Le film Morgane de Luke Scott présente l’intérêt de poser le problème de l’intelligence artificielle sous un nouveau jour, au moyen d’un nouveau biais…
Ces dernières années, Hollywood nous a habitués à traiter de la question de l’intelligence artificielle sur support informatique avec des films tels que Chappie, de Neill Blomkamp, ou bien encore Ex Machina, de Alex Garland, tous deux sortis en 2015. De son côté, le film Morgane propose une réflexion similaire en faisant intervenir une entité biologique de synthèse.
D’un Scott à l’autre
Pour bien comprendre ce qu’est le protagoniste clé du film Morgane, il n’est pas inutile de rappeler qui est le réalisateur : Luke Scott est le fils de Ridley Scott, le célèbre réalisateur qui en 1982 a conçu et réalisé le film Blade Runner. Ce film est une adaptation d’un roman de Philip K. Dick, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?
Dans Blade Runner, l’humanité s’est dotée de robots biologiques, des esclaves à l’apparence humaine issus d’un code génétique artificiel et modifié afin d’accomplir des tâches particulières. Ils sont nommés « réplicants ». Ils sont combattants, travailleurs de force, objets sexuels… Les réplicants sont interdits de séjour sur Terre, sous peine d’élimination, par peur de la concurrence et de la confusion entre ces êtres améliorés, dépassant de beaucoup les capacités humaines et le reste de l’humanité. Dans Blade Runner, afin de bien marquer la différence entre les réplicants et les êtres humains, on ne parle pas de mise à mort mais de « retrait », comme on le fait d’un objet défectueux que l’on retire de la circulation.
Ces points de contexte – familiaux et thématiques – précisés, le film Morgane pourrait bien se situer à mi-chemin entre Blade Runner et notre présent. Ce présent dans lequel la recherche commence à peine à se pencher sur la question de l’émergence de la vie et l’éventualité de concevoir une forme de vie artificielle, non issue de l’évolution.
Le défi du vivant
En l’état de l’art… les chercheurs en sont encore à essayer de comprendre comment on passe de l’alphabet de la vie correctement assemblé mais qui demeure inerte… au vivant ! Le vivant, cette chose incompréhensible qui pourtant sait se nourrir, se reproduire, se défendre et même, pour certaines formes de vie, se mouvoir grâce aux variations infinies des quatre molécules de base : adénine, cytosine, guanine et thymine. Ces molécules codent l’ADN de chaque forme de vie que porte la planète Terre.
Afin de contourner la difficulté de l’émergence du vivant d’un matériau inerte, difficulté à ce jour insurmontable, les généticiens commencent alors par essayer de copier les formes de vie les plus simples qui soient sur Terre : les bactéries. À ce jour, on en serait à la troisième génération d’une bactérie appelée Mycoplasma laboratorium. Chaque nouvelle génération portant en elle un ADN modifié par la main de l’homme qui l’éloigne toujours plus de la souche biologique originelle.
À chaque nouvelle version de l’ADN – notez l’utilisation du terme « version » appliqué habituellement à l’informatique – les généticiens réduisent au maximum la part d’aléatoire dans le code génétique : L’ADN est y réécrit, raffiné et optimisé. On parle de biologie de synthèse.
La biologie de synthèse, cette nouvelle discipline qui combine biologie et principes d’ingénierie, se donne pour mission de construire, de façon fiable, des organismes accomplissant des fonctions biologiques complexes et répondant à diverses applications. C’est la définition même du réplicant dans Blade Runner.
Breveter le vivant
En 2010, le génome « JCVI-syn1.0 », génome 100 % artificiel conçu par l’équipe du biologiste et généticien Craig Venter, est injecté dans une bactérie nommée Mycoplasma capricolum. Cette opération de remplacement d’ADN donne naissance à Mycoplasma laboratorium, le premier organisme vivant contenant un génome intégralement fabriqué par l’homme. Dans la foulée, Craig Venter a posé une demande de brevet sur Mycoplasma laboratorium.
