ENTRETIEN – Le déficit commercial français a atteint 99,6 milliards d’euros en 2023, passant ainsi sous la barre symbolique des 100 milliards. Pour l’économiste et président du cabinet ACDEFI, Marc Touati, cette baisse n’a rien d’extraordinaire, puisque le déficit « atteint son deuxième record après celui de 2022 ». L’auteur du livre : « Reset II, Bienvenue dans le monde d’après » considère également que les exportations françaises souffrent du « manque de modernisation de l’économie hexagonale ».
Epoch Times – Selon des données des douanes publiées la semaine dernière, le déficit commercial de la France est passé sous la barre des 100 milliards d’euros en 2023 et a atteint les 99,6 milliards. Il était de 163 milliards en 2022. Comment expliquez-vous cette baisse spectaculaire ?
Marc Touati – Tout d’abord, pour être tout à fait exact et toujours selon les données des douanes, le cumul des déficits commerciaux mensuels en données corrigées des variations saisonnières (CVS) a atteint 100,95 milliards d’euros en 2023, contre 162,04 milliards d’euros en 2022. Les 99,6 milliards annoncés un peu partout sont des données brutes (c’est-à-dire non CVS) et donc qui ne reflètent pas complètement la réalité économique.
Ensuite, il n’y a rien de spectaculaire dans la baisse annoncée. Avec un niveau de 100,95 milliards d’euros, le déficit commercial français atteint son deuxième record, après celui de 2022. À titre de comparaison, notre déficit commercial était de 85,9 milliards d’euros en 2021 et de 57,7 milliards d’euros en 2019.
De plus, le recul observé en 2023 est principalement dû à la baisse des cours des matières premières, qui a permis de réduire fortement nos importations. Ces dernières ont ainsi reculé de 6,7 % en 2023, alors que nos exportations n’ont augmenté que de 1,7 %. Il n’y a donc pas de quoi pavoiser.
Malgré cette amélioration, la France est le seul pays de la zone euro en déficit commercial. Pourquoi l’hexagone fait-il partie des « mauvais élèves » ? Certains pointent du doigt le poids de la bureaucratie…
Les raisons de nos contre-performances en matière de balance commerciale sont structurelles et multiples. À côté du poids de la bureaucratie, il y a surtout des choix stratégiques défectueux menés depuis des décennies et notamment liées à la faiblesse des exportations françaises dans les biens d’équipement et vers les pays en forte croissance. Nos principaux clients sont effectivement en Europe et dans la zone euro, là où la croissance est la plus faible.
En outre, les exportations françaises pâtissent également du manque de modernisation de l’économie hexagonale. Ainsi, la France a continué d’accroître la pression fiscale et réglementaire, ainsi que les dépenses publiques, sans moderniser significativement son appareil productif et notamment son marché du travail.
En d’autres termes, si les entreprises françaises ont délocalisé massivement, ce n’est pas parce qu’elles n’aimaient plus leur pays, mais simplement par nécessité de rester en vie dans un monde de plus en plus concurrentiel. Voilà pourquoi, si les entreprises hexagonales réussissent à vendre à l’étranger, elles le font de plus en plus en produisant directement depuis l’étranger. Ce qui ne transparaît évidemment pas dans les chiffres des exportations françaises.
Conséquences de toutes ses erreurs, notre déficit commercial est devenu structurel. Depuis 2000, le cumul des soldes commerciaux annuel de la France laisse apparaître un déficit de 1178 milliards d’euros. Sur la même période, l’Allemagne dégage un excédent commercial cumulé de 4145 milliards d’euros. À l’évidence, ça calme !
Le secteur de l’automobile souffre de l’importation massive de véhicules hybrides et électriques (11 milliards d’euros l’année dernière). Pourquoi la voiture électrique creuse-t-elle le déficit commercial ?
Encore un exemple des mauvais choix stratégiques français. Dès les années 1990, les constructeurs automobiles français ont malheureusement refusé de s’engager dans le virage des voitures hybrides et électriques. Une erreur qu’ils ont continué de faire jusqu’à récemment. Mais il était évidemment un peu tard.
Aujourd’hui que les voitures électriques et hybrides commencent à dominer le marché, nous payons le lourd tribut de ces mauvais choix. Et ce, d’autant que les principaux composants de ce type de voitures sont extraits et/ou produits à l’étranger.
Bruno le Maire a récemment déclaré que la France a dépensé 20 milliards d’euros l’an dernier pour encourager les PME-ETI à exporter leurs produits. Pour Bercy, il s’agit d’augmenter le nombre d’entreprises exportatrices et de réduire le déficit commercial français. Cette politique a-t-elle été efficace ?
Cela va évidemment dans le bon sens, mais reste hautement insuffisant. Pour continuer de produire en France et donc d’exporter depuis la France, les entreprises nationales ont avant tout besoin d’une économie française modernisée, notamment en termes de pressions fiscales et réglementaires. En restant le pays où le poids des prélèvements obligatoires est le plus élevé du monde et où le droit du travail est l’un des plus complexes et rigides, la France incite nos entreprises à produire à l’étranger et donc à exporter depuis l’étranger.
La politique de réindustrialisation mise en œuvre par Emmanuel Macron depuis 2017 peut-elle permettre à moyen et à long terme d’améliorer notre balance commerciale ?
Là aussi, n’oublions pas que la désindustrialisation est un choix stratégique des dirigeants français initiée dans les années 1990 et poursuivie jusqu’il y a encore peu de temps. Prôner la réindustrialisation est évidemment une bonne idée, mais cela ne se fera pas en quelques mois, ni quelques années. Et ce, notamment parce que la main-d’œuvre industrielle a été sacrifiée par de mauvais choix stratégiques, notamment au sein de l’Éducation nationale.
Si bien que de nombreuses entreprises industrielles souffrent de plus en plus de pénuries structurelles de main-d’œuvre. Et, ne nous voilons pas la face : nous n’allons pas former des soudeurs industriels, des ingénieurs, des contremaitres industriels… en claquant des doigts.
À force d’avoir dévalorisé les emplois industriels, nous en payons le prix durablement et il sera compliqué d’inverser la tendance. Là aussi, le maintien d’une pression fiscale exorbitante ne facilitera pas les choses.
Autrement dit, nos dirigeants politiques sont très bons pour le marketing et les effets d’annonce, mais bien moins efficaces pour les mesures concrètes. Il faut donc être réalistes : les déficits commerciaux français vont rester encore la norme pendant de nombreuses années.
Vous pouvez également retrouver les chroniques vidéos de Marc Touati sur sa chaîne YouTube, qui compte plus de 117.800 abonnés
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