« Crise de régime », « crise institutionnelle », etc. l’ambiance est à la fin de règne au gouvernement au lendemain du déclenchement du 49.3 pour faire adopter le budget de la Sécurité sociale (PLFSS). Ni la gauche ni le RN ne sont prêts à voter le texte déposé et issu d’un compromis entre une commission de sénateurs et députés.
Le gouvernement Barnier ne tient plus à présent qu’à un fil après l’annonce par le Rassemblement national de son intention de voter la motion de censure que la gauche pourrait déposer. Après avoir obtenu que le gouvernement abandonne la hausse des taxes sur l’électricité, le RN a exigé sans résultat de nouvelles concessions, notamment sur la revalorisation des pensions de retraite.
« Ce budget va impacter les Français, on ne va rien résoudre et donc c’est un très mauvais budget », avait jugé le vice-président du Rassemblement national Sébastien Chenu. « Nous avons dit qu’il faut faire des économies, non pas sur le dos des Français mais sur des politiques publiques qui sont menées […] Il n’y a rien qui a bougé, il n’y a rien qui a été retenu. »
L’Élysée n’a fait aucun commentaire officiel sur la nouvelle donne politique, alors qu’Emmanuel Macron a atterri lundi à Ryad pour une visite d’État de trois jours en Arabie saoudite. Mais c’est bien le chef de l’État qui aura rapidement la main car, si le scénario d’une censure se confirme, il devra nommer rapidement un nouveau Premier ministre.
Le RN annonce la censure du gouvernement
« Le gouvernement a exprimé son souhait de ne pas modifier le PLFSS, c’est extrêmement clair et nous avons pris acte de cela », a indiqué Marine Le Pen avant le 49:3 de Michel Barnier.
Les gestes annoncés par le Premier ministre pour répondre aux exigences du RN – notamment sur le remboursement des médicaments – n’auront finalement pas suffi : « Censurer ce budget est, hélas, la seule manière que nous donne la Constitution pour protéger les Français d’un budget dangereux, injuste et punitif », a justifié Mme Le Pen.
Le débat suivi d’un vote sur les motions de censure déposées par la gauche et le Rassemblement national contre le gouvernement de Michel Barnier aura lieu mercredi à 16h.
Sauf retournement de situation spectaculaire, la motion de censure déposée par l’alliance de gauche du Nouveau Front populaire devrait être adoptée puisque le RN a déclaré qu’il la voterait. En ajoutant leurs voix, la gauche et le RN peuvent réunir autour de 330 suffrages, largement au-delà des 288 voix nécessaires.
Le gouvernement Barnier sur la sellette
Menacée par la censure, la coalition de Michel Barnier appelle à la responsabilité pour ne pas faire tomber le gouvernement et éviter un « chaos » politique et budgétaire.
La séance de questions au gouvernement prévue mercredi après-midi à l’Assemblée promet d’être tendue, alors que la conférence des présidents de groupe à l’Assemblée. « La chute de Barnier est actée », a proclamé la cheffe des députés insoumis Mathilde Panot.
Mardi matin, les ministres se sont succédé sur les radios et télévisions pour agiter le risque du « chaos ». « C’est le pays qu’on met en danger », s’est inquiété le ministre de l’Économie, Antoine Armand. Le ministre des Comptes publics Laurent Saint-Martin avait appelé ce week-end à la responsabilité et soutenu que « revenir » sur le texte « serait s’asseoir sur le Parlement, la démocratie et la délibération dont nous respectons le compromis ».
« Est-ce qu’on veut une crise économique qui touchera les plus fragiles ? « , a lancé le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau sur TF1. Le locataire de Beauvau a même fait « le pari qu’avec Michel Barnier, nous parviendrons à écarter la motion de censure ».
Une première depuis Pompidou en 1962
L’adoption par l’Assemblée nationale d’une telle motion serait une première depuis le renversement du gouvernement de Georges Pompidou en 1962.
