La méditation est une pratique en plein essor, à laquelle sont prêtés de nombreux bénéfices sur la santé, tant physique que mentale. De plus en plus d’études suggèrent qu’elle pourrait améliorer le bien-être et la santé mentale dans le vieillissement, et notamment réduire les risques de développer une maladie neurodégénérative : un atout qui pourrait s’avérer crucial alors que l’espérance de vie augmente, ce qui va de pair avec un vieillissement de la population.
Aujourd’hui en France, sur 67 millions d’habitants, 19,6 % ont plus de 65 ans et ce chiffre est en constante hausse. L’espérance de vie est de 78,4 ans pour les hommes et de 84,8 ans pour les femmes ; en 2060, elle devrait être respectivement de 86 et 91,1 ans – soit un gain de plus de 6 ans attendu. Or la santé des seniors pose des questions spécifiques. En parallèle à l’accroissement de la durée de vie, un nombre toujours plus important de personnes est affecté par la maladie d’Alzheimer ou d’autres maladies neurodégénératives conduisant à une démence. Près de 15 % des adultes de plus de 60 ans souffrent ainsi de pathologies associées au vieillissement.
La préservation de la bonne santé mentale de ce public est donc un véritable enjeu et toute stratégie préventive est à considérer. Or, les effets réels de la méditation n’ont jamais vraiment été investigués scientifiquement dans cette optique.
C’est l’objectif de notre dernière étude publiée, menée dans le cadre du projet Age-Well (programme Silver Santé Study) – une première, dont nous présentons ici les résultats et les perspectives.
Pourquoi la méditation
Toute une série de facteurs de risque pour les maladies neurodégénératives a été identifiée : tabagisme, pollution, mauvaise alimentation, inactivité physique, etc. Les techniques pour les contrer sont nombreuses : pratiquer une activité physique et un entraînement cognitif, avoir un bon régime alimentaire (méditerranéen de préférence), suivre un programme d’éducation à la santé cardiovasculaire… Plusieurs études évaluent ces pratiques.
Mais d’autres facteurs de risque, dont certains sont amplifiés lors du vieillissement, restent largement sous-estimés par la recherche : dépression, stress, anxiété, problèmes de sommeil (qui touchent une personne de plus 60 ans sur deux), sentiment de solitude et d’exclusion sociale, etc. Et il n’existe pas de programmes d’intervention préventive scientifiquement étayés ciblant directement ces facteurs de risque psycho-(socio-)affectifs.
C’est cette carence que nous avons souhaité combler en étudiant les effets de la méditation dans le cadre du projet européen H2020 Silver Santé Study.
La pratique de la méditation se distingue justement par le fait de cibler directement ces facteurs psycho-(socio-)affectifs, en plus d’être un excellent entraînement cognitif. Elle s’est montrée par exemple efficace pour réduire le stress, la dépression, l’anxiété… Ce sujet d’étude étant récent, il n’y a pas encore de données solides, dans le cadre d’essais contrôles randomisés, sur les éventuels impacts de la méditation sur la cognition et le cerveau dans le vieillissement.
Les techniques de méditation les plus pratiquées et utilisées en recherche sont des techniques séculaires de pleine conscience (Mindfulness en anglais). Il s’agit d’une forme d’entraînement mental, incarnée dans une posture corporelle stable et détendue. Elle cherche à cultiver une nouvelle manière de se relier aux émotions, pensées et sensations, qui soit plus ouverte, accueillante et bienveillante. Il ne s’agit donc pas seulement de relaxation ni de se forcer « à ne penser à rien ». L’aspect religieux et les croyances associées au Bouddhisme sont absents.
Il existe désormais différents programmes développés sur huit semaines, standardisés et accessibles à tous.
Ils aident, avec des exercices simples, (observation, ressenti de la respiration…), à entrer en contact avec son mental afin de prendre conscience des réactions affectives spontanées ou des perceptions erronées qui peuvent amplifier le stress ou les ruminations. Ce qui permet d’être plus présent dans ce que l’on fait, d’être plus consciemment présent sur ce que l’on vit, de moins s’éparpiller.
Ces programmes sont étudiés en détail depuis bientôt 40 ans et utilisés au quotidien dans des centaines d’hôpitaux à travers le monde. Des méta-analyses synthétisant ces résultats ont démontré un effet positif sur la cognition, la régulation du stress et des conditions cliniques comme la dépression ou l’anxiété.
Ce gage de sérieux, qui donne la garantie d’une pratique rigoureuse (MBSR), a permis sa diffusion.
Un programme de recherche sans équivalent
Dans le cadre du projet de recherche européen H2020, impliquant onze équipes de recherche dans six pays, nous avons mis en place un programme de méditation de 18 mois. Notre but : en étudier l’impact sur de multiples facteurs associés au vieillissement à la maladie d’Alzheimer via des essais cliniques (ici, Age-Well, dont nous avons récemment publié les premiers résultats dans la revue Jama Neurology). Une infrastructure adaptée, où ont été mobilisés les outils d’imagerie nécessaires, a été mise en place au centre Cycéron.
