Olivier Babeau : « L’application du programme de la gauche serait catastrophique pour les finances publiques »

Par Julian Herrero
12 juillet 2024 12:35 Mis à jour: 13 juillet 2024 20:28

ENTRETIEN – Dans un entretien accordé à Epoch Times, l’économiste et président de l’institut Sapiens Olivier Babeau, analyse le programme économique du Nouveau Front populaire.

Epoch Times : Le Nouveau Front populaire est arrivé en tête du second tour des élections législatives et certaines personnalités qui en sont issues pourraient intégrer le futur gouvernement. L’une d’entre elles pourrait également devenir Premier ministre. Le programme économique du NFP prévoit notamment 150 milliards d’euros de nouvelles dépenses d’ici à 2027. Au regard de la situation économique actuelle de la France, la gauche unie peut-elle appliquer son programme ? Quelles seraient les conséquences pour la France à l’international ?

Olivier Babeau : Je pense que les formations des coalitions risquent d’être particulièrement complexes compte tenu de l’équilibre du morcellement des forces. La gauche unie ne va donc (heureusement) pas être en mesure d’appliquer son programme.

Mais même dans cette hypothèse, je crois que le NFP n’a pas réalisé la gravité de la situation économique de la France. Il promet la mise en place d’une taxe sur les superprofits, le rétablissement de l’ISF, la progressivité de l’impôt sur le revenu à 14 tranches, mais la réalité est que la France est déjà aujourd’hui l’un des pays au monde où les impôts sont les plus élevés.

Accentuer aujourd’hui la pression fiscale pourrait en réalité s’avérer contreproductif et créer un « effet Laffer » du nom de l’économiste Arthur Laffer, c’est-à-dire qu’augmenter le taux d’imposition pourrait ne pas augmenter les recettes. Tous ces nouveaux prélèvements ne garantissent en rien des recettes supplémentaires puisqu’elles ne tiennent pas compte des réactions des acteurs. En revanche, les dépenses sont quant à elles certaines, et même souvent sous-estimées.

De telles mesures risqueraient d’entraîner une explosion des dépenses sans recettes proportionnelles et donc une augmentation du déficit, avec très rapidement un coup d’arrêt qui serait donné par nos partenaires. D’ailleurs, l’agence de notation Standards & Poor’s a mis en garde la France quant à une éventuelle nouvelle dégradation de la note de la France en cas de non-réduction du déficit budgétaire. Par ailleurs, Bruxelles a déjà ouvert une procédure de déficit excessif contre la France.

Le programme économique du NFP créerait une crise sans précédent au sein de l’Europe. Les prêteurs deviendraient probablement très inquiets. Dans ce contexte, nous dépendrions plus que jamais de ceux qui acceptent de nous prêter de l’argent, et évidemment, ils nous accorderaient des prêts à des conditions très dégradées, c’est-à-dire des taux élevés.

Si la Bourse a bien réagi lundi matin après l’élection, c’est parce qu’elle ne croyait plus que le Nouveau Front populaire était en mesure d’appliquer son programme. Est-ce qu’elle se trompe ? L’avenir le dira. Quoi qu’il en soit, l’application du programme de la gauche serait catastrophique pour les finances publiques et l’économie de manière générale.

La gauche unie a promis la mise en place d’un Smic à 1600 euros. Quelles en seraient les conséquences pour les entreprises ?

Le Smic à 1600 euros est une mesure assez ubuesque puisque le NFP sait pertinemment que ce sont les petites et moyennes entreprises qui payent leurs salariés au Smic au moins autant sinon plus que les grands groupes. Elle représenterait donc pour l’employeur une augmentation de 530 euros en coût complet pour des entreprises qui ont souvent des marges assez faibles. Selon toute vraisemblance cela serait destructeur d’emplois et d’entreprises.

Le bloc de gauche nous explique que non seulement il va donner des aides spécifiques aux petites entreprises, mais en plus, les aider à faire des emprunts. C’est totalement délirant ! Il augmente les coûts de façon impérieuse, et subventionne les entreprises derrière. Il subventionne donc l’augmentation des salaires. Tout ça n’a évidemment aucun sens. En plus, le Smic français est déjà le sixième le plus élevé au monde.

Agir directement sur les salaires de manière impérieuse comme le préconise le NFP revient à agir sur le symptôme, mais pas sur la maladie.

