Moyen-Orient : « Les échanges, à l’intérieur de l’axe du mal, permettent au régime des Mollahs de survivre », estime Pierre Rehov

Par Julian Herrero
5 avril 2025 13:59 Mis à jour: 7 avril 2025 14:01

ENTRETIEN – Le grand reporter franco-israélien Pierre Rehov, réalisateur de documentaires dont le plus récent Pogrom(s), et auteur de plusieurs ouvrages, dont 7 octobre-La Riposte : Israël-Iran, la guerre secrète qu’il co-signe avec Stéphane Simon (Fayard, 2025), décrypte pour Epoch Times la situation au Moyen-Orient.

(Crédit photo : Pierre Rehov)

Epoch Times : Pierre Rehov, lundi, l’armée israélienne a appelé à évacuer Rafah. Pourriez-vous revenir en détails sur la situation à Gaza de ces derniers jours ?

Pierre Rehov : Avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump et des Républicains, la donne a changé. Israël s’est retrouvé avec une fenêtre d’opportunité en plusieurs étapes.

La première a été la volonté du président américain de récupérer à tout prix des otages avant son investiture. Ainsi il a fait pression, essentiellement sur le Hamas, contrairement à ce qui a pu être raconté. De son côté, le gouvernement israélien avait déjà accepté la quasi-totalité du contenu du cessez-le-feu. Il ne restait qu’au Hamas de l’accepter, ce qui a été rendu possible grâce aux pressions du président américain.

Quand on connaît les mécanismes qui allient les États-Unis à Israël, notamment lorsqu’une personnalité pro-israélienne est à la tête de l’Amérique, on comprend ce qui s’est réellement passé. Donald Trump voulait, avant son entrée officielle en fonction, faire un coup médiatique et s’est investi dans la libération de certains otages. Deux jours avant son investiture, des otages étaient libérés.

La nouvelle administration américaine a parfaitement compris qu’Israël combat des terroristes islamistes, que l’Iran est toujours aux manettes et ne souhaite qu’une chose : la destruction d’Israël et des États-Unis. Le gouvernement israélien a, quant à lui, les mêmes problèmes que toutes les démocraties occidentales, c’est-à-dire une gauche très forte formant un État profond.

Benyamin Netanyahou n’avait pas les mains libres pour aller jusqu’au bout, c’est-à-dire se débarrasser définitivement des organisations terroristes qui contrôlent Gaza. Ainsi, il a fallu qu’il procède à quelques limogeages. Le chef d’État-major Herzi Halevi a accepté de démissionner en février en prenant une partie de la responsabilité des massacres du 7 octobre 2023. Et puis, le Premier ministre essaye de se débarrasser du chef du Shin Bet, Ronen Bar.

Cette idéologie de gauche dominante ne date pas d’hier. Elle remonte à la création de l’État d’Israël. Les travaillistes ont conservé le pouvoir très longtemps, notamment jusqu’à l’arrivée de Menahem Begin. Cette pensée gauchiste avait sa raison d’être il y a 70 ans, mais aujourd’hui, face à nos ennemis, ce n’est plus le cas.

Benyamin Netanyahou a en réalité limogé deux personnalités qui n’étaient pas capables de mener une guerre totale à Gaza. Maintenant Israël ne va plus reculer. C’est-à-dire détruire le Hamas, libérer tous les otages et reconstruire Gaza.

Cette reconstruction devra passer par le départ d’une grande partie de la population qui y vit, puisque c’est un endroit qui est devenu invivable, ne serait-ce que sur le plan humanitaire. On ne peut pas laisser 2,2 millions de personnes habiter dans 25 % de ce qui reste d’un lieu déjà surpeuplé.

Comme vous l’avez indiqué, l’armée israélienne a demandé l’évacuation de la région de Rafah. Dans cette région se trouvent un grand nombre de terroristes appartenant à différentes organisations. Il n’y a pas que le Hamas, mais aussi le FPLP ou les brigades des martyrs d’Al-Aqsa et bien d’autres. Israël tient sa promesse d’aller jusqu’au bout et ne compte pas reculer.

Dans quel état se trouve le Hamas aujourd’hui ? Parvient-il à se réarmer ?

Le Hamas a profité du cessez-le-feu pour se réarmer. Les grands leaders étant morts, ce sont désormais des sous chefs qui en sont à la tête.

L’organisation islamiste est bien désorganisée, mais malheureusement, elle a détourné des tonnes d’aides humanitaires pendant la période du cessez-le-feu qu’elle a revendues au marché noir, ce qui lui a permis aussi de se réarmer en partie, mais également de « recruter ».

