Le Parti communiste chinois (PCC) a lancé ce mois‑ci les exercices militaires conjoints les plus importants de son histoire. Ceci en représailles à la visite de la présidente de la Chambre des représentants des États‑Unis, Nancy Pelosi, à Taïwan. Les spécialistes sont toutefois divisés sur la question de savoir comment interpréter cette démonstration de force. Simple provocation à des fins de propagande ou escalade dangereuse des hostilités ?
Concrètement, ces exercices conjoints ont entraîné un blocus de Taïwan. Ils ont entravé les déplacements internationaux et les voies de navigation. Au moins 11 missiles hypersoniques ont été lancés, dont certains ont survolé Taïwan et atterri dans les eaux de la zone économique exclusive du Japon.
La Maison Blanche a déclaré que la Chine avait positionné ses forces armées en vue d’une action future dans la région, mais n’a pas précisé quelle pourrait être cette action.
Les experts en matière de défense et de sécurité ne s’accordent pas sur la finalité de ces exercices. Certains estiment que ce comportement belliqueux a des visées de propagande destinée à obtenir un soutien national à l’approche du XXe congrès du PCC. D’autres pensent que le régime est en passe d’envahir Taïwan.
Le PCC « joue les gros bras »
Pour Greg Copley, président de l’International Strategic Studies Association (ISSA), les démonstrations de force du PCC entourant la visite de Nancy Pelosi à Taïwan sont probablement liées à la politique intérieure de la Chine plus qu’à une réelle volonté de conquérir Taïwan.
Selon lui, l’ampleur des exercices indique une planification de plusieurs mois.
« Ils y pensent depuis un certain temps », explique M. Copley dans une interview accordée à NTD, le média partenaire d’Epoch Times.
« Ils auraient probablement trouvé une autre excuse pour organiser ces exercices de simulation avant le XXe Congrès du Parti à Pékin en novembre. »
Le prochain Congrès du PCC est un événement des plus importants dans la haute fonction chinoise. Il donnera lieu à la prochaine élection du chef du Parti, et Xi Jinping brigue un troisième mandat, ce qui ne s’est encore jamais vu.
Selon M. Copley, Xi Jinping tente probablement d’impressionner ses adversaires par son attitude militaire agressive. S’il est réélu en novembre, il ne manquera pas de s’enhardir et de faire des démonstrations de patriotisme exacerbé.
« Il s’agit de jouer les gros bras à l’approche du XXe Congrès du Parti pour éviter d’être éclipsé par un adversaire intérieur. »
« Bien que Pékin pense pouvoir resserrer l’étau autour de Taïwan, cela reste une option très difficile à envisager pour le Parti communiste. »
M. Copley précise que les hauts gradés de l’armée chinoise (l’Armée populaire de libération, APL), ne cautionnent en aucun cas une invasion à grande échelle de Taïwan, et ce, quelles que soient les circonstances.
Selon lui, les autorités du PCC se sont davantage « enfoncées dans une impasse » en recourant à des menaces qui n’ont pas réussi à dissuader la visite de Nancy Pelosi. Elles n’ont laissé au régime d’autre choix que de parader au moyen d’exercices, pour sauver la face.
« Ils avaient tout le temps de préparer une réponse mûrement réfléchie [à cette visite], mais ils ne l’ont pas fait. Au lieu de cela, ils sont revenus à leurs vieilles méthodes de menaces, bravades, intimidations et à la vieille diplomatie du ‘loup guerrier’. »
La diplomatie agressive du PCC s’est manifestée de manière éclatante avant le voyage de Pelosi. À tous les étages, de Xi Jinping jusqu’aux plus infimes fonctionnaires, la rhétorique belliqueuse s’est renforcée.
Xi Jinping lui‑même s’est permis de lancer à Joe Biden qu’il « jouait avec le feu » sur la question de Taïwan. Un propagandiste suivant la ligne des médias d’État a exhorté l’APL d’abattre l’avion de Pelosi s’il osait entrer dans l’espace aérien de Taïwan accompagné d’une escorte militaire.
