« Nous avons atteint une étape clé dans l’évolution de notre société » – Marie-Estelle Dupont
Marie-Estelle Dupont est psychologue clinicienne et psychothérapeute. Elle vient de publier Être parents en temps de crise – Comment restaurer l’équilibre psychique de nos enfants, aux éditions Trédaniel.
Un livre dans lequel elle analyse les séquelles de la crise sanitaire sur la santé mentale des jeunes, mais aussi la remise en question croissante de l’autorité parentale de la part de l’État ou de l’Éducation nationale.
Elle revient également sur l’émergence d’une société de contrôle et d’autorisations ainsi que sur les facteurs qui permettent au pouvoir d’obtenir l’adhésion de la population.
« Aujourd’hui, les 18-25 ans sont la tranche de la population qui va le plus mal sur le plan psychologique. La levée des mesures sanitaires n’a pas mis fin au mal-être de cette jeunesse », souligne Marie-Estelle Dupont. « Il y a une augmentation très importante de la consommation de psychotropes et des symptômes anxio-dépressifs. Il y a aussi une augmentation extrêmement importante des troubles alimentaires », ajoute-t-elle.
Selon la psychologue, « de plus en plus de jeunes adultes rentrent dans le groupe des “états limites” (personnalités borderline, notamment) », ce qui amène les cliniciens « à revoir l’étalonnage des tests de personnalité et à considérer désormais comme quasi normales des conduites déviantes, tant leur fréquence augmente ».
Alors que les conséquences des mesures prises pendant la crise sanitaire ont mis du temps à être considérées dans le débat public malgré les retours de terrain, Marie-Estelle Dupont estime que le Covid nous a fait « toucher le paroxysme d’une lecture chiffrée et statistique du vivant ».
Une vision de la médecine qui consiste à réduire la santé des individus à des données mathématiques, niant leur leur histoire, leur singularité, mais aussi leur humanité : « On est en train de vider de sa substance humaine la médecine au profit des algorithmes. »
« Quand les chiffres prennent le dessus sur la parole, on peut manipuler à l’envi, et on détruit le sujet. Ce modus operandi inhumain se fait au nom du progrès, du bien, de l’efficacité ; alors qu’il est tout-puissant et évidemment inhumain et déshumanisant. »
Pour Marie-Estelle Dupont, la crise sanitaire a également vu la mise en œuvre de « mécanismes puissants d’ingénierie sociale », notamment le nudge, une technique de suggestion prisée par certains cabinets de conseils privés, mais aussi par les autorités qui sollicitent ces cabinets dans le cadre de l’élaboration ou de la mise en œuvre des politiques publiques.
« Les régimes libéraux actuels, fortement bureaucratisés et faisant sans cesse appel à des cabinets privés pour “manager” la population telle un troupeau indifférencié, manient à merveille l’art du nudge, l’art de distiller des coups de coude aux citoyens de sorte que le troupeau aille dans la bonne direction, sans les y obliger ouvertement. »
« C’est la base de la manipulation de masse quand le régime ne veut pas passer pour dictatorial mais qu’il n’a plus de démocratique que le nom, tant la possibilité d’exercer sa souveraineté est pour le peuple réduite à peau de chagrin », poursuit la psychologue.
D’après Marie-Estelle Dupont, la crise sanitaire marque « une étape clé dans l’évolution de notre société » et « la proposition de société qui a été faite pendant le Covid, avec un crédit social important, est quelque chose qui séduit énormément les technocrates de Bruxelles. »
Selon elle, il est donc « fort probable que nous allions vers une société de plus en plus liberticide, où le moindre de nos mouvements sera enregistré et contrôlé ».
Les mécanismes d’ingénierie sociale utilisés dans le cadre de l’épidémie de Covid pourraient ainsi être reconduits à la faveur d’autres crises, énergétique, sécuritaire ou climatique : « Au nom du bien, le pire du totalitarisme sera autorisé. C’est ça qui est très préoccupant. »
« Il y a un bénéfice secondaire énorme trouvé par les politiques dans toutes les crises. Les crises sont surlignées, mises en lumière pour justifier le contrôle de la population », poursuit la clinicienne. « Tout pouvoir en place vise à se perpétuer par le contrôle des masses. La technologie est simplement venue rendre ce contrôle plus permanent, plus pernicieux et plus systématique. »
Une société orwellienne consacrant « le mariage entre le pire du socialisme et le pire du néolibéralisme » qui pourrait obtenir les faveurs d’une partie de la population, persuadée que la perte de ses libertés constitue un pis-aller face aux dangers qui menacent la société et prête à s’en remettre aveuglément à l’État pour la protéger.
« Malheureusement, beaucoup de gens sont tellement endoctrinés qu’ils pensent que nous n’avons pas le choix, que c’est très bien et que c’est ça le progrès. » Et Marie-Estelle Dupont de conclure : « On a l’impression que nous n’avons rien retenu de l’expérience totalitaire du XXe siècle et du communisme. »