« Pas de quoi être fier » : Christine Sourgins, historienne de l’art, passe au crible la cérémonie d’ouverture des JO

Par Etienne Fauchaire
31 juillet 2024 21:15 Mis à jour: 31 juillet 2024 21:15

ENTRETIEN – Historienne de l’art, Christine Sourgins a été conférencière au Louvre et dans divers musées de la ville de Paris. Dans cet entretien, elle décrypte le message de la cérémonie d’ouverture des JO, accusée d’avoir opté pour une mise en scène obscène, tourné en dérision l’héritage culturel de la France, ou encore moqué la religion chrétienne. Dénonçant la mainmise sur le monde de la culture par un milieu « de bobos très parisiens qui exclut tous les autres avec dédain », l’auteur des Mirages de l’Art contemporain (Eyrolles) rappelle toutefois que le principal responsable de ce spectacle, financé par les contribuables, est l’État, le « donneur d’ordres », et non les exécutants.

Epoch Times : À travers cette cérémonie, « on a restauré une fierté pour ce pays, pas pour son identité, mais pour son projet politique : aller de l’avant, avec une Histoire en mouvement », a déclaré sur France Inter Patrick Boucheron, architecte de la cérémonie et ennemi déclaré du « roman national » français. Comment analysez-vous le caractère politique revendiqué de ce spectacle ?

Christine Sourgins : Cette fierté sonne comme une énième « pride », mais il faut prendre l’affaire à l’endroit : un concepteur de spectacle ou un metteur en scène est parfaitement libre d’avoir un projet politique et subversif, de le monter à tel endroit et avec tels mécènes, et d’essayer de trouver du public. Cela s’appelle la liberté d’expression. Mais ici, nous avons un public mondial captif et un mécène qui n’est autre que le contribuable français (je ne crois pas avoir entendu Tony Estanguet le remercier dans son discours).

Un défilé de JO n’est donc pas un spectacle comme un autre : c’est une opération de « soft power », où un pays met en scène son image à l’international. Il est évident que le spectacle devrait, en démocratie, refléter une volonté populaire un minimum consensuelle et non permettre à des happy few d’imposer leurs lubies.

Toutefois, ce qui est stupéfiant dans les déplorations actuelles, c’est de s’en prendre aux exécutants et non au donneur d’ordres. Le seul responsable, l’État ! C’est le ministère de la Culture qu’il faudrait mettre sur la sellette en ce qui concerne la manière dont les choix culturels sont faits en France depuis des décennies, où règne l’entre-soi.

Qui (des noms !) a décidé du metteur en scène et du contenu du spectacle ? Sur quels critères ? Normalement, la République (puisque ces gens n’ont que ce mot à la bouche) organise un concours avec mise en concurrence de projets, et tout devrait finalement être rendu public, y compris les salaires et le coût final. Or, au lieu de transparence, ici, comme à l’accoutumée dans l’art dit contemporain, le copinage est maître du jeu.

La classe politique se sert régulièrement des sujets sociétaux pour faire diversion. Que ceux-ci fracturent la société importe peu : c’est le fameux diviser pour mieux régner, permettant de désigner les bons qui suivent et les mauvais qui renâclent.

Mise en scène du « trouple », une Marie-Antoinette décapitée portant sa propre tête dans ses mains, parodie de la Cène avec des drag queens… Bien des images de cette cérémonie d’ouverture ont fait polémique, en France comme à l’étranger. Quel regard portez-vous sur ces scènes ?

L’éloge du « trouple » a lieu en costumes, style mauvais Castelbajac. Concernant la décapitée qui chante « ça ira », difficile de reconnaître une reine : que la Révolution fasse partie de notre ADN, c’est une chose, mais de là à célébrer la Terreur… Qui plus est un 26 juillet, alors qu’il y a huit ans, le 26 juillet 2016, le père Hamel était quasi décapité par des terroristes !

Le bon goût fit partie de notre identité, mais M. Boucheron n’en veut plus : il l’a dit. Moralité : l’histoire de France commence en 1789, et surtout, braves gens, ayez la mémoire courte !

Revenons sur la coqueluche du moment, Aya Nakamura. Les jeunes l’adorent : alors, pourquoi pas ? Mais elle chante surtout sa propre chanson, ce qui rime avec autopromotion. Ni Lady Gaga, ni Céline Dion, ni Armanet ne l’ont fait. Que les paroles soient vulgaires n’est pas un problème, puisque les jeunes qui les comprennent ne s’en offusquent pas, tandis que ceux qui pourraient s’en offusquer ne saisissent pas un mot sur trois (c’est mon cas : j’ai bien mieux compris Lady Gaga). Bref, même devant l’Académie française, sur un malentendu, ça peut marcher.

