Paterson, une ode au quotidien

1 février 2017 10:32 Mis à jour: 1 février 2017 10:43

Entre parodie et poésie, Paterson, le dernier film de Jim Jarmusch, candidat à la Palme d’or, est une ode à la vie, un poème urbain fait du quotidien.

À une époque où le rythme des films s’accélère par des images se succédant à vive allure, se pliant et se dépliant dans un tourbillon vertigineux, Paterson est une perle rare dans un océan agité, un oasis dans le désert, un film slow food, comme on les aimait, avant l’accélération de notre monde.

Ce film jarmuschien, qui ne ressemble à aucun autre, fait penser à l’un des premiers films du cinéaste, Strangers Than Paradise (1984), avec ses anti-héros, errant en noir et blanc dans un rêve américain illusoire.

Paterson est filmé en couleur mais la nostalgie vers le bon vieux cinéma en noir et blanc est omniprésente. La poésie est dominante et Jarmusch nous réserve une fin bouleversante.

On se souvient alors de Dead Man (1995), hommage du cinéaste à William Blake. Paterson est une tentative poétique tel un haïku, (impromptu japonais).

Le film, Paterson, suit une semaine de la vie d’un chauffeur de bus, nommé lui aussi Paterson (Adam Driver), et qui habite la ville de Paterson dans le New Jersey. Pendant son temps libre, Paterson écrit des poèmes. Il vit avec sa belle et aimante compagne, Laura (Golshifteh Farahani), une artiste potentielle qui se cherche encore dans l’esthétique du noir et blanc.

Amateur de poésie, Paterson s’inspire du poète Williams Carlos Williams né, lui aussi, dans un village à côté de Paterson et auteur du fameux poème épique publié en cinq volumes, Paterson.

Sur le poète et la ville

Williams Carlos Williams a influencé la poésie américaine moderne, notamment, les poètes de la Beat Generation comme de la Renaissance de San Francisco et de l’École de New York dans les années 50 et 60.

La ville de Paterson a accueilli de nombreuses célébrités et fut mentionnée dans plusieurs œuvres littéraires et cinématographiques d’Allen Ginsberg à John Updike en passant par Bob Dylan. On se souvient particulièrement du film La Rose pourpre du Caire (1985) de Woody Allen.

Les cascades de Paterson, qui étaient au cœur de l’industrie du New Jersey, sont devenues l’image centrale du poème Paterson.

Williams Carlos Williams qui a été marqué par Ulysse de James Joyce espérait faire de Paterson ce que Joyce a fait pour Dublin.

Jim Jarmusch réalise un film-poème inspiré par la poésie de Williams, basée sur le local, les objets triviaux, les petits gestes de tous les jours, les repères qui parsèment notre parcours quotidien ordinaire.

L’ode à la routine

Dans Smoke (1995) de Wayne Wang, Auggie (Hervey Keitel) photographe amateur qui tient un magasin de tabac à Brooklyn prend en photo le même coin de rue tous les matins à 8 heures. Toutes les photos se ressemblent et pourtant elles diffèrent, d’une lumière, d’une ambiance, d’un détail.

Il en est ainsi de la vie de Paterson où tous les jours se ressemblent et pourtant diffèrent. C’est dans la différence que s’infiltre la poésie.

Paterson présente une vie ordinaire des gens ordinaires dans un quartier ordinaire qui a été une fois le berceau de la poésie américaine moderne et qui est devenue une cité décrépite.

Le spectateur suit les journées de Paterson se levant chaque jour un peu plus tard. Les gros plans successifs sur la montre le précisent, alors que les légendes sur l’écran nous indiquent le jour. Il se réveille auprès de sa bien-aimée qui lui tend les bras, éclairée par la douce lumière du matin. Ensuite, il va dans la cuisine et se sert un bol de céréales. Ce matin-là, en avalant son petit-déjeûner, une boîte d’allumettes posée sur la table lui inspire un poème imagé, comme ceux de Williams Carlos Williams, son poète préféré.

Le bol de céréales fait partie d’un parcours et d’un répertoire quotidien des gestes, des objets et des lieux que le spectateur apprend dans un rythme quasi réel.

Tous les jours, Paterson se lève vers six heures, prend son bol de céréales, sort et longe les anciennes bâtisses en briques rouges. Le soir, il réajuste la boîte à lettres que le chien a renversée et déguste le nouveau plat original que sa compagne lui a préparé avec amour. Puis il promène le chien, s’arrête dans le même bar prendre une bière – et une seule, discute avec d’autres habitués et retourne chez lui. De temps en temps, il s’arrête aux cascades invoquer sa muse auprès de la ville et de Williams Carlos Williams.

Les signes prennent sens

Chaque jour, il perçoit des signes qui n’ont pas de sens, comme les innombrables et variées sœurs jumelles qu’il voit après le rêve que lui a raconté Laura. Mais chaque fois, un petit détail change, une nouvelle rencontre, une bribe de conversation, deux losers se vantant de leur réussite imaginaire, deux jeunes étudiants qui veulent révolutionner le monde, mais aussi la rencontre avec une jeune fille inspirée, elle aussi, par les cascades de Paterson, et enfin, un poète japonais qui, sans le savoir, redonnera du sens aux signes qui l’entourent et l’encouragera à continuer d’écrire.

Tous les jours, il conduit son bus et les vers qui surgissent dans son esprit s’inscrivent sur l’écran au rythme lent de la dictée. Des images floues s’entremêlent, comme sortant de la réalité qui se reflète dans le pare-brise. Car la poésie s’infiltre dans « l’ici et maintenant » de la vie ordinaire, elle se faufile devant les briques rouges des anciennes bâtisses, s’introduit dans les feux rouges, dans la vie-même, dans la lumière du matin, dans l’amitié dans les rituels rassurant, dans l’amour simple et bien sûr dans les cascades de Paterson, symbole d’énergie puissante et de renouvellement.

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