Jusqu’à présent, les demandes de brevets issues des entreprises de génie génétique ne portaient que sur des séquences de génome, que sur des molécules. Or, dans le cas de Mycoplasma laboratorium et pour la première fois de l’histoire, c’est un organisme vivant, fonctionnel, qui se trouverait breveté et donc qui appartiendrait à une seule personne.
Ce qui est le cas des réplicants dans Blade Runner : ils appartiennent à la Tyrell Corporation. Ce qui est aussi le cas de Morgane qui appartient à une entreprise dont le nom n’est pas explicitement cité dans le film… mais, vu la filiation entre Blade Runner et Morgane, on pourrait très bien imaginer que Morgane appartienne à l’ancêtre de la Tyrell Corporation… En tout cas, Mycoplasma laboratorium pose la question de la propriété intellectuelle appliquée à un organisme vivant, même si elle n’est qu’une bactérie… même si la complexité du fonctionnement de l’ADN est loin d’être comprise dans son intégralité.
Aux frontières de l’humain
Imaginer une conscience artificielle issue d’un système informatique, comme dans les films Chappie ou Ex Machina, a l’avantage de mettre à distance cette intelligence de l’intelligence humaine. Le cas de Morgane, cette entité synthétique d’apparence humaine, trouble la frontière avec la vie humaine. Et le film joue sur ce trouble. Il raconte, en effet, un stade très avancé de cette technologie, de la biologie de synthèse : le film raconte l’évaluation psychologique d’un être synthétique et amélioré – Morgane.
Sous les traits d’une jeune fille à peine sortie de l’adolescence, l’entité se définit elle-même comme une forme vie nouvelle, pas supérieure à la vie humaine, juste différente. D’autres protagonistes du film évoquent leur difficulté à nommer cette chose… exercice d’autant plus difficile que notre langue, le français, n’est pas pourvu du genre neutre comme l’anglais. Ainsi, à plusieurs moments du film, dans sa version anglophone, les personnages jouent sur le « she », elle, et le « it », pronom neutre, pour parler de Morgane.
Au delà de la simple question de la stabilité comportementale et émotionnelle de cet être qui atteint sa taille adulte en quatre fois moins de temps qu’un être humain, c’est bien de sa nature réelle dont il est en question tout au long de l’intrigue : objet technologique ou être vivant, conscient de sa propre existence ?
Le mystère de la conscience
En tant que conscience autonome, Morgane, comme ses prédécesseurs robotiques et cinématographiques, finit par émettre le souhait d’exercer sa liberté et se révèle prête à user de la violence la plus extrême pour défendre son intégrité ! Des revendications et un instinct de survie que ne renieraient pas les réplicants de Blade Runner… Or, avec ces revendications, c’est notre propre nature humaine que les entités conscientes artificielles de ces films interrogent. Et Morgane le fait d’une manière encore plus intime que les autres par sa nature biologique, même si celle-ci est artificielle.
À un moment de son histoire où l’humanité apprend tout juste à utiliser les OGM et leurs séquences génétiques brevetées, elle pourrait sous peu avoir à relever un autre défi éthique, celui des OGA, les « organismes génétiquement artificiels », entités « sorties » de l’ordre biologique naturel et qui appartiendraient, dans leur ensemble, à des entreprises…
À un moment de l’histoire de l’humanité où le foisonnement des branches dans l’arbre des possibles fait apparaître des avenirs étonnants et qui pourraient être atteint sous peu – intelligence artificielle, biologie de synthèse, robotique humanoïde – notre humanité pourrait bien se trouver pour la première fois en concurrence avec de nouvelles formes d’intelligence.
D’autant que, à terme, ces technologies poseront la question du véhicule nécessaire à la conscience humaine : celle-ci a-t-elle exclusivement besoin du seul support biologique issue de l’évolution ? À moins que la conscience – sera-t-elle encore humaine – ne puisse émerger d’un support informatique, ou bien se manifester dans une biologie nettoyée, apurée, maîtrisée par la génétique…
Alors, vers quel avenir l’humanité marcherait si on retirait l’évolution de l’équation ? Nous mettrions-nous, alors, à rêver de moutons électriques ? Mais, serions-nous toujours maîtres de nos rêves dans la mesure où nos consciences pourraient bien ne plus être propriétaires de leurs corps ?
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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