Mais sa palpation insistante du bas-ventre a gêné même le cameraman, qui a remonté l’objectif, décadrant ainsi la main baladeuse. Du coup, le pas de danse avec la Garde républicaine, de bon enfant, prend un tout autre sens : l’uniforme cautionne ces attouchements que, depuis Me Too, les femmes reprochent aux hommes, mais qui sont pourtant exhibés fièrement ici. C’est cela, la nouvelle fierté boucheronne : faire comme Michael Jackson ?

Par ailleurs, dans un spectacle sur Paris dans le cadre des Jeux olympiques, que viendrait faire une parodie de la religieuse Cène eucharistique ? Manière de dire que la grand-messe des JO est le nouveau culte d’aujourd’hui ? Ce ne serait pas complètement faux, vu la dévotion entourant la flamme.

À l’origine, cependant, il y aurait un tableau ancien du musée Manguin, œuvre de Bijlert, intitulé ‘Le Festin des Dieux’. Le peintre du XVIIe siècle dépeint une orgie des Olympiens tout en gardant à l’esprit la Cène eucharistique, ce qui fusionne visuellement les deux motifs. Un homme de scène aurait dû anticiper que cette ambiguïté visuelle risquait de susciter la polémique (à moins qu’il n’en ait joué secrètement ?), surtout avec une drag queen barbue évoquant le ‘Mademoiselle Jésus’ de Jean-Luc Verna.

La Cène a été mille fois caricaturée, mais dans une représentation officielle financée par les contribuables — donc par les moqués potentiels —, la coupe était pleine, débordant avec un Philippe Katerine nu en Schtroumpf-Dionysos : quel rapport avec le sport ? Allusion à la nudité olympique grecque : cette nudité antique excluait les femmes des stades, il n’y a pas de quoi être fier ou nostalgique ! Pourquoi Dionysos ? Le metteur en scène explique que c’est le père de Sequana, le fleuve Seine. Bigre, voilà une nouveauté : un dieu grec enfantant une déesse celtique ! Ou serait-ce un métissage archéologique rétrospectif, inventé par « l’Histoire en mouvement » ? Katerine en bleu, pourquoi ? Le bleu d’Auvergne, paraît-il. C’est la pensée Tu-yau-de-Poil.

Ce que peut faire un auteur dans un livre, un réalisateur dans un film, ou un humoriste dans son spectacle — y compris les blasphèmes —, l’État doit se l’interdire dans ce type de cérémonie, sous peine de renoncer à sa laïcité, car laïcité signifie neutralité. Si l’État choisissait de se moquer d’une minorité religieuse (les catholiques le sont aujourd’hui), il devrait, pour éviter toute discrimination, chambrer « en même temps » l’islam et le judaïsme. Sinon, le message envoyé aux catholiques serait : aucun respect, tant que vous restez non-violents. La désinvolture peut mener au crime. La drag queen barbue s’est justifiée en disant : « On a juste voulu s’amuser ! ». L’État paye donc des gens pour s’amuser alors qu’il fait face à une dette abyssale ?

Selon Thomas Jolly, la cérémonie se voulait « inclusive » et « bienveillante ». Comment expliquez-vous le fossé entre les intentions revendiquées par le directeur artistique de ce spectacle et les attaques ressenties par de nombreux Français à l’encontre de leur culture, ainsi que par les chrétiens vis-à-vis de leur religion, à travers cette cérémonie ?

Le « en même temps » permet de dire une chose et son contraire. C’est un procédé orwellien devenu une seconde nature chez beaucoup. C’est spectacle inclusif, oui, mais du monde de bobos très parisiens qui exclut tous les autres avec dédain. Si vous exprimez des critiques, vous êtes le plouc de service, le réactionnaire, pas un adversaire mais un ennemi. Ce petit monde se proclame camp du bien, du progrès, du sens de l’histoire, de la bienveillance et de l’ouverture. Mais il est très sélectif.

Notez qu’au moment de la célébration de la sororité (qui remplace la fraternité plutôt que de s’y ajouter), le public a vu surgir des figures inconnues, mais pas la figure reconnaissable et aimée par lui : Joséphine Baker n’a pas été retenue. Elle avait un gros défaut : elle aimait la France et le chantait ! Tous les artistes d’art contemporain provoquent, prétendument pour votre bien, pour vous faire réfléchir (ce qui témoigne de leur condescendance). Et après les pires transgressions, ils jurent, la main sur le cœur, n’avoir jamais cherché à choquer.