Pour M. Copley, l’escalade de cette rhétorique et les exercices ont démontré que le régime n’est pas prêt à déclencher une « guerre chaude » contre Taïwan. La Chine peaufine davantage ses techniques d’intimidation sans guerre.
« Une des choses que ces exercices de simulation nous ont montrée, selon moi, c’est qu’ils n’ont pas préparé une invasion physique imminente de Taïwan, ils ont davantage examiné des méthodes sans invasion physique. »
« En d’autres termes, une coupure de tous les échanges commerciaux à destination et en provenance de Taïwan en étant en mesure de bloquer les liaisons maritimes, aériennes et autres. »
Une escalade progressive
D’autres pensent que les efforts du PCC pour démontrer sa capacité de blocus sont l’indice explicite d’une escalade du conflit avec Taïwan.
S’exprimant au plus fort des exercices chinois, John Culver, chercheur principal du think tank Atlantic Council, a déclaré qu’avec tous ces bombardements autour de l’île et ce blocus, les intentions du régime étaient très claires.
« Si ce que nous voyons est une répétition du plan de guerre standard, qui commence par une frappe par la puissance de feu conjointe majoritairement effectuée par des missiles balistiques et de croisière suivie ensuite d’exercices navals et aériens, bref si ce qu’ils répètent ou démontrent ici est leur capacité d’utiliser des frappes par la puissance de feu conjointes pour un blocus, l’étape suivante devrait consister en manœuvres aériennes et navales », a indiqué M. Culver lors d’un entretien avec le Center for Strategic and International Studies (CSIS), un think tank basé à Washington.
Selon les médias d’État chinois, le PCC a précisément fait une répétition en clôturant ses exercices par des « entraînements conjoints de blocus, d’assauts en mer et de combats terrestres et aériens ». Ces exercices ont ensuite été suivis d’une annonce selon laquelle les patrouilles taïwanaises de la zone d’identification de défense aérienne (ZIDA) de l’île allaient « rejoindre la norme ». Ensuite ont eu lieu des incursions sur la ligne médiane du détroit de Taïwan, soit à 65-90 km de Taïwan, l’étendue d’eau qui sépare l’île de la Chine continentale faisant 130 km de large en son point le plus étroit et 180 km de large là où elle est la plus ouverte.
Alors que le régime lance des incursions dans la ZIDA de Taïwan depuis plusieurs années, la présence nouvellement établie et apparemment permanente du PCC côté Est de la ligne médiane ajoute beaucoup de poids aux revendications du régime selon lesquelles toute cette zone lui revient.
Et le PCC semble déterminé à conserver ces acquis.
C’est à cette fin, selon M. Culver que le PCC conserve la capacité d’infliger des dommages dévastateurs à Taïwan, tout en dissuadant les États‑Unis d’intervenir.
« Ils disposent d’une énorme capacité à couper Taïwan du monde extérieur. Ils peuvent brouiller ses informations, faire s’effondrer son réseau électrique, frapper toutes les cibles militaires importantes de l’île, ainsi que toutes les bases américaines de la région, et attaquer les navires de guerre américains qui pénètrent au‑delà, à portée des frappes de précision chinoises à longue portée. »
« Il s’agit d’une armée très compétente, très moderne et bien équipée qui s’est préparée à cette mission, la mission Taïwan, pendant toutes ces années depuis le milieu des années 1990, lorsque la Chine avait peu de moyens d’utiliser la force militaire pour contraindre à l’unification. »
Néanmoins, une telle attaque ne serait pas sans conséquences, et ce, à l’échelle mondiale. Elle pourrait notamment résulter sur un effondrement de l’économie mondial. Une perspective qui finalement décourage la Chine d’envahir Taïwan.
En tant que tels, les événements actuels doivent être considérés comme une escalade progressive et non comme une véritable entrée dans le conflit.
« Je continue à croire que pour Xi Jinping et le Comité permanent du Politburo du Parti communiste, Taïwan est une crise à éviter, et non une opportunité à saisir », estime M. Culver, en référence à l’organe suprême du PCC composé uniquement de 7 membres parmi les plus hauts dirigeants.
