Ce qui rend le Mile End si particulier aujourd’hui c’est la diversité des communautés qui l’ont habité au cours des deux derniers siècles ; celles qui l’ont construit, celles qui l’ont quitté, puis celles qui se le sont réapproprié. Retraçons les grandes lignes de l’histoire du Mile End à travers quelques-uns de ses plus beaux bâtiments.
Parmi les plus anciens monuments, notons l’ensemble majestueux situé entre le boulevard Saint-Joseph et l’avenue Laurier, à l’angle du boulevard Saint-Laurent et, en particulier, l’église Saint-Enfant-Jésus-du-Mile-End (1857-1858). Ils formaient un des noyaux institutionnels de la population francophone qui, avec la communauté anglophone, habitait le Mile End à l’origine. Quelques familles étaient propriétaires de plusieurs terrains du Mile End : les Beaubien, les Bagg, les Clark.
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En 1861 et 1878, les villages Saint-Jean-Baptiste et Saint-Louis-du-Mile-End, situés de part et d’autre de l’actuelle avenue du Mont-Royal, se séparèrent du vaste territoire de Côte Saint-Louis dont ils faisaient partie, impulsés par le développement de nouveaux moyens de transport qui allaient transformer l’économie des villages. « Il y avait des divergences d’opinions entre les gens qui étaient plus de l’économie traditionnelle [c’est-à-dire liée aux activités d’extraction de pierre grise et de tannerie] et les gens qui avaient envie de développer le village par l’arrivée du chemin de fer et par la possibilité qui allait venir en 1864 de rejoindre le centre-ville par le tramway [à cheval] », raconte Justin Bur, fin connaisseur de l’histoire du quartier et membre actif de la société d’histoire locale Mémoire du Mile End.
En 1895, le village Saint-Louis-du-Mile-End devint ville Saint-Louis et l’appellation Mile End disparut des registres officiels. En 1905, à l’angle du boulevard Saint-Laurent et de l’avenue Laurier, fut construit l’hôtel de ville (l’actuelle caserne de pompier) de style « château », à l’image des hôtels prestigieux du Canadian Pacific de l’époque. Le 31 décembre 1909 (ou 1er janvier 1910), ville Saint-Louis fut annexée à la Ville de Montréal.
Les quelques années précédant l’annexion furent extrêmement déterminantes pour le cadre bâti : « Tout le monde savait que les taxes augmenteraient aussitôt que l’ancienne Ville Saint-Louis ferait partie de la Ville de Montréal, donc il y a eu beaucoup de constructions de bâtiments et d’infrastructures », relate Susan Bronson, architecte spécialisée en conservation du patrimoine, résidente du Mile End depuis 35 ans et auteure d’un ouvrage à paraître sur l’histoire du quartier.
En 1904, un nouveau règlement rendit obligatoires, entre autres, les salles de bain et l’éclairage naturel aux nouvelles résidences. Les duplex et triplex se multiplièrent. Non seulement furent-ils nombreux, mais la culture architecturale de ces maisons en rangée aurait eu beaucoup de mérite. « La qualité de la maçonnerie est extraordinaire, les proportions des façades sont intéressantes […] Le règlement était assez précis pour assurer un bel équilibre entre la diversité des façades et une certaine uniformité du paysage de la rue en même temps. Le recul par rapport au trottoir permettait d’avoir un jardin devant les maisons et des escaliers extérieurs », affirme Mme Bronson.
Ce fut également l’époque au cours de laquelle, fuyant la persécution religieuse en Europe de l’Est et en Russie, de nombreux juifs migrèrent à Montréal et s’installèrent graduellement le long du boulevard Saint-Laurent. Ils s’établissent initialement au sud de l’avenue du Mont-Royal et arrivent dans le Mile End après 1910. On trouva alors sur la Main plusieurs boucheries kasher, boulangeries, théâtres yiddish, synagogues, etc. S’il reste peu de traces des plus petites synagogues établies dans les maisons en rangée de l’époque, il en reste deux d’architecture plus monumentale sur l’avenue Fairmount, dont la synagogue B’nai Jacob, partiellement cachée par la façade de l’actuel Collège français ajoutée dans les années 1960 – mais l’œil attentif pourra encore y lire les inscriptions en hébreu.
Outre les petits commerces, l’industrie de la confection devint le principal moteur économique du quartier, et les manufactures se multiplièrent le long de la Main, puis de la voie ferrée. Or, les conditions de travail difficiles et les maigres salaires des « travailleuses de l’aiguille » fomentèrent d’importants mouvements syndicaux, surtout au sud de l’avenue du Mont-Royal, mais qui touchèrent aussi le Mile End. Un bel héritage architectural de cette époque est l’édifice Peck, situé à l’angle du boulevard Saint-Laurent et de la rue Saint-Viateur, une ancienne manufacture aujourd’hui rénovée et hébergeant l’entreprise florissante de multimédia Ubisoft.