Plus de cent-trente motions de censure ont été déposées depuis 1958 avant celles annoncées lundi mais une seule, en 1962, contre l’élection du président de la République au suffrage universel, a été adoptée, ce qui avait fait chuter le gouvernement Pompidou.
En 1962, la motion de censure des opposants au projet d’élection du président de la République au suffrage universel est déposée par le centre, les socialistes et la droite non gaulliste (article 49.2). Elle est adoptée le vendredi 5 octobre par 280 députés sur 480, dont les 10 communistes.
Le lendemain, Georges Pompidou remet la démission de son gouvernement au général de Gaulle, qui lui demande de rester quelque temps en fonction, puis dissout le 10 octobre l’Assemblée nationale. Le oui au suffrage universel l’emporte largement (62,30% des voix) lors d’un référendum tenu le 28 octobre, et les gaullistes de l’UNR remportent les élections législatives un mois plus tard. M. Pompidou est alors reconduit à son poste et a formé un nouveau gouvernement.
La mission impossible de l’après-Barnier
La crise politique précipite le retour en première ligne du président pour préparer l’après-Barnier, et l’expose aussi, car beaucoup le jugent responsable de cette impasse. Sauf coup de théâtre, le gouvernement de Michel Barnier devrait être renversé et le pays replongé dans le blocage institutionnel provoqué par la dissolution de l’Assemblée nationale.
« L’enjeu pour lui va être de rester en surplomb alors que l’opinion le rend responsable de la situation, en raison des deux éléments déterminants que sont la dissolution et le déficit public dégradé de la France », explique le sondeur Bernard Sananès, de l’institut Elabe. Selon lui, « il reçoit l’addition de tout ce qui lui est reproché, y compris par une partie de son électorat ».
Si les stratèges de l’Élysée espéraient que la réserve présidentielle lui redonne des couleurs dans l’opinion, il n’en est rien : sa popularité est au plus bas depuis son arrivée au pouvoir en 2017, ou depuis la crise des gilets jaunes l’année suivante, selon les baromètres. L’échec de Michel Barnier est aussi considéré par plusieurs de ses opposants comme le sien, puisque c’est lui qui avait sorti l’ex-commissaire européen de sa retraite.
À gauche, mais aussi au RN et parfois au centre, des voix s’élèvent pour affirmer qu’une démission d’Emmanuel Macron est la seule solution pour dénouer la crise. Parmi ses soutiens aussi, certains redoutent que ces appels s’amplifient si à la censure probable de ce gouvernement s’ajoute, de manière rapprochée, la chute du gouvernement suivant.
« Ça devient très compliqué », estime le politologue Bruno Cautrès. « D’un point de vue de la légitimité démocratique, il n’a plus la moindre marge de manœuvre pour se tromper à nouveau : s’il nomme un Premier ministre qui est lui aussi censuré, ou s’il dissout l’été prochain et perd encore les élections, je ne vois pas comment il peut se maintenir. »
Si l’Élysée continue de communiquer sur la stabilité et le danger d’un chaos politique en cas d’impasse sur le Budget 2025, le chef de l’État a commencé à « réfléchir » discrètement à la suite, reconnaît un proche, selon l’AFP. Ce dernier pense qu’il va devoir « aller assez vite pour nommer quelqu’un » à Matignon, et ne pas temporiser à outrance comme il l’avait fait après les législatives, cet été.
Les spéculations vont déjà bon train sur les successeurs potentiels à Michel Barnier, du ministre des Armées Sébastien Lecornu au centriste François Bayrou dans le camp présidentiel, en passant par Bruno Retailleau, apprécié pour son travail à l’Intérieur, ou encore Michel Barnier lui-même, que le président pourrait choisir de reconduire.
Quelle que soit la piste retenue, l’équation reste la même à l’Assemblée : aucune configuration ne semble promettre une majorité pour faire passer un budget pour 2025, alors que les marchés se montrent de plus en plus fébriles.
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