Michel Barnier a réuni vendredi son gouvernement pour s’accorder sur la feuille de route qu’il présentera mardi à l’Assemblée nationale, puis a tenté de rassurer, dans une interview à un journal régional, sur les options fiscales qu’il retiendra dans le budget 2025 afin d’endiguer le dérapage des finances publiques.
Le séminaire du gouvernement a duré près de quatre heures à l’hôtel Matignon. L’objectif était de préparer la déclaration de politique générale que le Premier ministre prononcera mardi prochain et aussi de s’efforcer d’asseoir son autorité déjà mise à mal par certains ministres.
« Un effort juste, équilibré et concerté »
Mais l’échéance la plus délicate se profilera la semaine suivante avec la présentation le 9 octobre du prochain budget, alors que le gouvernement prévoit désormais un déficit dépassant 6% du PIB cette année. « La situation de la France est très grave sur le plan budgétaire et financier », elle est « beaucoup plus dégradée que cela n’a été dit », a-t-il observé dans une interview au Journal de Saône-et-Loire, à la veille d’un déplacement à Mâcon.
Avant d’ajouter : « Sur la question de la fiscalité, j’ai dit que je protégerais de toute augmentation fiscale ceux qui sont sur le terrain, qui travaillent, qui produisent ». Puis d’envisager de « faire appel, de manière exceptionnelle et temporaire, à ceux qui peuvent contribuer » à l’effort de redressement des finances publiques.
« J’ai dit en arrivant sur le perron de Matignon que tout le monde allait devoir se retrousser les manches, parce que la situation de cette dette de 3100 milliards, un déficit aujourd’hui de plus de 6 %, est une situation qui concerne tout le monde, chaque famille. Il faut donc que l’effort soit juste, équilibré et concerté », ajoute M. Barnier.
Interrogé sur les collectivités locales et des déclarations à leur sujet de Bruno Le Maire, le Premier ministre a répondu : « J’ai autre chose à faire que des polémiques avec tel ou tel. Je trouve une situation très dégradée, beaucoup plus dégradée que cela a été dit, et je ne vais pas mettre en accusation les collectivités locales qui jouent leur rôle sur le terrain pour l’unité sociale et territoriale de la France ».
« Ce qui est clair, c’est qu’il y a une nécessité de partager l’effort de maîtrise de la dépense et que nous allons en parler avec les collectivités », ajoute M. Barnier qui évoque par ailleurs « de nouveaux espaces de décentralisation vers les départements, les régions », « de déconcentration vers les préfets avec beaucoup de simplifications et beaucoup de capacité d’expérimenter et même de déroger ».
« Responsables avant d’être populaires »
À Matignon lors de leur séminaire, les ministres avaient travaillé par tables de huit sur plusieurs thématiques (niveau de vie, territoires et services publics, économie et finances publiques, intégration et immigration, transition écologique) pour « dégager des idées fortes qui puissent alimenter la déclaration de politique générale » (DPG). Ils ont été rejoints par deux nouveaux collègues, Charlotte Parmentier-Lecocq (Horizons) nommée auprès des Personnes en situation de handicap, et le LR Jean-Louis Thiériot (Armées et anciens combattants).
Ce qui a permis une photo officielle dans les jardins de Matignon, et non à l’Élysée comme de coutume, sans le président Emmanuel Macron, marquant symboliquement la distance entre leurs deux locataires, l’un de droite, l’autre du centre.
Michel Barnier présentera la semaine prochaine son programme dans un contexte inédit de « multi-cohabitation », selon le président du Conseil constitutionnel Laurent Fabius. Cohabitation avec le président même si les deux hommes réfutent ce terme, cohabitation à l’Assemblée nationale où il ne dispose d’aucune majorité absolue même en additionnant les élus du centre et de la droite, et cohabitation au sein même de son gouvernement.
Il semble de ce fait peu probable que Michel Barnier demande un vote de confiance, comme il peut le faire à l’issue de son discours. La gauche a déjà prévu de déposer une motion de censure en fin de semaine prochaine, tandis que le RN en agite la menace, sans dire à quelle échéance.
Avant ces échanges avec ses ministres, le Premier ministre avait reçu dans la semaine l’ensemble des forces syndicales et patronales qui ont salué son « écoute », sans déceler ses intentions. Il a aussi réuni mercredi autour d’une même table les groupes politiques de sa coalition, après plusieurs couacs et le recadrage de deux ministres EPR (Ensemble pour la République, ex-Renaissance).
« Nous devons être responsables avant d’être populaires. » « On ne sera pas toujours applaudis mais il faut qu’on soit respectés comme des gens honnêtes et sérieux qui essaient de faire le travail », se sont entendu dire des participants au séminaire gouvernemental.
Élus LFI et RN, des des élus de la République », « point final »
Mais le coup de fil du Premier ministre à Marine Le Pen, qui n’avait pas apprécié que le nouveau locataire de Bercy Antoine Armand refuse de travailler avec le RN, a exaspéré dans le camp présidentiel. Une cadre Renaissance regrette même la participation de son parti au gouvernement. « On a Marine Le Pen qui appuie sur le bouton, le Premier ministre qui se couche, c’est absolument dévastateur ». Les élus RN, comme les élus de La France insoumise « sont des élus de la République », « point final », a voulu clore M. Barnier dans le « JSL ».
Le nouveau chef du gouvernement a par ailleurs réuni à Matignon jeudi les ministres Bruno Retailleau (LR, Intérieur) et Didier Migaud (ex-PS, Justice) qui, à peine nommés, avaient engagé un bras de fer par médias interposés. Didier Migaud s’est dit vendredi prêt à travailler avec Bruno Retailleau pour voir s’il faut « faire évoluer l’arsenal juridique » après le meurtre de l’étudiante Philippine alors que le suspect, faisant l’objet d’une OQTF, était en attente d’expulsion.
Outre l’immigration, qui a déjà fracturé l’ex-majorité, plusieurs sujets seront difficiles à arbitrer, comme la proportionnelle, à laquelle le parti allié Horizons et LR ne sont pas favorables, le texte sur la fin de vie, auxquels sont opposés plusieurs ministres conservateurs.
Mais vendredi à Matignon, plusieurs ministres se sont montrés très préoccupés par la situation budgétaire. « À 5 ans, nous empruntons plus cher que la Grèce », a déploré un participant. L’équilibre entre coupes dans les dépenses et recettes fiscales supplémentaires s’annonce par conséquent très délicat à trouver, alors que la France est visée par une procédure de déficit excessif par la Commission européenne.
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