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Les nouvelles routes de la soie ou la dictature chinoise à l’assaut du monde

décembre 8, 2022 17:25, Last Updated: décembre 8, 2022 17:25
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En 2015, le gouvernement du Monténégro avait signé avec une banque chinoise un contrat de prêt d’un milliard d’euros, destiné à financer la construction d’une autoroute traversant le pays et construite par une entreprise chinoise également. Outre cela, le contrat prévoyait que la compétence du règlement des litiges serait accordée à des tribunaux arbitraux chinois et qu’en cas de non-remboursement, le port de Bar, le plus important du pays, deviendrait la propriété desdites banques.

Sept ans plus tard, les travaux ont accumulé les retards, les coûts ont dérapé (26 M€ par kilomètre, contre 16 M€ en Serbie) et seuls 40 km d’autoroute sont en construction. Si l’Union européenne ne l’aide pas, le Monténégro sera pris au piège.

En 2017, les Chinois avaient déjà fait main basse sur le port de Hambota au Sri-Lanka, suite à un défaut de paiement du pays. Il s’agit, en l’espèce, d’une stratégie chinoise plus globale, pensée à l’échelle mondiale.

Un projet destiné à asseoir l’influence économique mondiale de la Chine

En 2013, la stratégie Belt and road initiative (BRI) est annoncée par le président Xi Jinping. Ce projet, aussi appelé Nouvelles routes de la soie, est d’abord pensé comme une réponse chinoise aux besoins d’infrastructures du continent eurasiatique, estimés entre 22.500 et 26.000 Mds$ pour la période 2016-2030, la Chine prévoyant (en théorie) un effort d’investissement de 1000 Mds$ pour financer des projets ferroviaires, portuaires, autoroutiers et énergétiques.

Même s’il n’existe pas de carte officielle du projet, il est possible de remarquer son ambition mondiale. Il s’agit tout d’abord d’améliorer la connectivité de l’Empire du milieu avec l’Europe, son principal client, le sud-est asiatique et le Moyen-Orient, principal pourvoyeur de ressources énergétiques avec la Russie. En somme, environ 70 pays sont concernés, représentant 60 % de la population, 30 % du PIB et 35 % du commerce mondial, ainsi que le modélise la Direction générale du Trésor :

Le premier défi majeur à relever pour le projet est d’ordre géostratégique : le détroit de Malacca concentre 80 % des importations de pétrole chinois, d’où un besoin vital de sécuriser les approvisionnements de matières premières en diversifiant les sources et les voies de transit, via une participation dans des entreprises locales ou dans le développement de projets d’infrastructures maritimes et terrestres dédiés.

Citons, par exemple et pour illustrer ce principe, la ligne ferroviaire Duisbourg-Chongqing pour le transport de fret, les prises de participation dans les ports du Pirée en Grèce ou dans le projet de port sec de Khorgos au Kazakstan. D’autres types d’infrastructures, des pipelines (Myanmar-Chine), des zones économiques spéciales (à Minsk par exemple) ou même le déploiement de la fibre optique au Pakistan, constituent un large éventail des réalisations des nouvelles routes de la soie.

Deuxième objectif majeur : accompagner la montée en gamme des industries chinoises en réduisant les coûts de transport et en facilitant la pénétration des produits chinois en Europe et dans le sud-est asiatique, mais aussi en commençant à organiser des délocalisations de proximité, pour les secteurs industriels à plus faible valeur ajoutée et là où des surcapacités sont observées.

En cela, les nouvelles routes de la soie complètent un autre programme : le plan China Manufacturing 2025 qui fixe à 45 % l’objectif de part de marché mondial de la Chine dans les terminaux mobiles, 60 % pour les fibres optiques et 80 % pour les véhicules à énergie nouvelle.

Accessoirement, le projet est aussi vu comme un levier d’internationalisation du yuan via la conclusion d’accords bilatéraux d’échange de devises (swap line) avec 36 autres États ou par la promotion des « panda-bonds », obligations en yuans émises en Chine par des émetteurs étrangers.

Acteurs principaux et tentative d’établir une nouvelle gouvernance mondiale

Ce système global est, en fait, cadenassé par l’État chinois. Il est d’abord basé sur des banques publiques puissantes, la China Development Bank (CDB) et l’Export-import Bank of China (China Exim Bank) principalement, aptes à prêter de l’argent à un pays tiers pour lui permettre de financer un projet. Entre 2013 et 2023, celles-ci ont déjà mobilisé 345 Mds$, à ajouter aux 75 Mds$ directement issus du Silk Road Fund (SRF).

De l’autre côté, des multinationales publiques cherchant à s’internationaliser comme Power China pour les travaux hydrauliques et hydroélectriques, State Grid pour le transport d’électricité, China Railway Group Ltd pour les infrastructures ferroviaires, China Railway Corporation pour l’exploitation du réseau ferré, COSCO (armateur) ou encore China Merchant Group (terminaux portuaires) agissent ainsi à la fois comme fournisseurs de produits et de services.

Troisième acteur principal, et non des moindres, l’État chinois, qui supervise le processus de négociation et de mise en œuvre des projets avec notamment des administrations comme la SASAC (agence des participations chinoises), la NDRC (Ministère du plan), la SAFE (réserves de change) et, pour les entreprises privées, le Ministère du commerce.

C’est un fait, les autorités chinoises cherchent à renforcer leur rôle dans le concert des nations et la gouvernance mondiale, notamment en contournant le G20 et l’organisation mondiale du commerce (OMC) via une diplomatie de sommets et le Belt and road forum, dont la première édition, organisée en 2017, a rassemblé 130 pays et 70 organisations.

La notion de « communauté de destin partagé pour l’humanité », élément de langage clé de Pékin, s’appuie aussi sur une diplomatie particulièrement bilatérale, qui s’organise en général en trois phases : signature d’un accord bilatéral matérialisant un soutien politique puis négociation d’un plan d’action identifiant les axes de coopération économique et enfin établissement d’un comité de pilotage chargé de mettre en œuvre des projets conjoints.

En somme, les Nouvelles routes de la soie sont un véritable projet d’internationalisation de la Chine, souvent effectué de manière agressive, et qui a le mérite de ne pas peser outre mesure sur les finances publiques chinoises, puisqu’il est source de profit. Pour les pays concernés, il s’agit d’une solution assez court-termiste, au vu des risques induits, mais qui a l’avantage de ne pas être assortie des conditions morales que ne manqueraient sans doute pas de leur imposer les pays occidentaux. De leur côté, ces clients de la Chine sont peu regardant sur les modes de fonctionnement de l’empire du milieu et de ses entreprises. Une stratégie donc réaliste, pour la Chine comme pour ses clients, impossible à mettre en œuvre dans une Europe engoncée dans des principes moraux inaptes à l’aider à faire face à la concurrence des pays émergents.

En tout état de cause, la Chine entame un processus de repolarisation du monde, basé, pour le moment, sur la concurrence commerciale. Quelques obstacles freinent encore les velléités expansionnistes du régime communiste : le détroit de Malacca – son talon d’Achille –, son statut d’atelier du monde, ainsi que sa dépendance commerciale à l’égard d’autres nations y compris occidentales. Mais pour combien de temps encore ?

Article écrit par Romain Delisle, avec l’aimable autorisation de l’IREF.

L’IREF est un « think tank » libéral et européen fondé en 2002 par des membres de la société civile issus de milieux académiques et professionnels dans le but de développer la recherche indépendante sur des sujets économiques et fiscaux. L’institut est indépendant de tout parti ou organisation politique. Il refuse le financement public.

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