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Narcotrafic : « On se demande si ce n’est pas la fin d’un monde tranquille et un déclin de civilisation », selon Jean-Christophe Couvy

juin 3, 2024 13:14, Last Updated: juin 3, 2024 13:14
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ENTRETIEN – Le trafic de drogue explose en France. L’expert associé au département sécurité défense du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), Michel Gandilhon déclarait à Epoch Times en avril « qu’entre 2010 et 2017, le chiffre d’affaires du marché des drogues illicites a doublé en France ». Un trafic entraînant avec lui une violence extrême. Il y a une dizaine de jours, un jeune individu connu pour des infractions liés aux produits stupéfiants et vols, a lancé une grenade à Aubervilliers. Un homme de 40 ans a été grièvement blessé, son bras arraché. Le secrétaire national du syndicat Unité SGP Police, Jean-Christophe Couvy revient sur cette violence.

Epoch Times – Jean-Christophe Couvy, comment expliquez-vous ce tel niveau de violence dans le trafic de drogue ?

Jean-Christophe Couvy – Il faut comprendre que l’argent est le nerf de la guerre et que les narcotrafiquants sont des « auto-entrepreneurs ». Ils fonctionnent comme s’ils étaient à la tête d’une entreprise. Ils ont des parts de marché, doivent s’étendre et donc gagner énormément d’argent. Selon Bercy, le trafic génère entre 3 milliards et demi et 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an. Imaginez un peu les revenus des narcotrafiquants…

Les experts évaluent à 21.000 le nombre d’emplois à temps plein généré par le trafic de drogue. Et au-delà de ces emplois, il « occupe » 240.000 personnes sur tout le territoire. Le narcotrafic est pratiquement la première entreprise française en termes de revenus et en nombre de personnes employés. C’est démentiel.

La plupart des ressources humaines des narcotrafiquants proviennent des quartiers. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils les enclavent. L’idée étant de garder des ressources humaines pour le réseau et de s’étendre. Quand ils atteignent un plafond de verre en matière de vente de produits stupéfiants comme à Marseille, ils vont chercher du potentiel ailleurs. Voilà pourquoi, on voit le milieu marseillais s’étendre et remonter sur Nîmes, Avignon, Montpellier, etc.

Avez-vous constaté avec les années une évolution du profil de ces narcotrafiquants ? Sont-ils plus jeunes ?

Oui. Les narcotrafiquants ciblent les jeunes parce qu’ils ont bien compris que les mineurs ne risquaient pas grand-chose sur le plan pénal. Ils ne sont pas assez punis par la justice. Malheureusement, il n’y a pas une réponse pénale assez forte pour enrayer tout ce trafic.

En plus, le trafic est très attractif pour la jeunesse d’un point de vue financier. Un guetteur est payé 80 € par jour, un vendeur, 150 € et un gérant, celui qui s’occupe d’une cité et d’un point de deal, gagne au minimum 5.000 € par mois. Donc, tout ceci déclenche énormément de passion chez les jeunes. Ils préfèrent gagner de l’argent de cette manière que d’aller travailler.

Vous avez parlé il y a quelques jours de « déclin de civilisation »…

Je crois que cela concerne l’ensemble de la société et pas seulement le narcotrafic. De nos jours, les gens ne se parlent plus, se crient dessus, s’insultent voire, s’entretuent. Il n’y a plus de débats et de discussions.

Il y a aussi chez certains jeunes, une violence exacerbée et désinhibée. Ils n’ont plus d’empathie. Aujourd’hui, il y a des exécutions dans la rue. Nous savons que des enfants sont pris en otage par des dealers et malheureusement torturés. À un moment donné, on se demande si ce n’est pas la fin d’un monde tranquille qu’on a connu et donc un déclin de civilisation. Jusqu’où va aller cette violence exacerbée qui est désormais en bas de chez nous ?

