On achève bien les superhéros

11 mars 2017 09:22 Mis à jour: 11 mars 2017 09:22

La sortie de Logan, dernière production des Studios Marvel, offre l’occasion de se pencher sur le traitement des superhéros dans l’Amérique contemporaine. Réalisé par James Mangold, à qui l’on devait déjà The Wolverine (en VF Wolverine : le combat de l’immortel), en 2013, le film résonne comme un somptueux requiem de l’imaginaire superhéroïque qui scande l’histoire des USA depuis la veille de la Seconde Guerre mondiale. Librement inspiré des comics Old Man Logan entamés par Mark Millar en 2008, il accentue les 48 ans de l’acteur Hugh Jackman pour lui faire endosser le rôle d’une icône au bout du rouleau : déchue, malade et suicidaire. The Conversation

Des héros malmenés

Les comics nous ont habitué, depuis les années 80, à un traitement toujours plus sombre, toujours moins majestueux de leurs figures emblématiques. On a été ému par l’agonie de l’Homme d’Acier sur un lit du Metropolis General Hospital, dans Superman Returns de Bryan Singer, en 2006 ; on se rappelle Bruce Wayne croupissant au fond des geôles de Bane dans The Dark Knight Rises de Christopher Nolan, en 2012.

L’ouverture de The Wolverine brossait déjà le portrait du héros en pauvre hère déclassé, traînant le deuil de son amour dans les montagnes et les forêts. Mais jusque-là le « happy ending » préservait ses droits. Cette fois, James Mangold a su mettre à profit la décision de Hugh Jackman et de James Stewart de ne plus reprendre leurs rôles respectifs de Wolverine et du Professeur Xavier pour maintenir le suspense jusqu’au bout. Le résultat est un road movie aussi éprouvant qu’émouvant, une course poursuite à l’issue incertaine, au long de laquelle le monstre griffu ne cesse de battre en brèche les espoirs engendrés dans l’esprit du public par les bandes dessinées qui l’ont vu naître.

Machines à tuer

Il est temps de distinguer la fiction de la réalité : tel est, au fond, le sens de toute l’action. Le proche avenir dans lequel Logan se déroule – l’année 2029 – nous projette dans un monde privé des mutants qui garantissaient jusque-là le triomphe du Bien sur le Mal. S’il y a bien une nouvelle génération de teenagers aux superpouvoirs, elle ne doit son existence qu’à la volonté de puissance du complexe militaro-industriel. Dans l’Amérique du XXIe siècle, les chevaliers blancs et les sombres anges d’antan ne sont plus que des machines à tuer, bonnes pour la casse sitôt qu’elles se révèlent trop humaines. Des armes de destruction massive.

L’an dernier, Batman v Superman : Dawn of Justice (en VF Batman v Superman : l’aube de la justice) de Zack Snyder interrogeait la place des superhéros dans la société contemporaine, avant de se clore sur le décès du Kryptonien. La sénatrice Finch y opposait les devoirs de Superman à ses pouvoirs, et déplorait l’absence de tout contrôle démocratique sur son action. Batman y redoutait par principe la toute-puissance de son concurrent, estimant inévitable qu’elle soit un jour dévoyée.

Le rêve américain s’assombrit.
Warner Bros. France/Allociné

Superman lui-même y dénonçait la violence du Dark Knight et sa tendance à se considérer au-dessus des lois. C’est que le bien, dans son exercice pratique, n’est pas aussi aisé à discerner qu’on le croit. Il a sa part d’ombre, ses ambivalences. On ne saurait être à la fois tout-puissant et infiniment bon, comme le déclare avec délectation Lex Luthor, ennemi juré de Superman, dont l’entreprise criminelle est seule à profiter de ce climat de défiance.

Un thermomètre des mentalités américaines

Peut-on croire encore aux superhéros, dès lors que, dans l’accomplissement de leur mission sociale ils ne peuvent être irréprochables ? « Superman n’existe pas, ce n’est que le rêve d’un fermier du Kansas », explique Clark Kent en personne, dans une vibrante remise en question. Ce rêve, celui de l’homme qui l’a élevé, qui lui a enseigné la morale humaniste de l’Amérique, c’est celui-là même que les publications de DC et Marvel ont longtemps entretenu. C’est aussi celui qu’elles fracassent depuis quelque temps contre le mur des réalités.

