Les Européens ont mis en garde lundi contre toute offensive turque dans le nord de la Syrie, condamnant aussi en creux du retrait militaire américain de cette zone, car ils craignent que cela ne contribue à la résurgence du groupe Etat islamique (EI).
« Nous appelons la Turquie à éviter une initiative qui irait à l’encontre des intérêts de la Coalition globale contre Daech (acronyme arabe de l’EI) dont elle fait partie », a déclaré la porte-parole du ministère français des Affaires étrangères.
L’objectif numéro un demeure une « défaite durable » de l’EI, a renchéri la diplomatie britannique, le groupe jihadiste restant actif dans la clandestinité, six mois après sa défaite territoriale dans son ultime enclave de Baghouz, dans l’est de la Syrie.
« Nous savons depuis plusieurs mois maintenant que Daech a réorganisé son mode d’action », a relevé la ministre française des Armées Florence Parly, redoutant qu’une telle manoeuvre ne conduise à le « renforcer plutôt qu’à l’éradiquer ».
Ce groupe demeure une « menace importante pour notre sécurité nationale », considère le Quai d’Orsay. « En Syrie, l’organisation dispose encore de ressources et de capacités d’action importantes », souligne sa porte-parole.
Les troupes américaines déployées dans le nord de la Syrie ont commencé lundi leur retrait de secteurs proches de la frontière turque, ouvrant la voie à une offensive militaire d’Ankara contre les forces kurdes pourtant alliées de Washington dans la lutte contre les jihadistes.
La Turquie lorgne depuis plusieurs mois les positions situées à l’est de l’Euphrate de la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG).
Un groupe en pointe dans la lutte contre les jihadistes de l’EI, longtemps soutenu et protégé par Washington, mais bête noire d’Ankara, qui le considère comme une « organisation terroriste » en raison de ses liens étroits avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), à l’origine d’une sanglante guérilla sur le sol turc depuis 1984.
« La Turquie, en tant que voisine de la Syrie, est directement touchée par les violences qui elles-mêmes engendrent des flux de migrations », a concédé une porte-parole du gouvernement allemand, Ulrike Demmer, à Berlin. « En même temps, la victoire contre l’EI des Kurdes de Syrie avec l’appui de la coalition anti-EI ne doit pas être fragilisée », a-t-elle également insisté.
Les Kurdes syriens ont averti qu’une opération turque annulerait « des années de combats fructueux » contre les jihadistes. Les chefs de l’EI encore en vie pourraient sortir de « leur cachette », notamment dans le désert, selon eux.
Une offensive menacerait aussi les prisons et les camps gérés par les Kurdes qui abritent des milliers de jihadistes et leurs familles, affirment les Forces démocratiques syriennes (FDS, coalition en majorité kurde).
Les Européens s’inquiètent d’un risque de dispersion des combattants jihadistes étrangers et du retour potentiel d’une partie d’entre eux dans leur pays d’origine.
Les camps dans lesquels ils sont détenus ne sont certes pas dans la région où les Turcs sont susceptibles d’installer une zone tampon. Celui d’Aïn Issa, dans le nord de la Syrie, n’en est toutefois éloigné que de quelques dizaines de kilomètres.
Mais sous le feu turc, les Kurdes, qui auront « autre chose en tête que de garder les jihadistes et leurs dirigeants politiques », « vont forcément essayer de les monnayer », prévoit Michel Duclos, ancien ambassadeur de France en Syrie et conseiller spécial à l’Institut Montaigne. « Comment ? Avec qui ? Cela va être un grand problème pour nous », souligne-t-il.
La Maison Blanche préconise pour sa part de faire passer les jihadistes européens, dont les capitales refusent le rapatriement, sous la « responsabilité » des Turcs. Une option rejetée par Paris qui plaide pour leur maintien dans des lieux de « détention sûre », sous la houlette des Kurdes.
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