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Pays en crise et éducation : quels rôles pour l’aide internationale ?

juin 27, 2018 17:05, Last Updated: avril 1, 2021 18:52
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Plus de la moitié des enfants non-scolarisés dans le monde vivent dans des pays touchés par des crises. Rien que pour les situations de conflits, l’UNICEF estime que plus de 25 millions d’enfants dans 22 pays affectés par les conflits sont hors des écoles. Au-delà des situations de violence, beaucoup d’autres types de crises, qu’elles soient économiques, politiques, sociales ou encore naturelles peuvent fortement impacter l’accès, la qualité et l’équité des systèmes éducatifs. Dans ce jeu d’interactions entre crises et éducation, l’évolution des montants d’aide internationale et le comportement des acteurs internationaux du développement jouent un rôle important qu’il convient de mieux comprendre.

Quel impact des crises sur l’éducation ?

La stabilité macroéconomique des pays apparaît comme l’un des déterminants les plus importants de l’accumulation du capital humain. Au-delà de l’incapacité des enfants de se rendre à l’école et de l’interruption complète des systèmes éducatifs, la simple contraction de l’activité économique et des dépenses publiques peut avoir un impact dévastateur sur l’éducation à travers l’augmentation des coûts et la baisse du revenu des ménages et des rendements attendus de l’éducation. Si pour certaines crises économiques, un effet positif sur la scolarisation a été observé via le coût d’opportunité (les adultes nouvellement sans emploi reprennent une partie des activités économiques des enfants qui ont donc plus de temps pour être scolarisés), la plupart des résultats internationaux montrent un effet très négatif des crises sur l’accès, la qualité et l’équité, en particulier pour les ménages les plus pauvres et les filles. Les pays qui accusent le plus de retard en matière de réduction de la pauvreté ou d’éducation sont ainsi les plus confrontés aux crises.

Manar, 11 ans, et ses amis dans leur école endommagée à Gaza. (Oxfam International)

Par ailleurs, l’éducation peut avoir un rôle de stabilisateur, ou au contraire d’instabilité. Lorsqu’elle est inéquitable, perçue comme inadaptée à la demande par certains groupes ou qu’elle transmet des messages susceptibles de nourrir la violence, l’éducation peut être un des déterminants d’une prochaine crise.

Quel impact des crises sur l’aide internationale ?

Du côté des pays du nord, les études montrent qu’une crise dans un pays donateur réduit significativement le volume de son aide offerte à l’international. Du côté des pays du sud, les recherches montrent que les flux d’aide sont plutôt pro-cycliques par rapport aux cycles économiques et politiques dans les pays bénéficiaires. Tout comme les dépenses publiques d’éducation, l’aide à l’éducation est souvent réduite en cas de crises politiques et de conflits. Simplement formulé, cela signifie que l’aide internationale à tendance à diminuer voire à s’arrêter lors de chocs négatifs dans le pays, ce qui pourrait avoir comme effet d’aggraver encore l’impact de la crise. Ainsi, l’aide à l’éducation ne va pas dans les pays en ayant le plus besoin et ne compense pas les effets des crises. En outre, la part des financements humanitaires dédiée à l’éducation en réponse aux crises reste très faible.

République centrafricaine :Les familles séjournant dans l’école sont Peulh, ils sont marginalisés et ont été récemment victimes d’attaques brutales. (UNHCR)

Quel impact de l’aide sur l’éducation dans les pays en crise ?

La littérature spécifique sur l’efficacité de l’aide à l’éducation démontre un impact positif et significatif de l’aide sur l’éducation particulièrement pour le cycle primaire. S’il existe des preuves solides de l’efficacité de l’aide à l’éducation, la question cruciale maintenant est de mieux comprendre quand cette aide internationale fonctionne et quand elle ne fonctionne pas, les situations de crises apparaissant alors comme une problématique clé.

