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On n’arrête pas le progrès ! Vraiment ?

avril 11, 2018 14:21, Last Updated: avril 11, 2018 14:21
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Ce texte est publié à l’occasion du partenariat de The Conversation France avec le Collège des Bernardins autour de l’événement hebdomadaire du Mardi des Bernardins. Comprenant un cycle de 6 débats intitulé « On n’arrête pas le progrès ! Vraiment ? » animé par Didier Pourquery du 23 janvier au 27 mars. Le débat de lancement reprenant la problématique du cycle, a fait intervenir le philosophe Pascal Chabot, le directeur du musée de l’Homme, André Delpuech ; la théologienne Juliette de Dieuleveult, ainsi que le philosophe et physicien Étienne Klein.


« On n’arrête pas le progrès ! Vraiment ? » Cette formule illustre bien à la fois l’enthousiasme que suscitent les nouvelles découvertes scientifiques et technologiques et l’inquiétude grandissante envers cette course effrénée à l’innovation que plus rien ne semble pouvoir arrêter.

Les possibilités du progrès paraissent aujourd’hui illimitées. Sources d’espoir celles-ci soulèvent pourtant de nombreuses interrogations à la fois éthiques, spirituelles et philosophiques. Quel sens voulons-nous vraiment donner à ce progrès ? Comment l’employer et à quelles fins ? N’est-il pas en train d’échapper à notre maîtrise ? Doit-on le repenser ?

Le sens du progrès

S’interroger sur la notion de progrès c’est aussi et surtout questionner son sens. Le progrès n’a pas toujours été investi de la même signification. Le cours de l’histoire a directement influencé notre perception du progrès.

Dans L’idée de progrès. Une approche historique et philosophique, Pierre-André Taguieff, directeur de recherche au CNRS, s’intéresse à cette évolution. Aujourd’hui l’idée de progrès est principalement associée à l’innovation technique, scientifique.

Cette perception technoscientifique du progrès est devenue triomphante au détriment d’une approche plus humaine et institutionnelle. C’est ce déséquilibre qui serait responsable de la crise actuelle rencontrée par le progrès.

Pour clarifier le caractère multiple du progrès, Pascal Chabot choisit de distinguer le progrès utile du progrès subtil dans son livre Après le progrès. Le progrès utile, triomphant car multilinéaire, fonctionne par capitalisation. Au fondement de l’avancée technique et scientifique, on peut le qualifier de « progrès technocapitaliste ». On entend par cela que ce qui a techniquement été inventé ne nécessite pas d’être réinventé pour être intégré dans un progrès prochain. Le capital est voué à croître.

À côté de ce progrès utile, un progrès plus discret mais en lien direct avec le sens de l’existence, doit exister. Il s’agit du progrès subtil, à la fois cyclique et initiatique et incarnant le progrès humain. Ce progrès relève d’une autre logique, selon laquelle il faut « réapprendre à vivre, réinterpréter les valeurs, réinterroger le sens » au fil des époques.

Notre rapport au progrès a aussi profondément changé et ce en très peu de temps. Le sens du progrès serait ainsi parvenu à s’inverser en une seule génération. Ce changement de perception s’expliquerait par le glissement d’un jugement moral selon lequel il serait inconcevable de vouloir arrêter la marche du progrès vers un jugement plus empirique selon lequel nous ne sommes plus en mesure d’arrêter ce progrès qui nous échappe,

« comme si le progrès s’était émancipé de nos propres désirs et échappait à toute maîtrise » (Étienne Klein).

Une vision occidentalisée

Notre perception du progrès est aussi avant tout directement déterminée par notre origine, notre vision du monde et notre système de valeurs.

André Delpuech, directeur du musée de l’Homme, souligne le caractère occidentalo-centré de notre vision de progrès. Le sens que l’on donne au progrès découle directement de notre vision de la société en tant qu’homme occidental.

Ainsi, croire que les étapes de l’humanité doivent être pensées de façon linéaire relève d’une vision subjective et réductrice de l’histoire. Cette façon d’appréhender le progrès peut être discutée.

Différencier progrès et innovation

On constate une tendance de plus en plus prononcée à associer progrès à l’innovation. Or ces deux notions relèvent de réalités différentes. Le mot progrès, structurant de la modernité, aurait commencé à décliner dans les années 80 au profit du terme innovation et ce jusqu’à presque disparaître de notre vocabulaire. On assiste en ce sens à un véritable renversement sémantique selon Étienne Klein.