Notre protocole a plusieurs points forts, rarement réunis, à savoir une large cohorte, un long temps d’étude et un éventail très varié de mesures :
- Nous avons suivi un panel de 137 participants de plus de 65 ans, distribués en trois groupes : un recevant un entraînement à la méditation (45 personnes), un suivant une activité cognitive (ici, l’apprentissage d’une langue étrangère ; 46 personnes) et un groupe contrôle (pas d’activité spécifique ; 46 personnes).
- Dans ce genre d’étude, les temps d’observation sont habituellement plus courts que dans notre étude (2 à 6 mois) et le taux d’attrition (c’est-à-dire la proportion de participants qui quitte l’étude) est d’environ 15 %. Ici, en 18 mois, et malgré les contraintes (venir toutes les semaines pour une session de 2 heures avec un enseignant + une pratique quotidienne individuelle, assistée par une tablette, de 20 min ou plus), nous n’avons pas eu d’abandon. Ce qui laissait supposer une forte implication des participants et un ressenti positif.
- Notre originalité reposait également sur la diversité des mesures menées, avant et après l’essai : recherche de lésions (présence de dépôts amyloïdes liés à Alzheimer, etc.), analyse de la connectivité fonctionnelle au niveau cérébrale, mesures du volume des structures cérébrales, marqueurs sanguins (présence de marqueurs du stress, etc.), du sommeil, échelle de bien-être, etc. Ce qui nous a permis d’évaluer précisément les potentiels effets de la méditation sur un large spectre de mesures d’intérêt complémentaires.
Des résultats mitigés
Des travaux antérieurs avaient permis de déterminer les régions du cerveau à suivre principalement.
Il s’agissait du cortex cingulaire antérieur (qui intègre des processus affectifs – ressenti émotionnel, rythme cardiaque – et des fonctions cognitives, telles que l’anticipation de récompense, la prise de décision ou le contrôle cognitif, etc.) et de l’insula ou cortex insulaire (impliquée dans les émotions, l’intéroception, la dépendance, la conscience…).
Nous pensions que leur volume et leur fonctionnement étaient susceptibles d’avoir été influencés par la méditation, comme cela s’observe chez des sujets experts de longue date.
En réalité, nous n’avons pas mesuré de modification significative de volume, tant pour le cortex cingulaire antérieur que pour l’insula. Il n’y a donc pas eu d’effet détectable sur la structure du cerveau dans ces deux régions. En mesurant le débit sanguin, ou la quantité du sang qui arrive dans ces régions cérébrales par unité de temps (reflet du fonctionnement), nous n’avons pas vu non plus d’effet significatif de la méditation… Une tendance positive était toutefois observée, indiquant que, possiblement, un suivi plus long ou un nombre de participants plus important aurait pu permettre d’atteindre le seuil de significativité.
Par contre, concernant l’impact de la méditation sur le comportement, les effets sont significatifs : les capacités de régulation des émotions et de l’attention rapportées par les participants étaient mieux préservées dans le groupe méditation par rapport aux deux autres.
Un effet positif était également retrouvé sur le score global regroupant les mesures des capacités socio-émotionnelles, de connaissance de soi et de régulation de l’attention – des mesures que l’on sait corrélées au bien-être des personnes âgées. Ce bénéfice ressort non seulement de nos questionnaires mais également d’une étude qualitative menée sur la base d’entretiens à la fin de l’étude.
Des travaux qui ne font que commencer
Il reste de nombreuses données à analyser pour comprendre les effets de la méditation, non seulement sur le volume et le fonctionnement du reste du cerveau, comme sur toutes les autres mesures effectuées (sommeil, biomarqueurs sanguins, etc.).
De plus, nous avons eu la chance de pouvoir effectuer un suivi complémentaire trois ans après la fin de l’intervention : ces données supplémentaires vont nous permettre d’évaluer les effets de la méditation à plus long terme.
Enfin, nous sommes en train de développer une application pour téléphones ou tablettes proposant le même programme de méditation. Proposer ouvertement cette application permettra de toucher plus de personnes encore sera une nouvelle opportunité de recueillir des données complémentaires.
Il s’agit, dans tous les cas, d’une étude exploratoire d’un genre nouveau. Et nos résultats, quoi qu’encore préliminaires, sont porteurs de promesses. Et les données en cours de collecte vont alimenter beaucoup d’autres travaux : ce n’est qu’un début.
Gaël Chételat, Directrice de recherche INSERM, Inserm et Antoine Lutz, Directeur de Recherche, co-responsable de l’équipe EDUWELL : Neurosciences de l’Expérience Subjective et Entraînement Mental, INSERM U1028 – CNRS UMR5292, Inserm
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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