Le Hamas ne recrute pas à proprement parler, mais menace, endoctrine et fait des promesses financières. Pour le 7 octobre, il avait promis aux Gazaouis 10.000 dollars et un appartement en échange de tous les civils israéliens ramenés à Gaza.

Les terroristes du Hamas sont-ils pour autant, à l’heure actuelle, aussi puissants qu’avant le 7 octobre ? Absolument pas. L’organisation, qui a passé dix-sept ans à construire son armée, est aujourd’hui décimée. Dix-huit mille terroristes et soldats expérimentés ont été tués depuis la contre-attaque israélienne. Aujourd’hui, ils sont remplacés par de jeunes individus sans expérience militaire.

Cependant, affaiblir le Hamas ne suffit pas, il faut le mater et lui infliger une défaite totale et humiliante. J’insiste sur ce point. Pour ceux qui suivent le Hamas, il y a deux éléments importants : la terre est la fierté. Dans le discours islamiste du Hamas, la notion d’humiliation est récurrente. Ils veulent humilier Israël, les Juifs et l’Occident. Pour eux, c’est capital.

Même chose pour la fierté : quand ils jouent avec la libération des otages, c’est pour montrer au reste du monde que le Hamas est une organisation puissante.

Par ailleurs, la mort ne les trouble pas, y compris celle de leur famille et de leurs enfants, puisqu’ils sont convaincus que dans l’au-delà, la vie est mieux que sur Terre et que l’accès au paradis est possible s’ils tuent des Juifs.

Malgré la trêve, l’armée israélienne a frappé à nouveau cette semaine la capitale libanaise. Tsahal a annoncé avoir tué un membre du Hezbollah. Est-ce une manière pour Israël de maintenir une pression sur l’organisation terroriste pro-Téhéran largement affaiblie par la mort de son ex-leader et l’opération des bipers à l’automne dernier ?

Des accords devaient normalement autoriser l’armée libanaise à reprendre le contrôle du territoire libanais avec une aide internationale afin que le Hezbollah ne puisse se réarmer.

Cependant, l’armée israélienne a vu dans les villes du sud Liban des drapeaux de la milice chiite.

Autrement dit, le Hezbollah ne tient pas ses engagements qui consistait à ne pas revenir dans la région, et cela signifie également que l’armée libanaise demeure extrêmement faible et dans l’incapacité totale de refaire du pays une démocratie.

Maintenant, Israël veut montrer qu’il ne tolère absolument plus rien et compte riposter à chaque fois que le Hezbollah envoie des roquettes.

Lors d’un entretien à la chaîne NBC, Donald Trump a lancé un avertissement à l’Iran ce week-end. « S’ils ne signent pas d’accord, il y aura des bombardements », a-t-il déclaré, évoquant également de nouvelles sanctions. La stratégie du rapport de force peut-elle fonctionner avec Téhéran ? Le président américain est-il en mesure de s’imposer face à l’Iran ?

Il n’est plus question de s’imposer face au régime de Téhéran, mais de s’en débarrasser. Les Mollahs doivent quitter le pouvoir. D’ailleurs, une révolution est en train de naître au sein du peuple iranien. Les manifestations sont de plus en plus fortes malgré de violentes répressions. L’Iran n’a plus d’influence en Syrie, au Liban et les Houthis sont décimés par l’armée américaine. Il ne lui reste plus que la menace nucléaire pour survivre.

Si l’Iran devenait une puissance nucléaire, cela engendrerait une course à l’arme nucléaire dans tout le Moyen-Orient. Un scénario inacceptable.

L’objectif de Donald Trump est de contraindre Téhéran à démanteler l’ensemble de ses installations nucléaires, sans quoi, le régime en paierait très lourdement les conséquences.

Le locataire de la Maison-Blanche ira jusqu’au bout. L’armée américaine déplace ses pions au Moyen-Orient. La task force Harry Truman est en train de naviguer au large des côtes iraniennes, ce qui correspond à la moitié des capacités militaires de la République islamique.

La principale base américaine où ont été envoyés tous les B-2 et B-52 se trouve à environ 3000 kilomètres de l’Iran. Ces avions sont capables de transporter des bombes MOAB, les plus puissantes du monde derrière l’arme atomique. Ils peuvent parfaitement aller bombarder l’Iran quand et où ils le souhaitent. Une nouvelle doctrine a vu le jour outre-Atlantique : la paix par la force.

Comment l’Iran tient-il encore debout aujourd’hui ? C’est un pays fragilisé sur le plan économique. Est-ce grâce à son alliance avec Pékin et Moscou ?

