ENTRETIEN – Michel Barnier a décidé lundi de recourir à l’article 49.3 pour faire adopter le budget de la sécurité sociale 2025. La gauche a déposé une motion de censure. De son côté, le RN a aussi déposé une motion de censure et a annoncé qu’il votera celle du NFP. Le gouvernement pourrait donc tomber dès mercredi. L’éditorialiste Patrick Edery livre pour Epoch Times son regard sur la situation.
Epoch Times : Les motions de censure déposées par la gauche et le RN seront discutées mercredi à l’Assemblée. Pour vous, cette situation était-elle inévitable ?
Patrick Edery : Dans l’absolu, non. En réalité, le pauvre Monsieur Barnier est devenu le punching-ball commun d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen, qui s’affrontent indirectement. Son budget est totalement macronien, avec des impôts en plus. On le voit bien, M. Macron refuse de céder, comme à son habitude, sur l’immigration.
De son côté, Mme Le Pen n’a aucun intérêt à faire des concessions à Macron. Le deal était simple : soit Macron cédait sur l’immigration et acceptait un quasi-accord de coalition, ce qui aurait définitivement dédiabolisé le RN en l’« intégrant au jeu républicain », soit le gouvernement tombait. Par idéologie, Macron préfère la première option. Je me demande même si ce n’est pas ce qu’il voulait dès le début. Comme à son habitude, il joue le pompier pyromane. Il doit penser qu’aux élections législatives de 2025, il pourra, encore et encore une fois, s’imposer comme le seul rempart au chaos qu’il a créé.
Dans les conditions actuelles, la seule façon pour un gouvernement de s’imposer est de satisfaire à la fois les électeurs du RN, avec des mesures fortes sur l’immigration, et ceux de Macron, avec des baisses d’impôts. Le tout financé par des économies importantes sur l’écosystème de gauche : ONG, médias, show-biz, collectivités territoriales.
Il faudrait un Premier ministre qui appartienne à la fois au bloc macroniste et aux LR, capable de convaincre les sénateurs, dont les grands électeurs sont les élus des collectivités locales, et les nombreux députés du bloc central, qui sont très à gauche sur les questions d’immigration.
Sébastien Lecornu semble être le meilleur candidat pour diriger un gouvernement qui nous apporterait un peu de stabilité jusqu’en juillet. Mais justement pour cette raison, il ne devrait pas être choisi par Emmanuel Macron.
En annonçant voter la censure du gouvernement, Marine Le Pen ne risque-t-elle pas d’affaiblir ses chances de remporter la prochaine élection présidentielle ?
Qui regrettera M. Barnier ? Personne. Si les Français sont comme moi, il nous est insupportable d’entendre toutes nos élites, classe politique et médiatique, qui depuis 30 ans nous amènent au bord du précipice, se déchirer les vêtements, hurler, crier, pleurer : « Qui ne vote pas le budget est responsable de la fin du monde ».
Tout le monde se rend compte que c’est du cinéma, et en plus du mauvais cinéma. Outre le fait d’être ridicules, ils sont indécents. Ils accusent de tous les maux de la France le RN qui n’est jamais arrivé au pouvoir, parce qu’il refuse de leur laisser les mains libres pour continuer leur grand saccage. C’est particulièrement médiocre et malsain. Je pense que les Français s’en rendent compte.
Je ne comprends pas que nos élites continuent de jouer à ce jeu mortifère pour elles. Pourtant les élections américaines ont démontré qu’en s’appuyant sur les élites « alternatives » ou secondaires et les réseaux sociaux, on peut gagner les élections. En fait, les élites dirigeantes actuelles sont comme au casino, elles jouent tant qu’elles ne perdent pas. Il ne faudrait pas non plus évacuer la question de la responsabilité des électeurs français. Ils sont les grands responsables de la situation en votant invariablement non pour le meilleur homme d’État, mais oui pour le meilleur bonimenteur. Nous ressemblons à des enfants votant pour celui qui raconte la plus belle histoire du Père Noël.
Qu’implique la censure du gouvernement Barnier en termes de budget ?
Rien de particulier. Si le budget n’est pas voté, il y a toujours la possibilité de prendre celui de l’année dernière en attendant de nouvelles élections législatives. Il y aura, par contre, une crise de régime. Nous allons devoir changer de régime. Ça prendra peut-être du temps mais on ne va pas y échapper.
