en France », détaille Magali Caillat, de la police judiciaire.
Ces « organisations criminelles » assurent une « veille permanente » des lois pour « détecter quel nouveau dispositif d’aide l’État va lancer » et repérer les « écueils » législatifs, poursuit la policière.
Une fois le schéma frauduleux établi, « de véritables prestataires » se mettent au service de ces réseaux et leur proposent « clef en main la création de sociétés et de comptes bancaires éphémères », précise Tracfin, le service de renseignement financier du ministère de l’Économie.
Ces prestataires « font circuler d’importants flux financiers » en s’appuyant sur « des gérants de paille et des fausses factures » et ce, sur « des durées très courtes ».
Une « certaine naïveté institutionnelle »
Face au « recours massif aux faux documents », Tracfin espère pouvoir gagner en efficacité et développe notamment des outils d’intelligence artificielle. Outre l’ouverture d’enquêtes judiciaires, les signalements de Tracfin peuvent servir à alerter le gouvernement sur la nécessité de mettre en place des garde-fous.
Mais pourquoi l’État a-t-il attendu pour instaurer cette étape de contrôle ? Cette question taraude policiers et magistrats interrogés, partageant le sentiment que beaucoup de fraudes auraient pu être évitées.
L’État se comporte comme « une vache à lait », fustige une magistrate. Il se « laisse dépouiller », lâche un enquêteur. Une « certaine naïveté institutionnelle » persiste chez les concepteurs d’aides publiques, qui n’ont pas encore suffisamment « pris conscience de la forte partie » à qui ils ont affaire, déplore Magali Caillat, qui note cependant des « progrès » depuis les nombreuses fraudes aux aides distribuées lors de la crise Covid.
Au printemps, Thomas Cazenave, alors ministre délégué aux Comptes publics, reconnaissait lui-même que le versement des aides – qui représentent au total environ 100 milliards d’euros – était confié à des structures n’ayant « pas toujours la même culture de la lutte contre la fraude » que celle prévalant dans les services fiscaux notamment.
La promesse d’une intensification des contrôles face à 50 % d’anomalies
Plusieurs organismes étatiques ont récemment assuré intensifier leurs contrôles dans la distribution des aides publiques.
En 2023, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a notamment indiqué avoir contrôlé « près de 800 opérateurs » du secteur de la rénovation énergétique. « Plus de 50 % » d’entre eux « présentaient des anomalies, à des degrés de gravité divers » et « 25 % » ont fait l’objet de « suites répressives ».
Dans le secteur de la santé, l’Assurance maladie a annoncé « avoir stoppé » 466 millions d’euros de fraudes et déconventionné 21 centres de santé frauduleux en 2023. L’Assurance maladie a vu des escrocs arriver sur le marché des prothèses auditives, dont le remboursement avait été « fortement amélioré » dans le cadre du 100 % santé depuis 2021. Pour faire face, l’organisme explique mener des contrôles avant même qu’un centre ne soit conventionné, en repérant d’emblée les centres sans local ou les professionnels sans diplômes.
Alors que les fauteuils roulants doivent aussi être remboursés à 100 % d’ici fin 2024, le directeur de la lutte contre les fraudes à l’Assurance maladie, Fabien Badinier, assure que l’organisme a « tiré les enseignements des dérives » sur les prothèses auditives et prévoit d’ « effectuer les contrôles nécessaires en amont ».
Voilà une des maladies de l’administration française, alors que la France est sur-administrée, il faudrait encore plus de contrôles pour éviter l’exploitation des dispositifs étatiques distributifs par des fraudeurs professionnels.
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