D’autres options existent pour augmenter les salaires. Je pense à la formation, au capital humain et à l’augmentation de la productivité qui est permise par la formation et aussi par des positionnements et des marges qui sont supérieures. Augmenter les salaires de manière normative, c’est comme agir sur le thermomètre pour faire varier la température. Il faut agir sur les causes des bas salaires. Bien sûr, c’est une proposition généreuse, mais une proposition généreuse n’est pas pour autant pertinente. Malheureusement, la plupart du temps, ce genre de mesures se retourne contre ceux qu’elle est censée aider.

Le programme du NFP est malheureusement obsédé par une meilleure répartition des richesses, l’égalisation des conditions. C’est la caractéristique même des économistes qui le soutiennent. Au prix de la baisse de la prospérité générale, ils veulent plus d’égalité. Ils estiment qu’il n’y a pas encore assez de répartitions dans le pays alors que la France est l’un des pays au monde qui égalise le plus les conditions et qui a le plus de transferts sociaux.

En outre, dans son programme, la gauche ne parle jamais d’optimisation de la dépense de l’État et de la création de richesses. Deux sujets majeurs manquants… Elle ne sait pas réellement ce qu’est une entreprise, en dehors de l’idée un peu floue que le chef d’entreprise serait assis sur un tas d’or et qu’il faudrait le convaincre de donner encore plus d’argent.

C’est cette vision extrêmement naïve qui domine en réalité. Il y aura toujours assez d’argent, donc il faut demander au patron de fournir « un effort » supplémentaire. Ce qui n’a aucun sens : un patron n’embauche pas parce qu’on lui a dit que c’était bien, il embauche parce qu’il a besoin d’une compétence et qu’il la trouve.

Y a-t-il, selon vous, un parti ou une personnalité politique qui semble avoir pris la mesure de la situation économique du pays ?

Malheureusement non. Renaissance est celui qui en est le plus proche. On a vu Bruno le Maire faire un mea culpa un peu tardif sur l’état des comptes publics. Mais la macronie est paradoxale parce que depuis 2017, la dette a augmenté de presque 1000 milliards d’euros, et aujourd’hui, le gouvernement réalise que c’est un problème et qu’il faut faire de gros efforts.

Et en effet, il faut trouver 25 milliards d’euros pour boucler cette année notre budget. Cependant, je note que le gouvernement a essayé de modérer l’augmentation des impôts. Il a également de bons résultats sur la politique de l’offre du point de vue de la création d’entreprise, et en termes de baisse du taux de chômage. Sur l’emploi, le résultat est relativement bon parce qu’il s’est payé au prix fort de la dépense publique.

Cela étant, des dirigeants qui auraient réellement conscience de la situation économique du pays auraient fait un plan d’économies massif de l’État, c’est-à-dire des réformes très profondes. Ce qu’ils ont commencé à faire avec l’assurance-chômage et les retraites. Ces réformes vont dans le bon sens, mais ce n’était qu’un début timide, même si je reconnais qu’en France, il est extrêmement difficile de mener des réformes. Souvenez-vous le psychodrame qu’a provoqué la petite réforme des retraites.

Outre-Manche, la gauche a remporté les élections législatives. Le nouveau Premier ministre, Keir Starmer a promis un gouvernement à la fois « pro-business et pro-travailleurs ». Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Quand on se penche sur le programme de ce qui est appelé la gauche au Royaume-Uni, on remarque qu’il serait qualifié d’ultralibéral en France. Il y a une vraie différence de curseur entre nos deux pays. La France a un biais très à gauche sur les questions économiques. La gauche française refuse d’être catégorisée à l’extrême-gauche et se définit comme sociale-démocrate alors qu’elle ne porte aucun discours sur la création de valeur. Pour moi, ce sont les macronistes les véritables sociaux-démocrates. Ils ne sont pas du tout libéraux comme je l’entends parfois.

La différence de curseur entre la France et le Royaume-Uni s’est confirmée lors de la campagne des législatives avec le programme du NFP. J’ai eu le sentiment de revenir en arrière, au programme commun de 1981. La gauche est encore dans les logiciels de keynésianisme, de politique de « relance ». Nous avons besoin de dépense publique, mais pas comme on l’a fait pour stimuler la demande, ce qui ne fait que creuser notre déficit commercial : on a surtout besoin d’investissements très importants, notamment dans les technologies, l’IA, etc.

La gauche française n’a malheureusement jamais mis à jour ses logiciels.

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