Depuis l’élection de Donald Trump, la République populaire de Chine oscille entre l’optimisme et l’inquiétude. Pékin – par hostilité à la stratégie du pivot vers l’Asie dont Hillary Clinton était l’incarnation – était initialement plutôt favorable à Donald Trump. Le retrait du TPP, est ainsi apparu comme une opportunité pour la Chine de mieux défendre sa propre vision de la régionalisation économique en Asie, avec le projet de zone de libre-échange (FTAAP) présenté par le Président chinois lors du sommet de l’APEC en 2014. La visite du Secrétaire d’État Rex Tillerson à Pékin au mois de mars, et sa référence au « respect mutuel », ont pu être perçues comme une acceptation de la conception chinoise du respect de ses intérêts fondamentaux.
Très vite, cependant, c’est l’inquiétude qui l’a emporté devant les initiatives prises par Donald Trump. Au mois de janvier, le Président américain est revenu « à la demande du président Xi », sur le changement majeur qu’avait constitué son entretien téléphonique avec la Présidente de Taïwan, et son tweet selon lequel « tout peut être négocié, même la politique d’une seule Chine ».
Mais la question est loin d’être réglée, et elle pourrait être à nouveau ouverte si les États-Unis procèdent aux importantes ventes d’armes à Taiwan annoncées. Sur tous les sujets d’importance pour la Chine, Donald Trump mêle déclarations rassurantes et menaces voilées. C’est dans ce contexte qu’a eu lieu la première rencontre entre les deux présidents, le 6 avril 2017.
Pour Xi Jinping, la symbolique de ce sommet, dont les images ont été très largement retransmises dans les médias chinois, était importante, à Mar-a-Lago (Floride), dans les mêmes conditions que le premier ministre japonais, qui avait été l’un des premiers à être reçus par Donald Trump après les élections.
Avec Trump, tout est possible
Avec ce sommet, les analystes chinois espéraient la confirmation d’une relation privilégiée entre un Président chinois expérimenté et un Président américain prêt à l’écouter. Mais contrairement aux attentes, aucun communiqué commun n’a été publié. Seule la mise en place d’un « dialogue approfondi » a été annoncée, autre nom du dialogue stratégique et économique qui existe entre les deux États depuis 2009.
En revanche, c’est autour de la question nord-coréenne, et non des questions économiques, que se cristallise la relation entre Pékin et Washington. Donald Trump a choisi de procéder à une démonstration de force, avec le tir de 59 missiles Tomahawk contre une base de l’armée syrienne pendant sa rencontre avec le Président Xi. En annonçant le tir pendant le dîner officiel, Donald Trump a clairement démontré à la puissance chinoise que tout était possible, sans consultation préalable avec un partenaire qui pensait avoir imposé son statut de puissance incontournable.
Plus préoccupant pour Pékin, cette démonstration de force en Syrie, destinée autant à la Corée du Nord et à la République populaire de Chine qu’aux autorités syriennes, a été suivie par l’utilisation, pour la première fois, d’une arme ultra puissante de haute précision, contre des installations souterraines de l’État islamique en Afghanistan.
Enfin, la communication sur le détournement du groupe aéroporté USS Carl Vinson vers la péninsule coréenne et sa participation à des manœuvres communes avec la Corée du Sud et le Japon est venue compléter cette séquence de gesticulation militaire. Il s’agissait à la fois de dissuader la Corée du Nord de procéder à un nouvel essai nucléaire et d’accroître la pression sur la Chine – en crédibilisant les risques d’escalade – afin que Pékin accepte d’exercer des pressions plus efficaces contre le régime de Pyongyang.
Ligne rouge sur le dossier nord-coréen
Cette stratégie est d’autant plus préoccupante pour la Chine qu’elle s’inscrit dans une séquence de « tweets » du président américain qui placent Pékin au cœur de la problématique nord-coréenne. Trump a rappelé que, si la Chine n’agissait pas, les États-Unis pourraient gérer la crise nord-coréenne sans elle mais « avec leurs alliés ». Si le Secrétaire d’État Rex Tillerson a pu déclarer que « nous allons travailler avec la Chine sur la Corée du Nord », le général Mac Master, conseiller pour la sécurité nationale du président Trump, rappelait de son côté que « la Corée du Nord est vulnérable aux pressions chinoises » et que, contrairement à ce que certains ont pu suggérer à Pékin, la ligne rouge était bien l’arrêt du programme nucléaire nord-coréen, et non son « gel ».
