Sous le drapeau russe et les armoiries dorées, quelques taches de peinture couleur sang maculent la façade de la Maison russe des sciences et de la culture à Paris. Des dégradations isolées mais signes de l’opprobre dont la diaspora russe se sent parfois l’objet depuis l’invasion de l’Ukraine.
Le centre culturel a été la cible d’un « engin incendiaire » dans la nuit de dimanche à lundi. Et la direction a préféré suspendre la programmation des concerts. Mardi, jour férié russe, les persiennes métalliques restent tirées, la police patrouille.
Non loin de là, sur les quais cossus de la Seine, les murs du conservatoire Rachmaninov vibrent au son du piano, comme à l’accoutumée, abstraction faite de menaces de mort reçues par mail ou de la présence désormais prévue d’un vigile à l’entrée.
« Des profs se font insulter dans le métro parce qu’ils parlent russe. On est dans un amalgame total », déplore Arnaud Friley, directeur du conservatoire créé en 1923 par l’illustre musicien.
« L’hystérie anti- russe » est là
Dans l’entresol de l’immeuble, la cantine russe aux rideaux de velours rouge reste vide de clients: autre conséquence du conflit, reconnaît un serveur.
Plus radical, Konstantin Volkov, le directeur de la Maison russe des sciences, assure que « l’hystérie anti- russe » est là. « Je veux assurer la sécurité des employés », explique-t-il pour justifier la suspension de certaines activités pendant ce qu’il appelle le « temps chaud de l’opération contre les néonazis » en Ukraine, reprenant des termes du Kremlin.
Déjà, des élèves des cours de langues et de musique se sont désinscrits, concède-t-il.
Si les menaces restent rares depuis le début de l’offensive russe le 24 février en Ukraine, « des dispositifs de surveillance ont été mis en place devant certains sites en fonction de leur sensibilité et des risques évalués », résume une source sécuritaire.
La cathédrale orthodoxe russe de la Sainte- Trinité et ses imposantes coupoles dorées, près de la Tour Eiffel, est l’un des sites surveillés.
Ailleurs, la mairie de Sainte-Geneviève-des-Bois, en région parisienne, précise avoir tourné les caméras de surveillance vers l’entrée du cimetière russe, l’un des plus grand hors de Russie.
La collection Morozov exposée jusqu’au 3 avril à Paris
La fondation Louis Vuitton indique, elle, que « les mesures de sécurité maximales sont maintenues » au vu de la valeur « extraordinaire » de la collection Morozov exposée jusqu’au 3 avril à Paris.
Selon l’Insee, 73.500 immigrés russes vivaient en France en 2021. Ceux rencontrés dans la capitale témoignent d’une « russophobie » rampante et de critiques proférées hors de la seule sphère virtuelle des réseaux sociaux.
Anna, étudiante de 20 ans, raconte ainsi sous le couvert de l’anonymat, le « choc » d’entendre son médecin lui dire: « +Vous êtes contente de ce que fait votre président?+ ». « Il n’a même pas demandé pourquoi je consultais », assure-t-elle.
Comme elle, certains préfèrent faire profil bas, « ne pas réagir et ne pas commenter pour éviter les problèmes ».
Ici, un restaurant russe recouvre d’un drapeau ukrainien une matriochka, un autre poste sur les réseaux sociaux ses « condoléances pour toutes les victimes ».
« Nous sommes solidaires de l’Ukraine »
D’autres affichent ouvertement leur opposition à « la guerre de Poutine », au risque cette fois de s’attirer les foudres des partisans du régime.
C’est le cas de Natalia Turine. Dans sa Librairie du Globe défile un bandeau lumineux « we Stand with Ukraine » (« Nous sommes solidaires de l’Ukraine »).
« La diaspora vit mal, enfin ceux qui ont un peu de cœur », lance l’éditrice, qui relativise aussitôt: « ils ne sont pas plus malheureux que ceux qui sont sous les bombes et, quand même, bien mieux que ceux qui sont à Moscou et risquent quinze ans de prison pour dire une phrase de travers ».
Et d’ajouter: « les Allemands sont traités de +boches+ encore aujourd’hui. Chaque peuple porte sur ses épaules un poids, on aura notre croix à porter ».
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