Des travaux récents montrent que l’aide à l’éducation reste efficace, voire peut même être plus efficace, lors d’épisodes de crise dans les pays et ceci même si la capacité d’absorption de l’aide est plus faible. Cette aide à l’éducation pendant les épisodes de crise tend même à être particulièrement déterminantes pour l’éducation des enfants les plus vulnérables et notamment les filles.

Quelles articulations entre interventions humanitaires et actions de développement ?

Pendant une crise, le travail de long terme de développement des institutions éducatives est souvent interrompu et remplacé par des interventions d’urgence dont l’objectif est d’assurer la continuité éducative et la protection des enfants. Au Mali les acteurs de la société civile ont ainsi déployé des classes passerelles, permettant à des milliers d’enfants d’accéder à des programmes d’apprentissages accélérés. L’efficacité des actions en situation d’urgence se heurtent toutefois aux fragilités structurelles des systèmes. Comment intégrer les élèves maliens ayant bénéficié des cours de rattrapage dans un système éducatif formel où seul 30 % des élèves achèvent le primaire et 37 % des enseignants ont bénéficié de formations initiales, et alors que plus de 700 écoles sont encore fermées ?

Rentrée scolaire post conflit au Mali, http://www.web-edu.tv/index.php/2016/08/31/rentree-scolaire-post-conflit-au-mali/.

Les phases de crise et de reconstruction ne se succèdent pas de façon linéaire et l’aide humanitaire, censée être une réponse de court terme à un choc, se trouve mobilisée sur le temps long, empiétant sur la temporalité du développement. Face à ces enjeux, des plans intégrant actions de court terme avec des réponses plus structurantes sont conçus notamment au Liban et en Ethiopie pour améliorer l’intégration des réfugiés tout en renforçant le système éducatif. Certaines innovations pédagogiques et pratiques inclusives développées par les humanitaires, telles que le suivi des écoles par les communautés, ou le renforcement des acteurs décentralisés, pourraient aussi être plus largement passées à l’échelle par les acteurs du développement pour renforcer la bonne gouvernance des systèmes éducatifs et maximiser les effets de l’éducation en prévention aux crises.

Comment construire des systèmes éducatifs plus résilients ?

L’allongement de la durée des crises et leurs impacts sur les trajectoires de développement obligent les acteurs de l’aide internationale à trouver de nouvelles façons de travailler. Il importe alors de construire des systèmes éducatifs résilients et sensibles aux enjeux des crises en veillant à une bonne gestion centrale et locale, et une intégration du soutien à la paix et à la cohésion sociale. Construire la paix et la stabilité passe par une éducation équitable et de qualité.

Lors d’épisodes de crise, l’équilibre voire la qualité de la gestion budgétaire devient une contrainte centrale et l’aide devrait réagir plus rapidement afin de sécuriser les dépenses sociales prioritaires. La stabilité, la prévisibilité et le ciblage des financements sont donc clés. Les financements de l’aide aux systèmes éducatifs devraient non seulement être flexibles et rapides pour répondre à des besoins d’urgence, mais aussi mieux ciblés vers le renforcement ou la remise en service de services éducatifs des pays les plus en retard. Comme rappelé dans le récent communiqué du G7 en faveur d’une éducation de qualité des filles et des femmes, une meilleure coordination entre financements humanitaires et de développement est essentielle. Pour rendre ce dialogue effectif, il n’est pas forcément nécessaire d’inventer de nouveaux mécanismes ou de nouveaux concepts. L’enjeu est bien d’assurer une concertation accrue dans les pays concernés, avec les autorités nationales, les acteurs de la société civile, les différents bailleurs et intervenants, pour mieux comprendre et articuler les liens entre éducation, crise et actions internationales.

Rohen d’Aiglepierre, PhD, chargé de recherche « Développement Humain » / « Human Development » reseacher, AFD (Agence française de développement) et Audrey Nirrengarten, Responsable Equipe Projet, AFD (Agence française de développement)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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