L’explication de la plupart des phénomènes, qu’ils soient naturels ou provoqués, font intervenir de nombreuses branches de la physique : on qualifie de « multiphysique » un modèle dont le comportement dépend de différents domaines des sciences physiques : mécaniques, thermiques, chimiques, électromagnétiques, etc. Leur étude passe souvent par une décomposition en monophysiques, plus simples à analyser, avant d’être parfois considérés sous un angle plus global.
Cette manière d’agir est ancrée dans nos schémas intellectuels et résulte d’une volonté de simplifier des phénomènes déjà très complexes pris séparément. Ainsi, les enseignements considèrent des disciplines bien établies telles que l’électronique, la thermique, la mécanique des milieux continus, la chimie, l’optique ou encore le magnétisme. Les mathématiques lient entre elles ces disciplines. Elles apportent un support élégant et efficace à la résolution de problèmes mis en équations.
Les limites entre ces disciplines relevant de la physique sont souvent difficiles à cerner. Il arrive que l’on puisse isoler un mécanisme physique prépondérant pour l’analyse d’un système : le comprendre permettra d’optimiser un dispositif. C’est le cas par exemple en mécanique des fluides pour la prévision des performances aérodynamiques d’une voiture ou encore d’une voilure d’avion où seules les équations représentant le mouvement de l’air sont considérées.
Dans beaucoup d’autres situations, au moins une physique est prépondérante et d’autres phénomènes y sont fortement attachés. Les influences peuvent être mono-directionnelles ou pluri-directionnelles. La combustion dans les moteurs de voiture ou dans ceux équipant les hélicoptères et les avions est un bon exemple. Les écoulements d’air et de carburant ainsi que les réactions chimiques de combustion sont fortement liés. Les deux s’influencent mutuellement et il est donc nécessaire de les étudier de façon conjointe. Par ailleurs, ces écoulements réactifs sont très chauds et influent sur les températures des parois environnantes. Que ce soit dans l’automobile ou l’aéronautique, il est nécessaire de refroidir les parois afin d’assurer que les éléments solides ne fondent pas sous l’effet de ces contraintes thermiques extrêmes.
La conception des moteurs demande donc d’étudier l’aérodynamique, la chimie et les transferts thermiques dans les solides. Dans certaines conditions, la rétroaction des températures de paroi sur les écoulements réactifs est faible et peut être négligée par les concepteurs. Toutefois, dans les systèmes où les flammes sont proches des parois, les interactions sont alors importantes. C’est le cas dans les moteurs de voiture où une température élevée d’une paroi peut provoquer un auto-allumage local non désiré. Si ce phénomène se produit de nombreuses fois, il peut mener à l’usure prématurée du moteur voir à sa destruction. Connaître précisément la température des parois est donc un enjeu important pour les concepteurs d’une part pour s’assurer de la bonne durée de vie des éléments (non détérioration par la chaleur) et d’autre part du bon fonctionnement des systèmes (flamme localisée au bon endroit).
Les simulations multiphysiques
Aujourd’hui, dans les phases de conception, les ingénieurs utilisent le calcul scientifique qui permet, grâce à des codes de simulation, de prédire le comportement de systèmes. Issus de spécialistes dans des disciplines données, ces codes de calcul traitent généralement un nombre restreint de physiques. Prédire numériquement ces phénomènes couplés requiert donc d’apprendre à faire « rediscuter » les physiques que l’on a séparés. Ce constat est valable autant pour les ingénieurs spécialisés dans les divers domaines que pour les codes de calcul eux-mêmes. On parle alors de simulations multiphysiques.
Pour concevoir de tels logiciels, deux grandes approches sont utilisées. La première consiste à écrire un nouveau code qui permet la résolution jointe de tous les phénomènes à considérer. Bien que très efficace si elle est bien réalisée, cette méthode est souvent peu évolutive et ne permet pas de bénéficier intégralement des avancées réalisées dans les communautés scientifiques sur les méthodes les plus optimales pour résoudre les équations des physiques. De plus, de tels redéveloppements ne bénéficient pas des efforts menés dans les laboratoires et chez les industriels pour valider les codes et gagner en maturité sur leur utilisation.
Une alternative est d’utiliser des codes existants validés et optimisés pour les physiques à traiter et de les coupler sur leurs interfaces communes. Une telle approche demande d’étudier deux aspects principaux qui influent sur la qualité des résultats et les temps de retour des simulations. Le premier concerne les conditions de raccords entre les physiques à traiter. En effet, le couplage entre les physiques est réalisé au travers de conditions aux limites et de termes sources dans les équations. Il est impératif de judicieusement les choisir et de les combiner afin de reproduire fidèlement le système couplé.
Il en résulte une nouvelle discipline scientifique visant à mettre en place des jeux d’équations consistants qu’il s’agira de résoudre de manière adéquate : il s’agit de garantir que le résultat obtenu par ces simulations aura un sens physique. Le second volet à traiter dans l’approche de couplage de codes est l’outil informatique permettant d’échanger des informations entre les solveurs existants. Pour cela, les communautés scientifiques ont développé des outils nommés coupleurs permettant de gérer efficacement l’exécution des codes ainsi que l’échange de données directement en mémoire sur les ordinateurs.
Florent Duchaine, Chercheur senior, dynamique des fluides numérique, multiphysique, Cerfacs
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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