« On est arrivé à un stade où la dette n’est plus gérable » – Guy de la Fortelle
Guy de la Fortelle est directeur de Pando Éditions, maison d’édition indépendante spécialisée dans l’économie et la finance. Il dirige également la lettre d’information économique et financière L’Investisseur sans costume et est cofondateur du média Tocsin.
Dans cet entretien, il évoque plusieurs sujets en lien avec l’actualité économique, notamment les raisons qui ont conduit à l’explosion de la dette publique et du déficit, la destruction de nos capacités industrielles ou encore les enjeux de l’euro numérique.
Une dette exponentielle
Alors que la dette publique française s’élevait à plus de 3100 milliards d’euros en 2023, Guy de la Fortelle estime que la situation est particulièrement alarmante.
« La dette est tellement considérable et les taux sont tellement forts que les intérêts bouffent tout. Même si vous avez un solde primaire qui est positif, une fois que vous mettez les frais financiers vous vous faites démonter. Il faut gérer le flux et il faut aussi gérer le stock. Nous sommes arrivés à un stade où le stock n’est plus gérable », explique-t-il.
Outre les intérêts que l’État français doit payer chaque année pour rembourser les dette qu’il a contractées (46 milliards d’euros budgétés en 2024), Guy de la Fortelle insiste également sur l’influence dont dispose les créanciers étrangers vis-à-vis de la France.
« Nous ne sommes pas capables d’équilibrer nos comptes, nous allons chercher l’argent là où il est. Ils nous le donnent, mais ce n’est jamais gratuit. Et ce n’est pas payé demain, c’est payé tout de suite, en influence, en décisions, en perte de souveraineté. »
« Pourquoi est-ce que la dette tient ? Parce que vous avez des gens qui compensent. Ces gens ne compensent pas parce qu’ils sont gentils, parce qu’ils veulent notre bien. Ils nous disent : “Tant pis pour vous ! Je veux bien vous prêter de l’argent, mais ça ne sera pas gratuit. Je vais gagner en influence, je vais gagner des contrats.” C’est une loi de la jungle, assumée ou pas », ajoute-t-il.
« Les détenteurs de la dette prennent du pouvoir sur nous. Je ne suis pas sûr que si nous avions des finances tenues, nous aurions pris les mêmes décisions politiques depuis cinq ou dix ans », poursuit l’analyste financier.
Une dépense publique inefficace
Alors que la France compte lever 285 milliards d’euros de dettes supplémentaires sur les marchés financiers cette année, et ce bien qu’elle dispose d’un taux de prélèvements obligatoires parmi les plus élevés en Europe (43,5% du PIB en 2023), Guy de la Fortelle pointe le faible niveau d’efficacité des dépenses de l’État, dont le déficit s’élevait à 154 milliards d’euros en 2023.
« Nous dépensons du fric comme jamais, mais nos hôpitaux ne se portent pas bien, nos écoles ne se portent pas bien, notre armée ne se porte pas bien. Ce pour quoi nous sommes censés payer des impôts ne se porte pas bien », souligne-t-il.
« Pourquoi ? Parce que l’argent part en redistribution et, à mon avis, partiellement en clientélisme aussi. Ça veut dire : votez pour moi et vous aurez un billet. »
Pour réduire le déficit public « sans appauvrir tout le monde », Guy de la Fortelle estime qu’il convient de limiter les dépenses sociales tout en créant des emplois afin d’augmenter la création de richesse. Pour ce faire, il considère qu’il est indispensable de « reprendre la main sur nos frontières et de faire revenir les usines » dans l’Hexagone.
« Ça va prendre beaucoup de temps, parce que nous avons durablement détruit notre appareil industriel. Quand Emmanuel Macron vous dit que nous réindustrialisons, ce n’est que du flan. Allez demander à Duralex, allez demander à Lejaby », observe-t-il.
Le spectre de l’hyperinflation
Si l’inflation a ralenti ces derniers mois et que François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, affirme qu’elle « reviendra à 2% dans un an au plus tard », Guy de la Fortelle considère pour sa part que l’inflation pourrait au contraire repartir à la hausse, notamment si la Banque centrale européenne (BCE) décide de baisser ses taux directeurs dès le mois de juin.
Une baisse des taux pourtant nécessaire pour alléger le poids du service de la dette publique, mais aussi pour réduire les coûts de financement des banques, relancer la consommation et l’investissement.
« Nous arrivons dans un moment de grande turbulence financière potentielle. Le système financier ne peut pas continuer très longtemps avec les taux d’intérêt actuels. Tout le monde dit qu’il va falloir que les taux baissent sinon ça va exploser. Il y a tout qui craque », explique Guy de la Fortelle.
« Vous avez un vrai problème parce que si vous baissez les taux d’intérêts alors que vous avez de l’inflation, vous faites de l’hyperinflation », ajoute-t-il. « Il y a un risque hyperinflationniste très important, c’est-à-dire d’emballement terminal. »
L’euro numérique, « un carnet de rationnement géant » ?
Un risque d’hyperinflation qui pourrait, selon Guy de la Fortelle, éclairer les travaux de l’Union européenne visant à la mise en place d’un euro numérique.
« L’euro numérique est un carnet de rationnement géant. Ce carnet de rationnement géant devient absolument nécessaire à partir du moment où, si vous voulez sauver le système financier, il faut baisser les taux d’intérêt. Si vous baissez les taux vous alimentez l’inflation, et si vous alimentez l’inflation les gens n’ont plus de quoi se nourrir. De l’inflation vous passez à la pénurie, vous passez au carnet de rationnement et vous rentrez gentiment en URSS. »
En dépit d’un constat peu engageant quant à la situation économique du pays et à quelques semaines des élections européennes, le directeur de L’Investisseur sans costume se veut résolument optimiste, engageant chacun à privilégier l’initiative et la responsabilité individuelles aux sirènes des hommes politiques : « Il ne faut rien espérer d’en haut. Il ne faut pas espérer l’homme providentiel. Il n’y a absolument rien à l’horizon qui va vous sauver. La seule chose qui peut vous sauver, c’est vous. Et ça implique de changer radicalement de vision du monde par rapport à celle que l’on vous sert. »