Ce rêve de fermier du Kansas, c’est celui de l’Amérique rurale qui a voté à 62 % en faveur de Donald Trump à la présidentielle américaine de novembre dernier. Les comics ont toujours été un excellent thermomètre des mentalités américaines. De toutes les productions culturelles de l’Union, elles sont parmi les plus explicitement socialisées.

La décrépitude de Logan n’est autre que le symptôme d’une crise profonde de l’imaginaire héroïque, qui ronge les USA depuis la chute du mur de Berlin et, plus encore, depuis les attentats du 11 septembre 2001.

La perte de l’ennemi historique a, dans un premier temps, contribué à brouiller les vieux schémas manichéens, faute de Mal clairement identifié. La guerre contre le terrorisme et les effets du Patriot Act sont venus, par la suite, compliquer encore la situation de l’Empire autoproclamé du Bien, en l’amenant à mesurer ses propres manquements aux valeurs qui le fondent. La présidence de Barack Obama a certes contribué à redresser l’image du pays, mais sans restaurer tout à fait une confiance gravement entamée, et même en soulignant parfois les torts accumulés. On sait, par exemple, combien la promesse non tenue de fermer le camp de Guantánamo est restée comme une épine dans le pied du quarante-quatrième locataire de la Maison-Blanche.

Un dessin issu du comic « Old Man Logan » Wolverine # 67, septembre 2008

Le clair-obscur dans lequel ont évolué les superhéros au long de ces décennies reflète la mauvaise conscience accumulée dans un combat douteux. Ce qui mine Logan, de son propre aveu, c’est le mal qu’il a été amené à faire au gré de ses mésaventures – c’est en un mot sa culpabilité.

On peut triompher de la culpabilité par la repentance et la rédemption ; telle est la voie dans laquelle s’était engagé Barack Obama. On peut aussi tenter de la nier en se réfugiant dans la nostalgie d’un passé mythifié où elle n’avait pas cours ; c’est, au fond, ce que Donald Trump a proposé à ses électeurs, c’est du moins ce qu’ils semblent avoir entendu.

On souligne à juste titre la rhétorique de la peur que le magnat agite au quotidien. Mais elle est avant tout prétexte au déploiement d’une ambition de puissance dont témoigne le récent projet de relever d’environ 9 % les budgets d’armement. « Quand j’étais jeune, on disait que l’Amérique ne perdait jamais une guerre », argumente-t-il, occultant au passage les désastres de la Corée ou du Vietnam. Ce qui se cache derrière cette vérité alternative, ce qui séduit encore la frange la plus déboussolée de la population américaine, c’est le désir de rompre avec une époque décevante, anxiogène, pour retrouver la grandeur d’un passé imaginaire.

Une Amérique prête à tout pour ressusciter ses vieux rêves ?
Wikipedia

L’Amérique qui a élu Trump est une Amérique en deuil de ses superhéros ; une Amérique prête à tout pour les ressusciter ; une Amérique aussi éprise de ses vieilles fictions que fâchée du monde nouveau. L’imaginaire a sa cohérence interne que les foules mettent en œuvre sans toujours s’en rendre bien compte.

Il serait donc bon de ne pas oublier que, s’ils peinent à survivre au milieu de nous, les superhéros n’ont jamais été aussi à l’aise qu’au beau milieu d’un affrontement planétaire. « Qui a besoin de Superman dans un monde en paix ? » demandait Action Comics au mois de mars 1970, en imaginant déjà, dans un lointain futur, une maison de retraite pour superhéros. La question mériterait d’être posée à ceux qui rêvent de restituer à l’Homme d’Acier toute sa superbe. Par-delà le combat défensif contre le terrorisme, la symbolique trumpienne apparaît lourde de menaces belliqueuses.

Christian Chelebourg, Professeur de Littérature française et Littérature de jeunesse, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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