Absolument. La Chine et la Russie achètent du pétrole à l’Iran. Même avec le Venezuela, les liens sont forts. Cette alliance permet à l’Iran de bénéficier d’une partie du marché sud-américain. Les échanges, à l’intérieur même de l’axe du mal, permettent au régime des Mollahs de survivre.

Mais le pays va bientôt être en proie à une crise de l’eau. Le peuple souffre déjà énormément du taux d’inflation (200 %). Sans eau, il risque de descendre dans la rue.

Si l’armée américaine décidait de bombarder les sites nucléaires iraniens, je pense que la population en profiterait pour se révolter. C’est ce que tout le monde souhaite.

Vous publiez un ouvrage intitulé 7 octobre-La Riposte : Israël-Iran, la guerre secrète. Nous sommes donc aujourd’hui dans une période de contre-attaque d’Israël contre Téhéran ?

Si l’Iran se dote de l’arme nucléaire, elle devient de facto une menace existentielle pour Israël.

Je rappelle que l’Iran est responsable de tout ce que subit Israël. Le régime des Mollahs était derrière l’attaque du 7 octobre. C’est la raison pour laquelle l’État hébreu ne doit plus tergiverser et s’attaquer à cette « pieuvre » qu’est l’Iran.

L’objectif de l’ouvrage était donc d’évoquer cette riposte et l’ensemble des opérations.

Israël s’est d’abord attaqué aux tentacules de la pieuvre et doit désormais s’en prendre à sa tête. Ceci n’est possible que depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche.

Si les Démocrates avaient remporté l’élection présidentielle en novembre, la donne aurait été différente : la doctrine de Joe Biden, héritée de Barack Obama, consistait à affaiblir l’Arabie saoudite et Israël au profit de Téhéran et tenter de négocier avec le régime iranien.

Donald Trump a très bien compris qu’il n’y a rien à attendre des Mollahs et est revenu à la politique de la défense par l’attaque.

L’Arabie Saoudite peut-elle être un allié d’Israël dans cette riposte contre l’Iran ?

L’Arabie Saoudite est un allié de fait d’Israël. Riyad s’équipe secrètement de technologies israéliennes pour sa propre défense. Et Mohammed ben Salmane, ami intime du gendre du président américain, Jared Kushner, a particulièrement apprécié le premier mandat de Donald Trump. Il cherche le moyen de reconnaître Israël sans donner l’impression qu’il agit en traître vis-à-vis des Arabes de Palestine.

Mais, aujourd’hui, les Saoudiens sont excédés par les intransigeances palestiniennes qui leur empêchent d’avancer vers la paix et la prospérité au Moyen-Orient.

Aujourd’hui, bien que les peuples arabes continuent de manifester leur rejet d’Israël, la réalité au sommet de chaque État est bien différente. Les dirigeants arabes préparent en douceur leur peuple à cesser de haïr les Juifs et Israël, pour enfin rentrer dans une phase où une paix sera possible.

Cette affirmation me fait d’ailleurs penser aux Accords d’Abraham. Je pense qu’avec la pression américaine et la nécessité d’une alliance entre l’Arabie Saoudite et les États-Unis, ils vont s’étendre à d’autres pays arabes.

On peut donc imaginer que Mohammed ben Salmane se frotte les mains par avance à l’idée qu’Israël et les États-Unis aillent bombarder les sites nucléaires iraniens qui représentent autant une menace pour l’Arabie Saoudite qu’Israël.

Vous avez réalisé le film Pogrom(s). On y voit le secrétaire des Nations Unies déclarer qu’ « il est important de reconnaître que les attaques du Hamas ne se sont pas produites dans le vide ». Comment expliquez-vous ce propos ?

Il y a des blocs fondamentaux à l’intérieur des Nations Unies. Les pays arabes et les dictatures socialistes sont ensemble majoritaires.

Heureusement que les États-Unis opposent leur veto à chaque résolution anti-israélienne qui est votée, autrement l’État hébreu serait dans une situation très complexe aujourd’hui.

J’attire également votre attention sur le fait que l’ONU n’est pas une organisation « propre ». Kurt Waldheim, secrétaire général dans les années 1970, était un ancien nazi. À la même époque, les Nations Unies ont adopté la résolution 3379 assimilant le sionisme au racisme.

Je me suis moi-même rendu dans les diverses infrastructures onusiennes, que ce soit à New York ou à Genève. Je suis tombé dans un nid d’antisémites ! Il était pratiquement de bon ton dans les couloirs des Nations-Unies de dire du mal des Juifs.

Puis, il y a au sein de cette institution un courant tiers-mondiste très puissant composé de gens fascinés par les régimes autoritaires et les pays en voie de développement et qui a une dent contre Israël, aussi bien par antisémitisme que par méconnaissance de l’histoire.

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