Les mesures d’apaisement de la circulationLes Milendois ont la protection de l’environnement à cœur et cela se reflète, entre autres, par les mesures d’apaisement de la circulation mises en place par le district.Il s’agit d’aménagements qui modèrent le flux de circulation sur les rues résidentielles et qui peuvent notamment prendre la forme d’avancées de trottoir, de traverses piétonnes et autres marquages au sol, de stationnement de rue, etc.Lorsque conjointe à des activités de verdissement et à l’ajout de mobilier urbain, cette «révolution du coin de la rue », comme l’a nommé le conseiller du district du Mile End, Richard Ryan, fait de ce quartier un lieu où il fait bon vivre et se balader. |
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Après la Seconde Guerre mondiale, la communauté juive, mieux nantie qu’à son arrivée, déménagea vers d’autres quartiers comme Hampstead, Côte-St-Luc, Côte-des-Neiges et Outremont, plusieurs familles louèrent leur propriété aux nouveaux immigrants d’alors, notamment les Portugais et les Grecs. Si le noyau institutionnel de la communauté portugaise se trouvait aux abords de l’église Santa Cruz, à l’angle des rues Rachel et Clark, plusieurs familles s’installèrent aussi dans le Mile End. Elles rénovèrent leurs propriétés avec un grand souci du détail, ce qui leur valut, en 1975, un prix de l’Ordre des architectes du Québec : « les petites icônes religieuses sur les tuiles à côté de l’entrée, les petites statues dans le jardin distinguent les propriétés des familles portugaises. Plusieurs des jardins sont extraordinaires », décrit Mme Bronson. Quant à la communauté grecque, elle établit quelques commerces le long de l’avenue du Parc, mais s’installe aussi à Parc-Extension.
La communauté irlandaise s’installa dans les environs et fit construire la magnifique église St. Michael’s (1915), située au coin des rues Saint-Viateur et Saint-Urbain, desservant la communauté catholique anglophone du nord de l’île de Montréal : la « signature du quartier, affirme M. Bur, avec son énorme dôme et son clocher qui est une petite tour ressemblant à un minaret, cette église détonne dans le paysage. Elle est vraiment très remarquable », souligne-t-il. En effet, l’architecte Aristide Beaugrand-Champagne aurait préféré l’inspiration byzantine à l’inspiration occidentale : « le choix de cette tour représente comment les églises du début de la chrétienté avaient été transformées pendant la conquête ottomane », explique M Bur.
Les années passant, l’église se vida peu à peu de sa communauté irlandaise et le diocèse de Montréal offrit de la partager avec la communauté polonaise. Elle devint alors l’église St. Michael’s and St. Anthony’s en référence à Saint-Antoine-de-Padoue. Aujourd’hui, les messes y sont encore données en polonais et en anglais. « Les lieux de culte du Mile End sont extraordinaires comme témoignages de la transformation de la population au fil du temps. On en a plusieurs qui ont eu deux, trois, quatre, même cinq différentes congrégations, souvent de différentes confessions, au fil du temps. Les lieux de culte peuvent à eux seuls raconter l’histoire du quartier », soutient Mme Bronson.
Avec l’après-guerre, à l’instar d’autres grandes villes américaines, les quartiers centraux de Montréal eurent de moins en moins la cote. « On voulait habiter dans une nouvelle maison de banlieue, être au bord de l’autoroute, ne pas être dépendant du système de transport en commun. Les quartiers centraux sont devenus mal aimés », relate M. Bur. L’industrie manufacturière déclina peu à peu et le réseau ferroviaire fut graduellement délaissé au profit des routes. La gare du Mile End ferma et finit par être démolie en 1970. Le Mile End devint l’un des quartiers les plus pauvres de Montréal.
Mais les grandes anciennes manufactures et leur immense fenestration attirèrent peu à peu plusieurs artistes et intellectuels qui en firent leurs lieux de création. Des petits cafés et salles de spectacles ouvrirent leurs portes et des comités de citoyens soucieux d’améliorer la qualité de vie de leur quartier se formèrent : « le quartier est graduellement passé d’un endroit où on habite seulement lorsqu’on n’en a pas les moyens à un endroit où tout le monde veut habiter », explique M. Bur. C’est ainsi que le Mile End se refit une réputation, puis suscita la convoitise : les valeurs foncières grimpèrent en flèche jusqu’à, paradoxalement, abriter de plus en plus difficilement ceux qui lui avaient pourtant refait une beauté jadis…
Aujourd’hui, le Mile End semble faire hommage à ses plus beaux bâtiments et aux communautés qui l’on façonné. «Avec le Rialto qui est en train d’être transformé de façon fantastique pour restaurer toute sa beauté intérieure et extérieure, avec l’église Saint-Enfant-Jésus qui a eu le retour de ses anges sur sa façade, avec l’église St. Michael’s qui a eu le cuivre de son toit refait, avec la Ville de Montréal qui reconstruit le Bain Saint-Michel qui était littéralement en train de tomber en morceaux, il y a de l’attention qui est portée à nos plus grands monuments », conclut M. Bur.
Et en ce sens, les sociétés d’histoire locale, telles que Mémoire du Mile End et les Amis du boulevard Saint-Laurent, ont un rôle important à jouer pour faire reconnaître la valeur patrimoniale de ses bâtiments et mieux intégrer l’ancien à l’existant.
Le Mile End en chiffres |
Source : Profil de district électoral, Mile End. Ville de Montréal, 2014 |
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