Pissevin, épicentre d’une guerre de l’État français contre le narcotrafic

Par Germain de Lupiac
27 août 2024 14:04 Mis à jour: 27 août 2024 14:04

Le 21 août, tout juste un an après la mort tragique de Fayed, 10 ans, et quelques heures après son ouverture au public, le nouveau poste de police du quartier de Pissevin à Nîmes a été victime d’un incendie collatéral.

Le quartier de 16.000 habitants, l’un des plus pauvres de France, est gangréné par des fusillades meurtrières entre bandes se disputant le marché de la drogue. La moitié des habitants a moins de 25 ans et 70% vivent sous le seuil de pauvreté, là où le trafic peut rapporter quotidiennement plusieurs dizaines de milliers d’euros, selon les autorités. C’est au dernier étage d’un immeuble de ce quartier qu’a été retrouvé l’auteur présumé de l’attaque terroriste contre la synagogue de la Grande Motte.

Depuis le début du mois, le quartier est en train d’être rénové par l’État après une série d’arrestations en lien avec le narcotrafic. Mais la guerre est loin d’être gagnée. Jusqu’à présent « les choufs (guetteurs) sont toujours là, les trafics continuent », malgré d’importantes opérations policières menées ces derniers mois, a déclaré Raouf Azzouz, directeur du centre social Les mille couleurs.

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Des travaux de rénovation herculéens

Après une décennie d’attente, de gigantesques travaux ont débuté début août dans le quartier nîmois de Pissevin, l’un des symboles des maux et des dysfonctionnements des banlieues françaises.

La moitié de la tour Pollux a déjà été abattue par les pelleteuses, dans ce quartier construit à la fin des années 1960 dans l’ouest de Nîmes pour accueillir, dans l’urgence, des populations issues de l’exode rural, des rapatriés d’Afrique du Nord puis des travailleurs immigrés.

« Ces grands ensembles ont été à la mode à une époque, aujourd’hui c’est totalement révolu. Et comme dans la plupart des quartiers populaires de France, il y a un trafic de drogue important qui s’est mis en place », explique l’adjoint au maire de Nîmes chargé de la rénovation urbaine, Olivier Bonné.

Autrefois joyau du quartier avec ses boutiques chics, la galerie Richard Wagner devant laquelle est mort le jeune Fayed, est aujourd’hui l’épicentre du trafic de drogue et de la guerre entre bandes. Là aussi, les bulldozers sont entrés en action : la discothèque et la salle de boxe désaffectées dans les sous-sols viennent d’être démolies et la grande dalle de béton servant de parking devrait laisser place à un espace plus ouvert.

Mais la situation est toujours tendue et les travaux se font un contexte toujours présent de guerre des bandes. « Quand vous entendez des tirs d’armes de guerre sur le chantier, ce n’est pas évident. Mais on n’a rien lâché. Que des enfants se fassent abattre, c’est insupportable, mais c’est une motivation supplémentaire », raconte Olivier Lelièvre, chargé de la supervision des travaux de rénovation pour le bailleur social Un toit pour tous.

Près de 270 millions d’euros d’argent public (État, collectivités locales et bailleurs sociaux) vont être consacrés au cours des trois prochaines années à la « transformation du quartier, avec la démolition ou la réhabilitation de logements dégradés, la construction de nouveaux logements et commerces, ainsi que la réalisation d’espaces et d’équipements publics de qualité », ont indiqué la préfecture du Gard, la ville et la métropole de Nîmes.

Le nouveau poste de police incendié quelques heures après son ouverture

Le 20 août, le nouveau poste de police promis par le ministre démissionnaire de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a été victime d’un incendie collatéral.  L’incendie s’est produit quelques heures après l’ouverture au public à partir d’un local situé à côté de l’établissement. Le poste était réclamé depuis des années par la mairie de Nîmes et par les habitants du quartier et devait être inauguré officiellement le 26 août.

