Le philosophe français Michel Serres, décédé samedi à 88 ans, s’est intéressé à toutes les formes du savoir, « un pied dans les sciences, un pied dans les humanités », anticipant les bouleversements liés aux nouvelles technologies de la communication.
Mathématiques, sociologie, histoire… Cet analyste brillant à l’accent rocailleux a repoussé les limites de la philosophie pour en explorer les contours, dans une langue compréhensible par le plus grand nombre.
Né le 1er septembre 1930 à Agen (sud-ouest de la France), fils d’un marinier, il entre à l’Ecole navale en 1949, puis à la prestigieuse Ecole normale supérieure en 1952, creuset des intellectuels français. Agrégé de philosophie trois ans plus tard, ce spécialiste de Leibniz, bouleversé par le bombardement d’Hiroshima en 1945, entreprend pourtant une carrière d’officier de marine, sillonne l’Atlantique et la Méditerranée, et participe comme enseigne de vaisseau à la réouverture du canal de Suez.
Il quitte la marine en 1958 et se tourne vers l’enseignement. A Clermont-Ferrand (centre de la France), où il côtoie Michel Foucault, puis à la Sorbonne, où lui, le philosophe, enseigne l’histoire des sciences. Car Michel Serres a toujours opéré au-delà des frontières des disciplines universitaires. « Un philosophe ne peut se faire entendre sans les sciences et les lettres: à moins d’avoir acquis cette formation, il est désormais inaudible », expliquait-il.
Ses cours d’histoire débutent « avec zéro étudiant », mais peu à peu son auditoire s’étoffe. Et si ses premiers livres passent inaperçus, la notoriété vient dans les années 1980, avec la série intitulée « Hermès », « Les cinq sens », prix Médicis de l’essai en 1985, ou « Eléments d’histoire des sciences » (1989). Dans « Les Cinq Sens », il écrit qu’« il n’y a rien dans l’intellect si le corps n’a roulé sa bosse, si le nez n’a jamais frémi sur la route des épices ». A partir de 1984, il enseigne la philosophie à l’université californienne de Stanford, où il passe une partie de l’année.
Michel Serres place l’environnement au centre de sa réflexion, s’interroge sur « le passage du local au global » et porte un jugement résolument optimiste sur le développement des nouvelles technologies. En 1990, il est élu à l’Académie française, où il est reçu sans la traditionnelle épée, « en signe de paix ». Il devient dès lors une figure intellectuelle familière et touche un plus large public.
Dans « Le contrat naturel » (1990), il propose de bâtir un nouveau droit pour réguler les rapports entre l’homme et la nature. Et « Le tiers-instruit » (1991), réflexion brillante sur l’éducation, l’impose comme un spécialiste de la question. Edith Cresson, Première ministre, le charge de préparer « l’Université de France », qui doit délivrer un enseignement à distance des savoirs fondamentaux.
Mais son rapport jugé « utopique » est accueilli fraîchement. « On appelle utopique ce que l’on ne comprend pas », rétorque-t-il. « Nous sommes à l’an zéro d’une nouvelle manière de partager le savoir », analyse-t-il en 1996, en relevant que les moyens modernes de communication bouleversent la nature même de l’enseignement.
Son parcours le conduit à s’intéresser aussi bien aux « Origines de la géométrie » (1993) qu’à « La légende des anges » (1993) ou au créateur de Tintin, dont il fut l’ami pendant plus de vingt ans (« Hergé, mon ami », 2000).
Michel Serres a écrit au total quelque 80 ouvrages. A un âge avancé, ce philosophe de la révolution douce continuait à publier un ou plusieurs livres par an son dernier ouvrage, « Morales espiègles », est paru en février.
En 2012, « Petite Poucette » (clin d’œil à la maestria avec laquelle certains utilisent leurs pouces pour taper sur leurs portables) se vendit à plus de 270.000 exemplaires. Partant du postulat qu’un nouvel humain est né, le philosophe y analyse les mutations politiques, sociales et cognitives qui accompagnent cette « nouvelle révolution ».
« En regard de ce que j’ai vécu durant le premier tiers de ma vie, nous vivons des temps de paix. J’oserai même dire que l’Europe occidentale vit une époque paradisiaque », malgré le terrorisme, a-t-il assuré à l’occasion de la sortie de « Darwin, Bonaparte et le Samaritain, une philosophie de l’histoire » (2016), essai très libre entre réflexion et poésie, à rebours du catastrophisme ambiant. Du pur Michel Serres.
D.C avec AFP
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