Ce déni de réalité est également caractéristique de la classe dirigeante : après le « sentiment d’insécurité », voilà désormais le sentiment de parodie ! Toutes ces stratégies de légitimation et de manipulation sont analysées dans mon livre Les Mirages de l’Art Contemporain et reposent sur la conviction que, de nos jours, être cultivé signifie apprécier la transgression : donc si vous êtes choqué, c’est que vous n’avez pas compris ! Les excuses de la communicante des JO n’en sont pas ; réécoutez-la : ils n’ont pas voulu choquer, et si vous êtes choqué, au fond, c’est de votre faute !

Peut-on comparer l’objectif politique de cette cérémonie d’ouverture à celui du « réalisme socialiste », la doctrine officielle de l’art en URSS, qui visait à transformer la culture en une arme idéologique pour éduquer les masses ?

Non, car le réalisme socialiste jouait au moins franc-jeu : il éduquait (et rééduquait) en exaltant ses « valeurs » avec un trémolo dans la voix. Ici, c’est beaucoup plus subtil. Il y a d’abord une énergie (parfois fatigante tant elle tend à remplacer le beau), une gaieté générale, celle de l’homo festivus du regretté Philippe Muray.

Or, c’est bien connu : si c’est gai, ce n’est pas grave ! Erreur : « Ça ira » est une chanson très entraînante, mais elle incite à pendre les gens aux réverbères, ce qui fut effectivement fait ! Contrairement à une lourde et ennuyeuse cérémonie soviétique, ici, tout est incritiquable car tout tient du pâté d’alouette : une alouette, une couleuvre à avaler, deux alouettes, etc. (comme toute idéologie qui mélange le vrai et le faux).

Au début, Lady Gaga compose une Zizi crédible (même si Jeanmaire reste inimitable). L’hommage aux ouvriers de Notre-Dame est aussi réussi, comme l’idée du voleur de feu. Sauf son absence de visage, qui, comme celle de la cavalière finale, est un poncif de la diversité : pour que tout le monde puisse se reconnaître, l’anonymat prévaut, car on ne « casse des codes » que pour mieux en imposer d’autres.

On a aussi vu des personnages perchés sur des tiges oscillantes avec une grâce rappelant la poésie du spectacle de Découflé (JO de 1992), et une jeune soprano habillée d’un drapeau chantant la Marseillaise. Enfin, la vasque enflammée s’élevant dans les airs avait des allures de dessin de Ledoux (ou d’Odilon Redon avec son œil montgolfière), avec, en final, Céline Dion, poignante et puissante à la fois. Entre le début et la fin, les provocations et transgressions habituelles se faufilaient dans la joie et le dynamisme.

Impressionné par la débauche de moyens qui en met plein la vue, le public ne se rend pas compte qu’on fait chanter à la Grande Céline une chanson de Piaf où l’on entend à la fois « Dieu réunit ceux qui s’aiment » — la partie ‘alouette’ — et, auparavant, « Je renierais ma patrie / Je renierais mes amis / Si tu me le demandais’ (apparemment, c’est ce que le régime diversitaire exige). On peut bien rire de moi / Je ferais n’importe quoi… » Et c’est exactement ce qui a été fait !

Cette cérémonie d’ouverture a également provoqué une vague d’indignation à l’étranger, la presse se faisant largement le relai d’accusations de « décadence » à l’encontre de l’Occident. Par son zèle à promouvoir un art woke, la France, et plus largement l’Union européenne, ne se tire-t-elle pas une balle dans le pied d’un point de vue diplomatique ?

Ce n’est pas un malencontreux dérapage, c’est un projet délibéré. L’objectif est de dissoudre les identités nationales, et rien de mieux pour y parvenir que l’hilarité, la blague et l’humour corrosif qui sidèrent, chagrinent ou culpabilisent ; l’Empire européen semble se construire à ce prix.

Le désaveu planétaire ne gêne guère une utopie idéologique nombriliste, bien au contraire, il la renforce : si on nous critique et si cela suscite des réactions, c’est que nous avons raison ! Ce qui est comique, c’est que tous ces partisans du « toujours plus en avant » reviennent à une conception ancienne de Paris.

En effet, le Paris montré lors de la cérémonie des JO 2024 est, de manière très marquée, sexuel. Paris est une ville coquine, c’est vrai, mais pas seulement. Les seuls à avoir auparavant réduit la Capitale au « Gai Paris » furent les nazis sous l’Occupation, avec l’idée de faire de Paris une cité de plaisirs où cabarets, cinémas et lupanars servaient au repos des guerriers, aujourd’hui remplacés par les bobos… Certains historiens font l’histoire mais ignorent la véritable histoire qu’ils construisent.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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