Une enquête a été ouverte afin de déterminer les causes de l’incendie. « Si on devait être sur un acte volontaire, ils ont la garantie, ces habitants (du quartier), qu’on ne lâchera rien », a déclaré le préfet du Gard, Jérôme Bonet, en soulignant que « ce quartier est en train de bouger », que des « démolitions sont en cours » et qu’un nombre « très conséquent » de trafiquants « ont été mis en prison ces derniers mois ».

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« À Pissevin, la guerre a commencé en 2020 »

La violence due aux trafics de stupéfiants est en forte croissance depuis des années à Nîmes. Fin 2023, huit hommes de 24 à 38 ans ont été jugés par le tribunal correctionnel de Marseille soupçonnés d’avoir participé à des fusillades visant à tuer deux « gérants » du point de deal de Pissevin de Nîmes.

Jusqu’à 13 ans de prison ont été requis, premier épisode d’une lutte entre narcotrafiquants qui a culminé au mois d’août 2023. Selon la procureure, Gaëlle Ortiz, ce conflit a « atteint l’horreur l’été dernier », a rappelé la magistrate, en référence à l’assassinat de Fayed, dans ce même quartier de la ZUP de Nîmes.

Dans son réquisitoire, la procureure s’est arrêtée sur le terme de « corps » fréquemment utilisé sur les écoutes téléphoniques pour désigner les acteurs de cette guerre de territoires. « Une expression sidérante, qui reflète la chosification, le mépris de la vie humaine, qu’elle soit celle du soldat envoyé sur le terrain ou de la victime à abattre », s’est insurgée Mme Ortiz.

Selon des chiffres de l’ancien procureur de Nîmes, Éric Maurel, une quinzaine de règlements de compte avaient fait huit morts à Nîmes en 2020 et trois en 2021, la plupart dans les quartiers de Pissevin, du Chemin Bas et du Mas de Mingue, trois secteurs périphériques de Nîmes constitués de barres d’immeubles et de tours.

« Ces assassinats sont en lien direct avec le narcobanditisme et sont des règlements de compte dans le cadre soit de guerres de territoire, soit de conflits commerciaux » précise Éric Maurel, évoquant « des « actions impulsives » et d’autres « très organisées ».

« On est en présence d’individus parfois très jeunes qui ont accès à des armes de guerre », notamment des fusils d’assaut de type Kalachnikov AK-47 ou M-16″, souligne le magistrat, en estimant que Nîmes était devenue quasiment « une centrale d’achat de la drogue » : chaque semaine, environ 700 kg de résine de cannabis venant majoritairement du Maghreb et des dizaines de kilos de cocaïne venus d’Amérique du Sud via l’Espagne y transitent pour être revendus, explique-t-il.

« Près de 250 policiers » mobilisés 

Quelques semaines plus tôt, vingt personnes ont été interpellées lors d’un vaste coup de filet contre un réseau de trafic de stupéfiant. L’opération a mobilisé « près de 250 policiers » : 73 enquêteurs de la Sûreté départementale du Gard et de l’Unité d’Investigation Nationale venue en renfort, appuyés en sécurisation par des forces d’appui du RAID, une unité d’élite de la police, et de la Brigade de recherche et d’intervention (BRI) ainsi que de la CRS-8, et neuf équipes cynophiles pour la recherche de stupéfiants et d’armes à feu, selon le parquet.

À leur arrivée dans ce quartier fait de tours, les policiers ont notamment investi un hall d’immeuble proche de la galerie Wagner, la zone commerciale devant laquelle le jeune Fayed, totalement étranger au trafic de drogue, avait été mortellement blessé.

Victime collatérale de la guerre entre trafiquants de drogue pour le contrôle des points de vente du quartier de Pissevin, le garçon de 10 ans, avait été atteint d’une balle perdue alors qu’il se trouvait dans la voiture de son oncle le 21 août 2023, peu après 23h.

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