ENTRETIENS EPOCH TIMES

Pascal Dupré : « Avant de parler de groupes de niveaux, commençons déjà par rétablir le niveau »

novembre 23, 2024 7:50, Last Updated: novembre 23, 2024 21:27
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ENTRETIEN – Le 31 octobre, les nouveaux programmes scolaires de français et mathématiques pour les élèves de cycle 1 et 2 ont été publiés au bulletin officiel. Ils entreront en vigueur à la rentrée 2025. Pascal Dupré, professeur des écoles et président du GRIP (Groupe de Réflexion Interdisciplinaire sur les Programmes) livre son regard à Epoch Times sur le contenu de ces nouveaux programmes. L’enseignant analyse également les mesures annoncées par la ministre de l’Éducation nationale Anne Genetet le 12 novembre.

Epoch Times : Pascal Dupré, ces nouveaux programmes de français et de mathématiques marquent-ils un changement majeur avec les précédents ? On sait que les fractions et les nombres décimaux vont désormais être enseignés dès le CE1 et que les enseignements du vocabulaire et de la grammaire/orthographe vont être dissociés.

Pascal Dupré – Ces programmes sont en réalité dans le prolongement de la rupture amorcée en 2008 par Xavier Darcos, alors ministre de l’Éducation nationale. Nous avons vraiment senti un changement d’orientation sous Nicolas Sarkozy, notamment en ce qui concerne l’école maternelle.

Depuis les années 1970, il y avait eu comme un délitement progressif du contenu des programmes. Par exemple à l’époque, René Haby, ministre de Valéry Giscard d’Estaing, avait mis l’accent sur le développement de la personnalité de l’enfant et le spontanéisme.

Ensuite, sous le quinquennat de François Mitterrand, Jean-Pierre Chevènement était revenu sur ces méthodes. En 1986, il avait parlé de scolarisation et de socialisation.

Malheureusement, le spontanéisme et le constructivisme sont revenus en force à partir des années 2000. Il y a eu tellement de contenus rajoutés sur ces thèmes que nous sommes arrivés, aujourd’hui, à avoir des programmes incohérents, voire contradictoires.

Je pourrais aussi vous parler des mathématiques. En 2018, j’ai participé à la mission Villani-Torossian. Ce débat nous a permis de nous pencher sur l’histoire des programmes de mathématiques depuis la fondation de l’instruction publique à la fin du XIXe siècle.

Ainsi, nous nous sommes aperçus que les principes pédagogiques de cette époque avaient été complètement abandonnés à partir des années 1970.

Il y a eu une volonté de faire table rase de la pédagogie passée pour instaurer un homme moderne en quelque sorte et créer des nouveaux programmes scolaires.

Concernant la réintroduction des fractions et des nombres décimaux dès le CE1, j’estime que c’est une bonne chose. D’ailleurs, au GRIP, nous avons toujours milité pour l’instauration de ces mesures.

Le 12 novembre, la ministre de l’Éducation nationale, Anne Genetet, a dévoilé des mesures dans le cadre de l’acte II du « Choc des savoirs », notamment l’élargissement des « groupes de besoins » aux élèves de 4e et 3e et l’obligation. Le GRIP soutient-il cette mesure ?

Avant de parler de groupes de niveaux, commençons déjà par rétablir le niveau. Cette mesure pourrait éventuellement marcher si la situation n’était pas aussi grave.

Depuis les années 2000, la mise en place des programmes s’est faite sur l’évaluation d’une liste de compétences qui relèvent davantage du savoir-faire que de contenus.

In fine, on arrive à la situation que la professeure de droit et membre du GRIP Aude Denizot dénonçait dans son ouvrage au titre explicite Pourquoi nos étudiants ne savent-ils plus écrire ? . Non seulement, ils ne savent plus écrire, mais ils ne savent plus tenir leur crayon !

« Le GRIP considère que les orientations éducatives déplorables mises en pratique, notamment en matière de programmes scolaires, depuis les années soixante, ont abouti sans surprise à la situation actuelle », est-il écrit sur le site de l’association que vous présidez. Pourriez-vous revenir en détails sur ces méthodes mises en œuvre depuis cinquante ans ?

Rappelons d’abord que depuis 1968, il y a eu une rupture : la droite a abandonné l’éducation à la gauche. Cette dernière est ainsi devenue un enjeu idéologique, instrumentalisée par certains enseignants et syndicats.

Pour parler concrètement des méthodes, je dirais que l’abandon de deux principes a porté préjudice à la langue et aux mathématiques.

Du côté de la langue, il y a eu l’abandon de l’apprentissage conjoint de la lecture et de l’écriture. Ce qui a conduit à démarrer beaucoup plus vite la lecture, mais sur des méthodes idéo-visuelles. On a mis un terme à tout ce qui était lié à la mémorisation par le geste en faisant en sorte que les mots soient reconnus comme des images par les enfants et qu’ils les écrivent comme des dessins. Par conséquent, les principes fondamentaux de tenue de crayon ou de liaison des lettres ont été mis de côté. Le lien fort entre la pensée, le geste, l’écriture et le langage a été rompu.

L’enseignement de ces méthodes a surtout duré jusque dans les années 1980. Mais aujourd’hui, on les retrouve encore dans les programmes. On demande toujours de faire reconnaître aux enfants dès la maternelle différents types d’écrits sans les faire rentrer réellement dans le code alphabétique, en favorisant ces mêmes principes idéo-visuels.

Certains enfants ne voient ça que comme émoticônes dont il faut se souvenir. Par ailleurs, ces méthodes impactent les enfants en termes de motricité fine. Un phénomène qui est accentué par le temps passé sur les écrans et l’absence de pratique de tâches manuelles telles que le bricolage ou le jardinage.

Mais il est, en réalité, très difficile d’établir un programme pour les élèves de maternelle. C’est comme si on voulait écrire un programme pour apprendre aux enfants à marcher ou à parler. Chez l’enfant, tout se fait naturellement en fonction de facteurs psychologiques et physiologiques, et pas comme un logiciel préconçu.

Je pense que pour les aider, il faut les observer et intervenir quand il y a un problème. Par exemple, quand l’enfant tient mal son crayon, nous devons vite lui apprendre comment le tenir avant qu’il ne prenne une mauvaise habitude.

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