Une nuit tranquille. Dans la pièce voisine, une personne dort, équipée de capteurs. Le corps est immobile. L’enregistrement indique un tonus musculaire faible, une respiration profonde, un pouls lent. Pourtant, depuis quelques minutes, l’activité cérébrale du dormeur a changé. Alors que de grandes ondes lentes étaient auparavant visibles sur l’écran de contrôle de l’électroencéphalogramme, le cerveau montre désormais une activité proche de l’éveil. Soudain, le pouls et la respiration s’accélèrent. Derrière les paupières closes du dormeur, on peut voir ses yeux bouger. Réveillées à cet instant, les personnes rapportent en général le souvenir d’un rêve, des images, des émotions. Un cerveau éveillé dans un corps endormi, tel est le sommeil paradoxal.
Ce sommeil, différent du sommeil dit « lent » où les rêves se font rares, se reconnaît à ces mouvements oculaires rapides qui l’accompagnent, d’où son nom en anglais : sommeil REM (Rapid Eye-Movement). Depuis 80 ans et l’invention des premières techniques d’enregistrement cérébral, ces mouvements oculaires pendant le sommeil ont suscité bien des questions : sont-ils en rapport avec la scène rêvée ?
À l’éveil, nos yeux bougent sans cesse pour appréhender les alentours. L’œil a en effet ses limites : seul le centre de la rétine permet une vision nette et en couleurs. Les mouvements oculaires permettent de déplacer ce centre dans le champ visuel et d’explorer au mieux notre environnement. Entre chaque mouvement, donc entre chaque image ainsi formée sur la rétine, l’information visuelle, floue et peu informative, est inhibée. Ainsi, la vision est une série de captures d’images plus qu’un flux continu. Mais alors, pourquoi observe-t-on ces mouvements oculaires pendant le sommeil, lorsque les yeux sont clos et qu’il n’y a rien à voir ?
L’étoffe des rêves
Les mouvements oculaires exploreraient-ils une scène rêvée ? Construite par le cerveau mais tout aussi visuelle que notre vie éveillée ? Une telle proposition a d’importantes implications. Non seulement elle contredit l’hypothèse souvent avancée que les rêves ne sont qu’une (re)construction faite au réveil, mais elle précise « l’étoffe dont sont faits les rêves ». Bien que séduisante, cette hypothèse, dite du balayage (scanning hypothesis) a longtemps été controversée.
Il y a en effet d’autres explications possibles. Notamment, ces mouvements oculaires pourraient traduire un changement physiologique sans rapport avec le contenu des rêves. De la même façon que les hommes connaissent des érections (elles se produisent pendant 80 % du temps de sommeil paradoxal) sans pour autant que cela soit toujours en relation avec un contenu onirique érotique. Par ailleurs, n’oublions pas que les aveugles de naissance ou encore des animaux sans vision comme les taupes produisent de tels mouvements oculaires.
Depuis quelques années pourtant, la piste du balayage semble étayée par l’observation clinique. Lorsque la paralysie du sommeil paradoxal est abolie (cela arrive aux personnes affectées par le syndrome dit du trouble du comportement en sommeil paradoxal ou TCSP), les mouvements effectués par ces dormeurs concordent avec les mouvements oculaires ainsi qu’avec le récit du rêve. Ainsi, si l’on parvenait à lever la paralysie musculaire liée au sommeil paradoxal, il est possible que nous nous agiterions comme des pantins dans nos lits. Mais sommes-nous de simples poupées de chiffon dans notre sommeil ou des marionnettes sensibles ?
Réponse neuronale
Dans une étude récente publiée dans la revue Nature Communications, nous avons tenté d’explorer cette question en examinant l’activité cérébrale associée à ces mouvements oculaires pendant l’éveil et le sommeil. Pour cela, nous avons analysé des enregistrements de neurones uniques et de populations de neurones chez des individus humains atteints d’épilepsie et temporairement implantés d’électrodes intracrâniennes, dans le cadre de leur traitement.
Nous avons comparé les réponses des neurones aux mouvements oculaires effectués pendant l’éveil et le sommeil paradoxal. Ces réponses ont également été comparées aux réponses associées à la présentation d’images sans mouvement oculaire. En effet, les régions cérébrales prises en compte (amygdale, hippocampe…) ont un rôle central dans la reconnaissance des objets et l’exploration visuelle.
Il apparaît que les mouvements oculaires ont des effets similaires, à l’éveil comme pendant le sommeil, sur l’organisation de l’activité de ces aires visuelles et mnésiques. À l’échelle individuelle, certains neurones réduisent leur activité juste avant les mouvements oculaires et l’augmentent juste après : cela constituerait la base du traitement séquentiel de l’information visuelle. De plus, la hiérarchie cérébrale semble être conservée de l’éveil au sommeil : les neurones les plus sélectifs (permettant la reconnaissance d’images très spécifiques comme la Tour Eiffel, par rapport à des neurones moins sélectifs s’activant pour les bâtiments en général) sont ceux qui s’activent le plus tardivement.
À l’échelle des populations de neurones, les oscillations électriques dans la bande de fréquences autour de 4-8 Hertz (dites oscillations thêta) notamment impliquées dans l’exploration visuelle et la mémoire, sont comme remises à zéro suite aux mouvements oculaires. À l’éveil comme pendant le sommeil.
Enfin, non seulement l’organisation de l’activité cérébrale pendant les mouvements oculaires est conservée de l’éveil au sommeil, mais elle est similaire à celle associée à la visualisation d’images sans mouvement oculaire. En revanche, cette activité ne se retrouve pas à l’éveil lorsque des mouvements oculaires sont réalisés dans l’obscurité. Que nous dormions ou que nous explorions notre environnement, tout se passe comme si les mouvements oculaires conservaient la même fonction.
Il semble que les mêmes processus cérébraux sous-tendant la vision se reproduisent pendant le sommeil. Les mouvements oculaires pourraient donc ouvrir une fenêtre sur les rêves : ils indiqueraient, certes de façon imparfaite, quand des images sont visualisées. Des neuro-scientifiques sont déjà parvenus à décoder des éléments de rêve via l’imagerie cérébrale. Ici, les séquences de mouvements oculaires pourraient être utilisées pour détecter la survenue de cauchemars récurrents et réveiller le dormeur à temps. Les applications concrètent d’une telle découverte sont bien sûr encore lointaines. Reste le plaisir d’en savoir un peu plus sur la nature des rêves.
Thomas Andrillon, PhD Student, École Normale Supérieure (ENS)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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