Je pense également que le départ de Michel Barnier ne va pas changer grand-chose pour les marchés financiers. Ils ont intégré le fait que la France était une zone « radioactive » au moins jusqu’en 2027. Ils ne vont donc pas beaucoup plus s’inquiéter.
Par ailleurs, on dit souvent que les taux d’intérêts de la France seraient au même niveau que ceux de la Grèce, mais ce n’est pas totalement vrai. En réalité, les nôtres sont légèrement supérieurs aux taux grecs pour la partie de la dette de la Grèce qui est sécurisée par les grandes institutions financières internationales, ce qui n’est pas le cas pour l’autre partie de la dette.
La France emprunte encore à des taux intéressants malgré tout. À l’époque de la crise des subprimes, nous empruntions à 5 %, aujourd’hui, nous sommes à moins de 3 %, ils ont même baissé par rapport à novembre dernier. Nous avons donc encore des marges de manœuvre.
Ensuite, nous avons un « pare-feu » : l’euro. C’est-à-dire qu’en cas de crise financière, c’est l’ensemble de la zone euro qui serait impliquée. Mais je ne pense pas qu’il y aura une crise, ce que je déplore profondément. Une crise financière obligerait justement la France à mettre en œuvre des réformes et à réduire les dépenses publiques.
Le budget présenté en octobre par le Premier ministre est honteux : très peu d’économies ont été proposées. Malheureusement, je ne suis pas surpris. Michel Barnier incarne la continuité des politiques menées depuis 50 ans. Il propose les mêmes solutions qui nous ont mené droit dans le mur : l’endettement et les hausses d’impôts.
Cette génération d’hommes politiques a dilapidé l’héritage, endetté les générations futures et continue de le faire. Je ne comprends pas qu’on puisse dire que Michel Barnier est un homme d’État. Quand on regarde le budget, on ne peut que constater qu’il n’est pas sérieux.
La fin du gouvernement de Michel Barnier pourrait-elle, selon vous, favoriser une démission d’Emmanuel Macron ? Le député Liot Charles de Courson affirmait la semaine dernière sur LCI que le chef de l’État était responsable du « chaos politique » et l’a appelé à « démissionner ». D’ailleurs, selon un sondage ELABE pour BFMTV, 63 % des Français souhaitent le départ du président en cas de censure du gouvernement.
À mon sens, il faudrait même, encore une fois, changer de régime. La Ve République et ses institutions ont été trop transformées et ne fonctionnent plus. Nous n’avons pas d’autre choix que de passer à la VIe.
La démission du président serait le scénario idéal, mais je ne crois pas qu’Emmanuel Macron va partir. Il aurait dû le faire depuis longtemps. Il a tout intérêt à rester en place jusqu’aux prochaines élections législatives pour tenter un nouveau coup de poker et à se présenter comme la seule alternative au désordre politique.
Il faut comprendre que s’il démissionne dans les jours ou semaines à venir, il ne sera plus rien. La politique sera terminée pour lui et il ne bénéficiera plus des privilèges de la fonction de président de la République. Il s’agit d’une question de vie ou de mort politique pour lui. Je l’imagine donc mal partir.
Au-delà de ces épisodes politiques, je regrette l’absence totale de réformes. Si nous continuons dans cette voie encore dix ans, nous serons véritablement dans le chaos : la dette va augmenter et nous ne pourrons plus payer les fonctionnaires et les retraites.
Pour vous, c’est l’avenir de la situation financière qui vous inquiète le plus ?
Oui mais pas maintenant, dans dix ans. Le problème des politiques menées, c’est qu’elles permettent à des dirigeants comme Michel Barnier de continuer sur la même mauvaise pente, mais doucement. Étant donné que la France est riche, la situation n’est pas catastrophique à l’heure actuelle, mais elle le sera dans dix ans.
Encore une fois, si on continue à présenter des budgets de la sorte et que nous ne changeons pas de régime, nous allons droit dans le mur. Personne ne pose la bonne question. Tout le monde est focalisé sur les conséquences du possible départ de Michel Barnier, alors que ce n’est pas le sujet.
Pendant ce temps, nous restons dans la spirale infernale de la dette, et nous allons probablement finir comme la Grèce, mais pas tout de suite, cela va être un long supplice chinois.
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