Anny Boc – Freie Universität Berlin
À chaque nouvel essai nucléaire ou missile balistique lancé depuis Pyongyang, comme celui de mardi 28 novembre, Donald Trump exhorte la Chine à faire pression sur la Corée du Nord. Tout comme ses prédécesseurs, Trump reste persuadé qu’un accord diplomatique avec le régime nord-coréen ne peut se faire que par le biais de Pékin.
Dans toute la région asiatique, la Chine est le pays pouvant le plus peser sur ce pays et pourrait « rapidement et facilement » résoudre la crise, mais se refuserait à obtempérer.
Or les avancées technologiques de la Corée du Nord en font désormais une question de sécurité nationale prioritaire pour les États-Unis, Pyongyang affirmant avoir désormais la capacité de frapper directement des villes américaines.
Depuis le début de son mandat, Trump a fait de la Corée du Nord le centre la diplomatie sino-américaine.
Sa stratégie principale a été de jouer sur les relations commerciales bilatérales afin de pousser Pékin à agir sur son voisin et faire ainsi le jeu des États-Unis. Il a été rejoint par le Président français qui demande également à la Russie d’imposer des sanctions à l’encontre de Pyongyang.
La Chine ne bougera pas
Or, bien que Pékin ait annoncé quelques mesures coercitives comme la possible clôture de joint-ventures sino-coréennes, il est peu probable que le gouvernement de Xi soit plus ferme et ce, en dépit de ses dernières déclarations.
Il dispose pourtant d’un atout non-négligeable pour freiner Kim Jong‑un : selon les informations du Département de l’énergie américain, la Chine est le plus important fournisseur en pétrole de la Corée du Nord – ce qui représente près de 90 % de sa balance commerciale.
Un embargo sur le pétrole, ce qu’exige Trump, pourrait ainsi considérablement ralentir l’économie du pays.
C’est pour cela que la plupart des observateurs internationaux perçoivent Pékin comme la solution au problème nord-coréen.
Alors pourquoi la Chine demeure-t-elle aussi peu disposée – malgré de récentes promesses – à prendre des sanctions effectives et immédiates contre son voisin ?
Pékin souhaite maintenir la Corée du Nord viable économiquement car, plus que tout, il craint la chute du régime et le chaos qui s’ensuivrait. Cela se traduirait par un afflux de réfugiés à ses frontières et surtout un bouleversement géopolitique majeur dans la région favorisant un seul acteur : les États-Unis.
Une bataille pour l’hégémonie en Asie
Pékin ne voit en effet pas d’un bon œil une réunification des deux Corées sous la bannière démocratique pro-américaine de la Corée du Sud, accompagnée de la présence de quelques 28 000 soldats américains à sa porte.
Une telle influence sur toute la péninsule coréenne serait catastrophique pour la sécurité de la Chine et déséquilibrerait son pouvoir dans la région.
Or, historiquement, Pyongyang a été toujours perçu par les analystes chinois comme une zone tampon contre l’influence américaine.
Le fait que la Chine continue implicitement (par son manque d’action) à soutenir le régime de Kim montre bien l’importance de cette zone pour Pékin.
De plus, la Corée du Nord est utilisée également comme moyen de pression dans les conflits divisant Washington et Pékin : les disputes sur les mers de Chine du Sud et de l’Est ou encore sur le statut de Taïwan.
Le changement de politique étrangère en Asie-Pacifque amorcé sous l’administration Obama a particulièrement accru la valeur de la Corée du Nord pour la Chine. Dans le cadre de cette stratégie, les États-Unis ont noué de nouvelles alliances et coopérations tout en développant leur présence institutionnelle dans la région, isolant un peu plus la Chine.
Washington a aussi renforcé sa capacité militaire dans la région (bases de défense et programmes de missiles) ce qui inquiète Pékin qui se sent encerclé. Les analystes chinois pensent ainsi que l’objectif des États-Unis est de contenir et limiter la puissance chinoise afin de préserver l’influence américaine.
Peur de l’intrusion américaine
Les récentes installations des systèmes de boucliers défensifs dits THAAD (Terminal High Altitude Area Defense) en Corée du Sud – permettant une protection contre la Corée du Nord – était d’abord un projet américain visant à affaiblir les capacités d’agression nucléaires chinoises.
Or les experts militaires et sécurité chinois pensent que le système de radar qui accompagne ce bouclier permet désormais de surveiller en profondeur les territoires russes et chinois.
Ils sont particulièrement méfiants et inquiets du fait que le système THAAD à Séoul sera prochainement connecté à deux autres radars situés au nord et au sud du Japon, facilitant l’échange d’information et renforçant la force de frappe des États-Unis dans le voisinage chinois.
Il semble ainsi qu’une alliance trilatérale États-Unis-Corée du Sud-Japon s’amorce durablement pour contrer la Chine. Pékin s’inquiète aussi de l’effet boule de neige : la présence du bouclier antimissile à Séoul pourrait donner des idées au Japon, à Taïwan et aux Philippines.
Que la crise s’amenuise ou s’intensifie, les intérêts de Washington dans la région demeurent trop importants : ainsi, pour Pékin, la menace la plus importante n’est pas le régime de Kim mais bien les États-Unis de Trump qui, selon les analystes chinois, utilisent la crise nord-coréenne pour prendre le contrôle de la région.
Le ton agressif du Président américain et ses injonctions à l’encontre de la Chine n’aident pas. À moins de trouver des arguments plus convaincants, il est ainsi peu probable que Pékin lâche son atout nord-coréen et prenne le risque de susciter un chaos régional à ses dépens.
Anny Boc, PhD Candidate at the Graduate School of East Asian Studies (GEAS), Freie Universität Berlin
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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