Progrès et innovation relèvent de deux rhétoriques qui se contredisent. L’innovation s’appuie sur l’idée de « temps corrupteur ». Il faut innover pour « maintenir le temps », « empêcher que le monde se défasse » (Étienne Klein). À l’inverse le progrès s’appuie sur l’idée de « temps constructeur ». Au nom d’une certaine conception du futur collectif, l’individu accepte de sacrifier son temps personnel.

La distinction entre les deux termes est essentielle. Le terme progrès au-delà de sa dimension technoscientifique, comprend aussi le progrès social et humain. Or le mot innovation ne comprend pas ces deux concepts. L’innovation est ici moins globalisante que le progrès.

Le progrès dans la bible

Même si le lien entre foi et progrès n’est pas évident à concevoir, ces deux termes ne sont pas pour autant totalement étrangers. Comment parler de progrès d’un point de vue théologique ?

On peut retrouver l’idée de progrès dans les Ecritures, à travers la notion de nouveauté. Cette nouveauté serait directement incarnée par la figure du Christ et par la Bonne nouvelle. Dans la Bible les notions de devenir et de genèse sont centrales et le progrès se fait en l’Homme sous l’action de Dieu. Le progrès doit être pensé comme le « rapport entre promesse et accomplissement » (Juliette de Dieuleveult). L’histoire d’Abraham illustre parfaitement cette vision.

En ce qui concerne la relation actuelle entre foi chrétienne et progrès, l’Église a cherché à développer une pensée en réponse aux avancées techniques et technologiques. La doctrine sociale de l’Église, l’attention portée aux problèmes écologiques ainsi que le critère de bien commun en sont un bon exemple.

La crise du progrès

Le XIXe siècle, bouleversé par une multitude d’avancées techniques et scientifiques, est marqué par une foi dans le progrès sans précédent. Le Progrès avec un grand P devient alors la nouvelle religion du siècle, l’annonce d’un avenir forcément radieux.

« La science semble constituer en tant qu’idéal, le fondement officiel de la société, se substituant là à l’ancien socle religieux ».

Pourtant, cette vision optimiste voire utopique s’est dégradée au fil du temps, laissant la place à une méfiance grandissante envers l’innovation. Les populations, mieux informées, deviennent en effet toujours plus sensibles aux risques engendrés par certaines découvertes scientifiques. Le progrès est critiqué et « la notion de risque a fait tomber la notion de progrès » (Étienne Klein). L’enthousiasme a laissé place à l’inquiétude en l’avenir. Il n’y a actuellement aucune proposition du futur qui soit à la fois crédible et attractive. Il est donc difficile pour les jeunes générations d’évoluer dans ce contexte d’incertitude (Étienne Klein). Pascal Chabot parle quant à lui d « innovation destructrice ».

Se propage aussi l’idée selon laquelle le progrès scientifique serait devenu une source d’assujettissement involontaire alors qu’il était auparavant synonyme d’émancipation.

Le terme progrès lui-même connaît une crise profonde.

« L’essence humaniste, la destination universelle et la vocation démocratique ayant été abandonnées au fantasme sacralisé de l’innovation » (Étienne Klein).

L’innovation devient « propagande », « argument de rhétorique » visant à persuader que la nouveauté est forcément positive.

Réinventer le progrès

Que faire alors de ce progrès en crise ? Étienne Klein est partisan d’adopter une vision plus réaliste du progrès, de séparer progrès et utopie, tout en gardant un certain « degré d’espoir ». Plutôt que de se débarrasser du progrès, il faut le repenser, le retravailler pour lui redonner du sens.

Actuellement le plus grand défi auquel nous sommes confrontés est celui de construire un futur qui tienne compte aussi bien de « ce que nous savons et de ce que nous voulons ». Il faut construire un futur dont on sait qu’il sera assorti de « zones sombres » mais cette connaissance ne doit pas pour autant être synonyme de pessimisme.

On peut aussi essayer de penser l’avenir à travers la transition Pascal Chabot. L’épuisement des ressources humaines et naturelles rend nécessaire une transition notamment écologique et démocratique. On doit peut-être laisser de côté cette perception de « progrès triomphant » et penser des modes de vie alternatifs, plus justes pour l’homme et l’environnement. Il faut enfin parvenir à inverser la prédominance de l’utile sur le subtil et à retrouver un équilibre entre ces deux facettes du progrès.

Hervé de Vaublanc, Directeur adjoint du Collège des Bernardins, Collège des Bernardins

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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