EUROPE

Navire espion russe en mer du Nord: quelles menaces pour les infrastructures sous-marines ?

mai 8, 2023 13:29, Last Updated: mai 8, 2023 13:29
By Christian Bueger, University of Copenhagen

Un documentaire produit par un collectif de radiodiffuseurs publics de Suède, du Danemark, de Finlande et de Norvège a révélé ce qui apparaît comme une menace profonde pour les infrastructures énergétiques et de communication en mer du Nord et dans la région de la Baltique.

Le documentaire The Shadow War montre notamment un navire de recherche russe, l’Amiral Vladimirsky, qui recueillerait des données sur des parcs éoliens, des gazoducs, des câbles électriques et des câbles Internet.

Le film, qui a fait l’objet d’une large couverture médiatique, affirme que la Russie cartographie systématiquement les infrastructures maritimes en mer du Nord afin d’en identifier les points faibles – par exemple, les endroits où se croisent les pipelines et les câbles Internet sous-marins, ce qui faciliterait une opération de sabotage si le Kremlin le jugeait nécessaire.

Ces révélations n’apprennent rien de nouveau aux experts en sécurité maritime : nous savons depuis longtemps que les forces russes cartographient les infrastructures maritimes, notamment les parcs éoliens, les câbles de communication et les pipelines. Même dans les années 1990 et 2000, lorsque l’OTAN et la Russie coopéraient sur certaines questions de sécurité, les activités d’espionnage russes dans les eaux nordiques n’avaient pas cessé. En 2013, j’ai embarqué sur un navire de la Royal Navy en mer du Nord, dont la mission consistait notamment à repérer les navires espions russes.

Mais depuis l’occupation de la Crimée par la Russie en 2014, ces activités se sont intensifiées. Dans les eaux européennes, y compris dans les eaux irlandaises et portugaises et en Méditerranée, des navires russes ont été repérés en train de mener des opérations de renseignement.

Le sabotage du gazoduc Nord Stream

En septembre 2022, le sabotage du gazoduc Nord Stream, qui a gravement endommagé cet important gazoduc dans la mer Baltique, et dont les responsables n’ont toujours pas été identifiés, a suscité de vives inquiétudes à l’Ouest quant aux dommages qu’une puissance hostile pourrait causer en détruisant ou en perturbant des infrastructures énergétiques ou de communication disposées au fond des mers.

L’OTAN et l’UE ont mis en place des plans ambitieux pour améliorer la résilience des infrastructures maritimes. Les deux organisations ont créé de nouveaux groupes de travail et organes de coordination afin d’élaborer de meilleures stratégies de protection et de coordonner les agences civiles et militaires.

En mars, la Commission européenne a publié un plan d’action ambitieux dans le cadre de la stratégie de sécurité maritime de l’UE actualisée. Il prévoit des études pour identifier les vulnérabilités les plus graves et pour améliorer leur surveillance. Mais tous ces projets vont-ils assez loin ?

Pourquoi la mer du Nord est-elle si importante ?

Les réserves de gaz et de pétrole de la mer du Nord constituent une ressource importante pour l’ensemble du marché européen de l’énergie.

Les efforts croissants consacrés à la production d’énergie verte renforcent encore cette dimension stratégique. Plus de 40 parcs éoliens sont implantés dans la région et, les conditions étant idéales pour l’énergie éolienne, les installations se développent continuellement et rapidement. La mer du Nord joue donc un rôle essentiel pour réduire la dépendance des pays européens aux combustibles fossiles et diminuer les émissions de CO2.

Le documentaire retrace les mouvements du « navire espion » russe Amiral Vladimirsky.

The Shadow War

Compte tenu des soupçons qui pèsent aujourd’hui sur les services de renseignement russes et les activités de sabotage possibles, la mer du Nord doit désormais être considérée comme un espace particulièrement vulnérable.

Un acte de sabotage concerté, endommageant les câbles électriques sous-marins, par exemple, peut considérablement nuire aux marchés de l’énergie. La coupure des câbles de données sous-marins peut limiter la connectivité Internet, y compris de part et d’autre de l’Atlantique, puisque d’importants câbles de données relient, par exemple, le Danemark et les États-Unis.

Les réparations en mer sont coûteuses car elles nécessitent des navires spécialisés, qui ne peuvent opérer que si les conditions météorologiques le permettent. Or la mer du Nord constitue un environnement difficile.

Les initiatives récentes de l’OTAN et de l’UE sont axées sur l’amélioration de la surveillance. Elles visent à améliorer la détection des activités suspectes, telles que celles rapportées par le film documentaire nordique. Les satellites, les radars et les patrouilles, y compris de drones, la vidéosurveillance de toutes les infrastructures mais aussi les contributions des usagers de la mer, tels que les pêcheurs qui signalent des activités suspectes, peuvent grandement contribuer à améliorer la sensibilisation générale.

Cela peut contribuer à des réponses rapides et peut également avoir un effet dissuasif. L’échange d’informations entre États et entre les puissances publiques et les industriels est primordial. L’OTAN, l’UE, le Royaume-Uni et la Norvège doivent travailler en étroite collaboration, car aucun d’entre eux ne peut se charger seul de la sécurité des mers nordiques. Il est nécessaire de rassembler différentes sources d’information afin d’identifier les déplacements de navires suspects.

Importance d’une réparation rapide

La question des réparations des infrastructures endommagées est un aspect souvent négligé. Pourtant, en cas de dégradation de ces infrastructures, il est essentiel de pouvoir réparer les dégâts le plus rapidement possible afin de revenir à la normale. De plus, s’il existe une capacité de réparation avérée dans la région, cela réduit la valeur stratégique – et donc la probabilité – d’une attaque.

Mais à l’heure actuelle, ces capacités de réparation essentielles, telles que les navires de réparation spécialisés et les dépôts de câbles, sont très limitées en Europe.

De nouveaux modèles de collaboration entre les responsables des politiques sécuritaires et les industriels sont nécessaires pour développer des capacités de réparation à la hauteur du danger. Il pourrait s’agir de partenariats public-privé qui exploiteraient des navires de réparation et seraient susceptibles de réagir rapidement et de façon adéquate en cas de crise. Cela présenterait le double avantage d’améliorer les capacités de réparation et, peut-être, en même temps, d’améliorer l’efficacité des infrastructures concernées, en réduisant les temps de réparation – en mer du Nord et ailleurs.

Article écrit par Christian Bueger, Professor of International Relations, University of Copenhagen

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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