ENTRETIEN – Aude Denizot est professeure agrégée en droit privé à l’Université du Mans et auteure de Pourquoi nos étudiants ne savent-ils plus écrire (Enrick B, 2022). Elle répond aux questions d’Epoch Times sur les causes de la baisse du niveau des élèves.
Epoch Times : Il y a un mois, 12 millions d’élèves d’école primaire, de collège et de lycée faisaient leur rentrée dans un contexte politique inédit d’absence de gouvernement. Entre temps, Michel Barnier est devenu le nouveau Premier ministre et la député macroniste Anne Genetet a été nommée ministre de l’Éducation nationale, succédant à Nicole Belloubet. Comment avez-vous accueilli la nomination d’Anne Genetet ?
Aude Denizot : J’ai très mal accueilli sa nomination. Je ne vois pas très bien ce qu’elle vient faire au ministère de l’Éducation nationale. Elle n’a jamais travaillé sur les sujets relatifs à l’éducation. Elle a annoncé qu’elle allait « maintenir le cap ». Ce qui est assez inquiétant quand on connaît l’état dans lequel se trouve l’école de la République.
Par ailleurs, elle a déclaré qu’elle allait s’attacher à la santé mentale des élèves. Pourquoi pas ! Il faudrait peut-être avant se demander pourquoi ils vont si mal…
La ministre s’est également prononcée sur l’importance du numérique à l’école. Des propos qui, en 2024, me paraissent complètement dépassés.
Mais ce qui m’a le plus surpris, c’est sa réaction immédiate à la pétition lancée par un « Tiktoker » sur la fin des cours à midi. La ministre est censée représenter un ministère, une institution. Si elle veut échanger avec des jeunes, je ne dis pas non, mais cela fait 30 ans que des professeurs écrivent des livres en alertant sur la situation de l’école, et jamais le ministère ne nous a invités à l’Hôtel de Rochechouart pour évoquer ces alertes.
C’est donc assez curieux que le ministère ne réagisse qu’à l’occasion d’un buzz sur les réseaux sociaux.
À l’occasion de son discours de politique générale le 1er octobre, Michel Barnier a déclaré souhaiter « faire plus et mieux appel à des professeurs retraités volontaires » pour faire face au manque d’enseignants. Qu’en pensez-vous ?
Si c’est tout ce qu’il a à nous proposer, c’est vraiment lamentable. Cela veut dire que l’éducation n’est absolument pas une priorité pour ce nouveau gouvernement. Ils ne veulent pas que les choses changent ni que les élèves progressent. Cela étant, on ne peut pas dire que ce soit une mauvaise mesure. Il est toujours intéressant de faire venir des enseignants retraités, parce qu’ils ont, par définition, beaucoup d’expérience.
Malheureusement, nous ne sommes pas toujours en mesure de leur offrir un cadre pour qu’ils interviennent : un professeur retraité m’a proposé son aide, mais puisque l’université n’a pas de support juridique pour ce genre d’intervention, nous n’avons pas été en mesure de l’accueillir.
La baisse du niveau des élèves est également un sujet dont le gouvernement souhaite s’emparer. Vous avez vous-même publié en 2022 : « Pourquoi nos étudiants ne savent-ils plus écrire ? ». Par quoi se traduit cette baisse de niveau ? Que remarquez-vous chez vos étudiants ?
J’ai remarqué une baisse à tous les niveaux s’agissant de la maîtrise du français. Ils savent de moins en moins écrire : les fautes d’orthographe, de grammaire, de syntaxe et de ponctuation sont légion. Leur vocabulaire est pauvre et même la tenue du stylo n’est pas du tout maîtrisée.
Ce qui me frappe, aujourd’hui, quand les élèves me rendent leur copie, c’est de constater à quel point elles sont courtes. Je me souviens qu’au début des années 2000, elles étaient nettement plus longues.
Par ailleurs, les jeunes s’expriment de plus en plus difficilement à l’oral et peinent à comprendre certains textes difficiles.
Quelle est, selon vous, la cause principale de cette baisse de niveau ? Certains enseignants pointent du doigt les smartphones.
Les causes sont nombreuses. Évidemment, les écrans en font partie, mais on pourrait également parler de la réduction du nombre d’heures de cours consacrées aux fondamentaux, des enseignants mal payés et mal formés, etc. La liste est longue !
Je crois que, si je remonte toutes ces causes pour trouver leur source, le ministère de l’Éducation nationale a une part de responsabilité considérable. C’est-à-dire que presque toutes les causes de la baisse du niveau ont leur origine dans des politiques du ministère de l’Éducation nationale.
Je pense notamment aux méthodes d’enseignement et ce qu’on appelle le « pédagogisme ». Ce sont des méthodes absurdes et en réalité, des idéologies imposées aux professeurs. Je parle d’absurdité puisque le credo de l’Éducation nationale consiste à dire que l’enseignant n’est pas là pour transmettre des connaissances, mais pour aider l’enfant à construire lui-même ses propres savoirs.
Mais si vous laissez l’enfant construire ses propres savoirs, il n’y a pas de construction, et il n’y a pas de savoirs : c’est ce qu’on constate aujourd’hui. Il faut donc rompre avec cette religion, et transmettre des connaissances à l’enfant, pour qu’il puisse ensuite construire ses propres réflexions.
Le ministère a aussi sa part de responsabilité dans les ravages provoqués par le smartphone, en encourageant l’utilisation de cet objet dans la vie quotidienne des collégiens et lycéens. Il devient très difficile aux parents de préserver leur enfant des écrans, car c’est l’école elle-même qui oblige à l’achat du smartphone, parfois nécessaire pour faire ses devoirs ou prendre connaissance des changements d’emploi du temps.
Quelles solutions préconiseriez-vous pour rehausser le niveau ?
Je pense qu’il faudrait arrêter de compter sur les hauts fonctionnaires du ministère de l’Éducation nationale qui démolissent l’école depuis 40 ans. Il faut agir sur le terrain. C’est d’ailleurs ce que font déjà certains parents ou enseignants.
Par exemple, le 12 octobre, une institutrice qui a lancé l’association « Socrate 02 », organise une conférence à Saint-Quentin dans l’Aisne sur le thème de la réussite à l’école.
Elle travaille avec des enfants issus de milieux très défavorisés et elle les prend le soir après l’école pour les faire progresser avec des méthodes rigoureuses, intelligentes, et ça marche !
Avec de bons manuels, des cahiers, et en éloignant les enfants des écrans, on peut faire monter le niveau.
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