La « nouvelle norme »
Bien que le PCC ne cherche pas totalement la guerre avec Taïwan, selon M. Culver, son encerclement de Taïwan et son expansion au‑delà de la ligne médiane font que le statu quo autour desquelles s’articulaient les relations sino‑américaines a définitivement disparu.
« Je pense que c’est la nouvelle norme », estime M. Culver. « Les Chinois veulent montrer, comme ils l’ont fait lors des précédentes crises du détroit de Taïwan, qu’une ligne a été franchie par la visite de la porte‑parole. »
« Nous pouvons débattre quant à la légitimité de cette querelle de la part des Chinois. Mais je pense que nous sommes dans une nouvelle ère. »
Les États‑Unis et la Chine ont mené leur diplomatie au cours des 50 dernières années sur l’assurance mutuelle qu’aucune des deux parties ne tenterait de modifier unilatéralement le statu quo concernant Taïwan.
Les États‑Unis maintiennent une « politique d’une seule Chine » qui, entre autres choses, reconnaît officiellement (mais n’approuve pas) le « principe d’une seule Chine » du PCC. Selon le PCC, le régime a la souveraineté sur Taïwan.
À ce titre, les États‑Unis n’entretiennent que des liens officieux avec Taïwan. Ils sont toutefois tenus, en vertu du Taiwan Relations Act (TRA), de fournir à l’île les armes nécessaires à son autodéfense, et les deux pays entretiennent de forts liens commerciaux.
La question de savoir si les États‑Unis interviendront militairement au nom de Taïwan en cas d’invasion chinoise est sujette à débat. Les États‑Unis maintiennent une doctrine dite d’ambiguïté stratégique dans laquelle ils ne confirment ni n’infirment leur position sur la question.
Selon Mark Esper, l’ancien secrétaire à la Défense, l’interprétation des termes utilisés pour entourer le statu quo est fixée depuis longtemps. Les termes indiquent clairement que les États‑Unis sont prêts à entrer en guerre si le PCC commence à sortir ses griffes.
« Depuis 50 ans, nos positions sur cette question ont été claires au vu de la situation : à savoir qu’il s’agit d’une question qui nous ‘préoccupe sérieusement’, ce qui en langage diplomatique signifie le plus souvent que nous sommes prêts à entrer en guerre à ce sujet », a expliqué M. Esper lors d’une conférence à l’Atlantic Council en juillet.
« C’est la Chine qui sape la politique d’une seule Chine telle que toutes les parties l’entendent depuis maintenant 50 ans, et c’est la Chine qui change le statu quo par la force. C’est d’ailleurs ça le fond du problème. »
La Maison Blanche s’est ralliée à cette opinion.
« Les actions provocatrices de Pékin constituent une escalade nette dans sa tentative de longue date de changer le statu quo », a déclaré le coordinateur du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche, John Kirby, après la visite de Pelosi.
« Nous n’allons pas accepter de nouveau statu quo. Et il ne s’agit pas seulement des États‑Unis, mais aussi du monde entier. »
À ce titre, l’administration Biden et le PCC sont à la croisée des chemins. Chaque partie pense que l’autre provoque unilatéralement l’ébranlement du statu quo, et aucune ne semble disposée à aller vers le compromis.
Selon John Culver : « Ça ne s’arrêtera pas du jour au lendemain, comme cela a déjà été le cas dans les crises précédentes de part et d’autre du détroit, [il s’agissait de crises] liées à une élection à Taïwan ou à la visite imminente d’un chef américain. Donc, je pense que nous sommes dans une sorte d’impasse ici. »
« Je ne sais pas comment cela se termine. Nous voyons comment cela commence. »
Une nouvelle guerre froide
Tout cela a servi à transformer la question de Taïwan en une sorte de champ de bataille central dans ce que certains décrivent comme une nouvelle guerre froide, entre la Chine et les États‑Unis.
Certains experts, loin d’exprimer la prudence de John Culver et Greg Copley, pensent que le PCC cherche à franchir une nouvelle étape dans cette guerre.
