« Narcorruption » : comment éviter que la France ne bascule vers un narco-État ?

Par Germain de Lupiac
6 janvier 2025 03:52 Mis à jour: 6 janvier 2025 23:27

En mai 2024, une commission d’enquête sénatoriale a auditionné plusieurs dizaines de spécialistes qui ont témoigné d’une corruption grandissante dans notre pays sur fond de trafic de drogue.

La commission a estimé que l’un des phénomènes les plus préoccupants qu’ils ont pu observer lors de leurs travaux, est la montée en puissance de la corruption qui pèse sur les services de l’État.

Selon le sénateur LR du Rhône Étienne Blanc, «la corruption est ce qui nous achemine vers un statut de narco-État», c’est-à-dire un État dans lequel le narcotrafic a une influence sur la puissance publique.

Un écho relayé pour le nouveau ministre de la Justice, Gérald Darmanin, affirmant que les narcotrafiquants ont désormais assez de moyens pour « corrompre » les agents ou les menacer.

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Un nouveau groupe d’enquêteurs dédiés à la lutte contre la « narcorruption »

La police judiciaire va mettre en place un groupe d’enquêteurs dédiés à la lutte contre la « narcorruption », la corruption liée au narcotrafic, devenue l’une des « premières armes » du crime organisé, a indiqué le chef de l’office chargé de la lutte contre la grande délinquance financière.

Ces enquêteurs seront intégrés aux effectifs de l’OCLCIFF de la Direction nationale de la police judiciaire (DNPJ). Cet office central, chargé d’enquêter notamment sur les dossiers politico-financiers ou de fraude fiscale les plus complexes, fête cette année ses dix ans.

« Ces dernières années, les questions d’atteintes à la probité, de corruption » ont pris de l’importance dans les activités de l’office, notamment dans le champ du crime organisé, note auprès de l’AFP Alexis Durand, chef par interim de l’OCLCIFF.

« Aujourd’hui, la corruption est probablement devenue la première arme utilisée par les groupes criminels organisés », ajoute le commissaire divisionnaire. Il s’agit d’une « arme silencieuse, discrète, difficile à détecter », poursuit-il.

Le nouveau groupe, constitué de sept enquêteurs, sur un effectif total de 80 agents environ à l’OCLCIFF, a vocation à être mis en place début 2025. Son objectif sera de « mieux détecter ces infractions et d’utiliser toutes les techniques d’investigation possibles », ajoute Alexis Durand.

Les agents publics et privés concernés par la narcorruption

Le crime organisé est capable de corrompre des « agents publics », mais aussi « privés », souligne Alexis Durand. « On parle beaucoup des dockers », mais il y a aussi des questions sur « les plateformes aéroportuaires, où des entreprises privées peuvent favoriser l’accès à certains lieux. Même chose avec des entreprises de logistique qui vont intervenir sur des ports », développe-t-il.

Les narcotrafiquants « vont avoir recours à des moyens corruptifs de plus en plus évolués ». Ils peuvent par exemple « faire appel à des brokers, des intermédiaires, qui vont mettre en relation des trafiquants avec des autorités publiques ou des acteurs privés », poursuit-il.

L’Office travaille déjà sur plusieurs dossiers de corruption liée à la criminalité organisée. Il enquête par exemple – dans le cadre d’investigations internationales – sur des soupçons d’effacement de notices rouges Interpol, visant des fugitifs internationaux liés au crime organisé, via une tentative de corruption de fonctionnaires.

La corruption en tête des infractions pénales dans les affaires d’atteinte à la probité

La corruption était l’infraction pénale la plus représentée dans les affaires jugées en première instance pour des atteintes à la probité en 2021 et 2022, suivie de celle de détournement de fonds ou de biens publics, selon une étude de l’Agence française anticorruption (AFA).

La corruption, active ou passive, est l’incrimination pénale la plus représentée parmi les atteintes à la probité, représentant 36,9 % des infractions et 29,2 % des affaires. La corruption des agents publics concerne 67,25 % des affaires, suivie par la corruption privée (24,56 %). La corruption liée aux élus publics (5,85 %) et la corruption liée à la justice (1,75 %) viennent ensuite.

Dans le détail, les collectivités territoriales concentrent près de la moitié des décisions de justice impliquant le secteur public, suivies des administrations centrales et déconcentrées de l’État (24,3 %), « avec une prédominance des services assurant des fonctions régaliennes », telles que les forces de sécurité intérieure, la justice (administration pénitentiaire) et les finances publiques.

Dans le secteur privé, les secteurs des activités spécialisées, scientifiques et techniques – activités juridiques et comptables, gestion, architecture, publicité et marchés publics – (15,4 % des décisions) et de la construction (14,5 %) sont les plus exposés aux atteintes à la probité.

Un exemple de corruption à la prison de Meaux 

Deux hommes ont été mis en examen à Paris dans l’enquête portant sur un réseau de corruption démantelé au sein de la prison de Meaux (Seine-et-Marne), a indiqué début novembre le parquet de Paris.

Les deux sont poursuivis pour complicité d’escroquerie au jugement en bande organisée et pour corruption active d’une personne chargée de mission de service public – le tout en récidive légale. Ils ont également été mis en examen pour association de malfaiteurs délictuelle.

Avec ces deux nouvelles mises en examen, le nombre de suspects monte à huit dans cette affaire illustrant le risque grandissant « de corruption au sein de nos propres institutions en lien avec la criminalité organisée », comme l’avait exprimé la procureure de Paris, Laure Beccuau, au moment des premières arrestations en décembre 2023.

L’année dernière, six personnes, dont deux travaillaient au centre pénitentiaire de Meaux, ont été mises en examen. Parmi elles, une greffière de l’administration pénitentiaire qui est soupçonnée d’avoir, au cours de l’année 2021 à la prison de Meaux, modifié des fiches pénales et de ne pas avoir transmis des demandes, ce qui aurait eu pour conséquence de faire tomber des mandats de dépôt, avaient raconté en décembre 2023 deux sources proches du dossier.

La greffière aurait été approchée par des détenus afin de les faire sortir, d’abord sur le ton de la plaisanterie, puis aurait été menacée et intimidée pour exécuter leurs demandes, avait précisé une source proche de l’enquête. Les bénéficiaires ou potentiels bénéficiaires, aussi mis en examen, sont trois  « gros profils » du trafic de drogue, d’après une source proche du dossier.

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« Nous sommes dans un point de bascule pour la République », alerte Gérald Darmanin

 

Le ministre de la Justice Gérald Darmanin était en visite à Marseille la semaine dernière et a dit vouloir « taper au portefeuille » les narcotrafiquants qui ont désormais assez de moyens pour « corrompre » les agents ou les menacer.

« Quand la criminalité organisée a assez de moyens pour avoir des réseaux téléphoniques parallèles, pour avoir des circuits de financement à l’étranger, pour pouvoir mettre de l’argent dans […] l’immobilier, la restauration, […] et pour pouvoir corrompre des agents ou les menacer, […] nous sommes dans un point de bascule pour la République et nous devons collectivement nous réveiller. »

« Nous sommes en train de perdre la guerre contre les trafiquants à Marseille » s’alarmait Isabelle Fort, la responsable du service « Criminalité organisée » du parquet de Marseille, début mars.

Selon le président du tribunal judiciaire de Marseille Olivier Leurent, les narcotrafiquants disposent maintenant de moyens financiers, humains, technologiques considérables : « Il y va de notre État de droit et notre stabilité républicaine », a-t-il martelé.

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