L’objectif revendiqué est très clairement d’imposer à la Chine une révision radicale de sa politique nord-coréenne. Et la pression est d’autant plus forte pour le Président chinois que des voix dissidentes se font entendre en Chine même pour critiquer une stratégie ambiguë, dont le premier résultat a été de considérablement dégrader l’environnement stratégique pour les intérêts chinois en Asie du Nord-Est.
Selon un rapport publié par l’Administration des douanes chinoises au mois d’avril, les échanges avec la Corée du Nord ont en effet augmenté de plus de 37 % au premier trimestre, en dépit des tensions et de la suspension provisoire des importations de charbon (ces chiffres ne concernent que le commerce légal).
Une marge de manœuvre plus réduite pour Pékin
En mettant en œuvre une double stratégie de déclarations et d’actions, Donald Trump a donc réussi à créer un rapport de force beaucoup moins favorable à Pékin.
La Chine, de son côté, a multiplié les avertissements devant les risques d’intervention militaire dans la péninsule coréenne (Dominique Patton, Seu-Lin Wong, « China Says Tension Has to be Stopped from Reaching Irreversible Stage », Wang Yi, ministre des Affaires étrangères, appelle une fois de plus « les deux parties » à éviter toute provocation, mettant sur le même pied les États-Unis et la Corée du Nord, et un analyste de la très officielle Académie des sciences sociales de Chine s’inquiète des « conséquences désastreuses si la nouvelle administration américaine choisissait de pousser la Chine dans ses retranchements » (Yu Yongding, « The Trump Test and the Renminbi », East Asia Forum)
Mais dans le même temps, Pékin ne peut pas prendre le risque d’un conflit ouvert avec Washington, ni celui d’une frappe préventive contre les installations nord-coréennes qui obligerait le régime chinois et le président Xi Jinping à réagir pour préserver sa crédibilité. La Chine est donc prise entre la volonté de défendre ses choix stratégiques – dont le refus de voir le régime nord-coréen s’effondrer au profit de la Corée du Sud et des États-Unis – et celle d’éviter le risque d’une confrontation avec Washington.
D’ores et déjà, la stratégie de la tension mise en œuvre par Donald Trump semble avoir porté ses fruits. La Corée du Nord n’a pas procédé – pour le moment – à un nouvel essai nucléaire. Surtout, Pékin a envoyé à Séoul son représentant spécial pour les affaires coréennes, Wu Dawei, pour discuter de la question nucléaire en Corée du Nord. Cette décision contraste avec les réticences chinoises à s’entretenir directement avec les autorités de Corée du Sud à la suite du quatrième essai nucléaire nord-coréen au mois de janvier 2016.
L’exigence de résultats
La double stratégie de Donald Trump, en direction de la Corée du Nord et de la Chine semble donc avoir eu des résultats positifs. La menace de recours à la force, étayée par l’image d’irrationalité du Président américain, introduit un nouveau facteur d’incertitude que la puissance chinoise doit prendre en compte, y compris pour une éventuelle redéfinition de ses relations avec le régime nord-coréen.
Des incertitudes subsistent toutefois, quant à la constance des choix stratégiques de Donald Trump pour l’Asie. Dans son entourage, plusieurs positions semblent s’opposer, entre les partisans d’une stratégie de la fermeté et ceux qui – autour de Jared Kushner – semblent pencher vers un retour à une politique d’engagement de la puissance chinoise au nom d’une stratégie du « deal » gagnant-gagnant.
La réponse à ces interrogations ne pourra venir que sur le long terme, à moins que le choix de l’instabilité permanente ne l’emporte. D’ores et déjà, c’est bien un « nouveau type de relations entre grandes puissances » que Donald Trump a instauré avec Pékin. Mais, contrairement à la vision chinoise de ce partenariat privilégié, c’est aussi un nouveau type de relations fondé sur l’exigence de résultats, et non plus sur la recherche du dialogue, qui semble s’imposer.
Valérie Niquet, Chargée de cours, spécialiste des relations internationales et des questions stratégiques en Asie, Keio University
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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