« Quand (pas ‘si’ mais ‘quand’) la Chine décidera à garrotter les Taïwanais ou à s’emparer de leur île, cela aura de profondes implications pour les Américains », annonce Frank Gaffney, directeur exécutif du Center for Security Policy, en entrevue avec NTD.
« Nous dépendons de manière critique, entre autres choses, d’une chaîne d’approvisionnement en puces de pointe en silicium, dont la grande majorité est fabriquée sur l’île de Taïwan. »
Selon M. Gaffney, le PIB des États‑Unis pourrait chuter de 5 à 10% s’ils perdaient l’accès à ces puces semi‑conductrices, indispensables dans toutes les technologies, des camionnettes modernes aux missiles hypersoniques.
La Taïwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), produit plus de 52% de tous les semi‑conducteurs au monde et plus de 90% des semi‑conducteurs de pointe.
M. Gaffney pense qu’une attaque de Taïwan par le PCC marquerait une volonté de démanteler définitivement l’influence des États‑Unis dans l’Indopacifique. Plus que cela, dit‑il, une action du PCC contre Taïwan marquerait probablement le début d’une guerre contre les États‑Unis.
Selon Frank Gaffney : « Taïwan n’est pas la cible principale. Ce sont les États‑Unis. »
« C’est un tremplin, peut‑être, vers une guerre cinétique avec les États‑Unis que les Chinois préparent, depuis des décennies. »
Selon Frank Gaffney, la posture actuelle sur Taïwan est le fruit du travail du PCC visant à saper l’hégémonie américaine. Cela remonte à deux décennies, à l’établissement d’une doctrine militaire connue sous le nom de « guerre hors limite » ou de « guerre hybride ».
Élaborée par deux colonels de l’APL en 1999, la guerre hors limite est un concept stratégique selon lequel une nation peut vaincre un ennemi technologiquement supérieur en recourant à des moyens non militaires, des moyens psychologiques, politiques, juridiques, etc.
Au vu de tels principes, on peut considérer que le PCC est déjà en guerre contre les États‑Unis. Il n’a pas besoin de s’engager dans des opérations cinétiques meurtrières, puisque la majorité de la guerre est menée par des moyens non militaires.
« La guerre hybride se caractérise par l’utilisation de méthodes non militaires pour atteindre des objectifs politiques ou militaires », explique Casey Fleming, PDG de la société de conseil stratégique BlackOps Partners, par courriel à Epoch Times.
Dans ce cadre, écrit‑il, il faut comprendre que le PCC utilise ses démonstrations de force contre Taïwan pour atteindre les mêmes objectifs que ceux qui autrement seraient obtenus par un bain de sang.
« L’encerclement de l’île de Taïwan est une tactique de guerre hybride du PCC qui consiste à affaiblir la volonté et la détermination de l’adversaire par l’intimidation psychologique », selon M. Fleming.
« Le voyage de Pelosi à Taïwan a donné un prétexte au PCC pour faire passer son agression contre le monde libre à un niveau supérieur. »
À cette fin, M. Fleming estime que le seul plan d’action réalisable à adopter par les États‑Unis pour empêcher soit une effusion de sang, soit un changement permanent du statu quo vis‑à‑vis de Taïwan, est d’engager son immense réseau d’alliés et de partenaires pour désamorcer les tensions.
Pour ce faire, écrit‑il, les États-Unis doivent s’assurer que le monde comprend bien les enjeux de la lutte actuelle autours de Taïwan. Il ne s’agit pas simplement d’opposer deux pays, la Chine contre les États‑Unis, mais il s’agit de l’avenir des sociétés démocratiques face aux sociétés autocratiques.
Selon M. Fleming, le PCC considère les valeurs de l’Occident comme une faiblesse à exploiter. Le régime met également à profit le bénéfice du doute que lui accorde la communauté internationale.
« Les États‑Unis peuvent désamorcer les tensions avec le PCC en battant continuellement le tambour et en alertant le monde libre sur la longue histoire du PCC en matière d’atrocités des droits de l’homme, de surveillance et de contrôle extrêmes, et sur ses intentions absolues impitoyables de domination mondiale. »
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