Je suis originaire de Périgueux, une ville de taille moyenne de 35.000 habitants et à l’époque, je ne voyais pas ce que je vois aujourd’hui. Les habitants non plus. Toute la violence était cantonnée dans les grandes agglomérations ou quelques cités un peu problématiques. Maintenant, des villes moyennes comme Le Mans ou Verdun sont touchées. Il y a quelque temps, à Verdun, qui est une ville de 16.000 habitants, des règlements de comptes avec des rafales de kalachnikov ont eu lieu.

Je pense que l’État est aujourd’hui dépassé et ne sait pas comment réagir. C’est très difficile puisque, soit l’État réagit de manière trop forte et prive les citoyens de libertés et risque de dériver vers un régime autocratique, soit il agit dans le cadre de la démocratie, mais dans ces conditions, il faut avoir une réponse très ferme. Or, aujourd’hui, nous manquons cruellement de places de prisons et la justice n’a pas réellement évolué. Le logiciel est toujours le même, et force est de constater que cela ne marche plus. L’État a du mal à enrayer la violence, notamment chez les jeunes.

Quel regard portez-vous sur la politique du gouvernement et plus précisément celle de Gérald Darmanin pour lutter contre le trafic de drogue ? Les opérations place nette XXL, par exemple.

Ces opérations ont leur intérêt puisqu’il faut bien montrer aux dealers, aux délinquants, mais aussi aux citoyens, que l’État réagit. Ce n’est pas seulement de la communication ; elles nous permettent de récupérer des produits stupéfiants et des armes, par exemple. Aujourd’hui, il y a des cités qui respirent, comme celle de la Paternelle à Marseille.

Ensuite, quand vous luttez avec les moyens d’une démocratie, il vous faut du temps, en particulier pour mener des enquêtes. Vous devez travailler sur le temps long. C’est le rôle de la police judiciaire.

Mais le temps long n’est ni le temps médiatique ni politique. Le politique veut des résultats tout de suite pour montrer à l’opinion publique qu’il agit, alors que le policier travaille longtemps pour amasser des preuves solides. Si nous amassons des preuves insuffisantes, les magistrats classent l’affaire et les individus mis en cause sont relâchés. Et à la fin, nous travaillons pour rien.

Il y a à la fois, le temps court, politique et médiatique, et le temps long, policier.

Les Jeux olympiques sont menacés par la cybercriminalité. Lors des Jeux de Tokyo en 2021, 450 millions de cyberattaques avaient été recensées. Craignez-vous une vague importante de ce type d’attaques à Paris cet été ?

Nous ne sommes effectivement pas à l’abri de ce type d’attaques. D’ailleurs, lors du Beauvau de la sécurité, Gérald Darmanin avait annoncé que 15 milliards d’euros allaient être investis sur dix ans et est inclus dans ces 15 milliards, la lutte contre la cybercriminalité.

Nous ne sommes également pas à l’abri d’une attaque de drones et on voit ce que ces engins sont capables de faire en Ukraine. Même des indépendantistes en Nouvelle-Calédonie en utilisent pour localiser des policiers ou des gendarmes. Le logiciel des terroristes et des délinquants n’est plus le même. Ils voient les moyens dont nous disposons, repèrent nos failles et ont toujours un coup d’avance sur une démocratie.

La démocratie a des lois, ne peut pas réagir rapidement et doit s’adapter. C’est pour cela que nous devons recruter du personnel au niveau, et ce recrutement peut passer par des contrats, de la formation en interne et des spécialisations de plus en plus pointues. Nous allons peut-être avoir besoin également de profils plus scientifiques. Nous devons nous adapter aux enjeux de demain.

Comment la police est-elle préparée pour lutter contre les hackers ?

Nous nous y préparons avec de la technologie qui doit être à notre service. Cependant, nous nous heurtons à des résistances. Par exemple, les caméras de vidéosurveillance augmentées qui utilisent la reconnaissance faciale sont dénoncées par certaines associations comme la Ligue des droits de l’Homme qui crient à la dérive liberticide. Et cela pose un problème.

Quoi qu’il en soit, comme je le dis régulièrement, dans une démocratie, la loi doit fixer les limites et nous devons nous adapter.

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