Plus de mille ans après les moines, Marie Lefèvre enlumine nos écrits, accomplissant un voyage intérieur

À Angers, Marie Lefèvre pratique l'art ancestral de l'enluminure, utilisant les techniques et les matériaux traditionnels d'un art autrefois exclusivement religieux.

Par Sarita Modmesaïb
4 janvier 2025 22:06 Mis à jour: 5 janvier 2025 15:20

Il y a plus de 1500 ans, les moines copistes enluminaient les écrits sacrés dans le calme de leur scriptorium. On appelle enluminures, toutes formes d’éléments décoratifs et de représentations imagées réalisées afin d’embellir un manuscrit. Cette technique consiste tant à orner une lettrine qu’à illustrer un texte en pleine page. Déjà, du temps des pharaons, des papyrus ont été retrouvés, eux aussi couverts de hiéroglyphes enluminés.

En Occident, l’enluminure nécessite l’usage de matériaux nobles, tels que la feuille d’or, des pigments naturels d’origine végétale ou animale, certains précieux tels que le lapis-lazuli. L’enluminure est réalisée sur des parchemins fabriqués avec des peaux d’animaux.

Aujourd’hui, cette technique demeure encore vivace et suscite d’ailleurs l’engouement chez des jeunes. C’est le cas de Marie Lefèvre, 26 ans, qui a créé son atelier d’enluminure à Angers.

Marie Lefèvre dans son atelier d’enluminure à Angers. (DR)

« Je voulais vraiment faire un métier manuel »

Epoch Times a souhaité en savoir plus sur le parcours atypique de cette jeune femme.

« J’ai toujours dessiné depuis que je suis toute petite. Après mon baccalauréat littéraire, j’ai fait une année de classe préparatoire littéraire et cela ne me plaisait pas du tout », confie Marie. « J’ai donc dit à mes parents que je voulais revenir au dessin parce que c’était ma passion depuis l’enfance. »

Marie va donc intégrer une école d’arts graphiques à Paris : « Dans cette école, j’étais excellente dans les matières manuelles, dessin, croquis, calligraphie… mais j’étais très nulle dans toutes les matières qui demandaient de travailler sur ordinateur. Pour moi, c’était un frein à ma créativité. Donc, après trois ans, j’ai décidé d’arrêter cette école car je voulais vraiment faire un métier manuel en lien avec le dessin. Revenir à quelque chose de plus traditionnel. Je voulais devenir calligraphe. Sauf qu’en France, il n’existe plus d’école de calligraphie. C’est alors que j’ai découvert une école qui enseignait les techniques de l’enluminure médiévale occidentale. Je m’y suis inscrite et j’y ai passé deux ans pour me former aux techniques de l’enluminure. Et c’est devenu ma passion et mon métier ! »

Malheureusement, après plus de 40 ans d’existence, l’Institut supérieur européen d’enluminure et du manuscrit (ISEEM) a fermé ses portes en juin 2024, en partie du fait d’un manque d’inscriptions.

Original du feuillet d’un Livre d’Heures du XVe siècle. (Référence : Beaune, AH, 0005 Cote du manuscrit : Lay. 123, 6). (DR)
Copie d’un feuillet d’un petit Livre d’Heures du XVe siècle. (DR)

Cependant, Marie a eu la chance de pouvoir s’y former et a ouvert, depuis, son atelier à Angers.

Ses clients sont des particuliers de tous âges et de toutes catégories socioprofessionnelles souhaitant faire l’acquisition de copies ou de créations originales. « Il y a des gens qui sont passionnés d’enluminures et qui rêvent d’avoir une copie d’un manuscrit particulier, d’une page. Mais j’ai aussi des demandes pour enluminer par exemple le prénom d’un enfant ou des faire-part de mariage, des faire-part de baptême… Récemment, j’ai travaillé pour le logo d’une designeuse d’intérieur qui a ouvert une chaîne YouTube, elle voulait un logo d’inspiration médiévale. Je suis actuellement en train de travailler sur la pochette d’album d’un artiste styliste… »

Enluminure réalisée par Marie Lefèvre. (DR)

« J’aime beaucoup copier. Je trouve que c’est un exercice intéressant, même au niveau technique. Mais ce que je préfère, c’est créer. On a la chance aujourd’hui de vivre à une époque où on a accès à beaucoup de documents et de manuscrits médiévaux qui sont numérisés dans les plus grandes bibliothèques telles que la Bibliothèque Nationale de France, la British Library… Je passe donc beaucoup de temps à feuilleter des manuscrits. Et quand je vois des mises en page, des fleurs ou des couleurs qui m’intéressent, je prends des notes. C’est vraiment en fonction de ma sensibilité, de mon humeur. Je suis par exemple en train de travailler sur une enluminure complètement personnelle, sur le thème de La Dame à la licorne. J’ai illustré une dame qui lit dans un jardin avec un château derrière. Voilà, ce sont des thèmes qui me parlent ou me plaisent. »

« Notre-Dame de Paris a une place très importante dans ma vie »

Seulement, depuis quelques mois, son compte Instagram, expecto pigmentum, créé initialement « pour partager ce que je faisais, surtout pour ma famille et mes proches », précise Marie, a été pris d’assaut et compte maintenant plus de 60.000 followers.

« J’ai atteint ce nombre d’abonnés tout récemment. Je pense que cela a beaucoup intéressé les gens que je travaille sur le sujet de l’incendie de Notre-Dame de Paris, surtout que la réouverture a eu lieu il y a quelques jours. »

Marie a grandi à Paris, la cathédrale a fait partie de son enfance. « Notre-Dame a une place très importante dans ma vie. Quand je rentrais des cours alors que j’étais étudiante, je passais devant, tous les jours. Soit je m’arrêtais pour rentrer à l’intérieur, soit je l’admirais, je l’observais, je la prenais en photo… J’ai été bouleversée par l’incendie qui l’a touchée, comme beaucoup de Parisiens et de Français, et même de gens à travers le monde entier. Quand je suis allée voir le film de Jean-Jacques Annaud au cinéma, Notre-Dame brûle, quand j’ai vu les images avec les flammes, le feu, les braises, l’intervention des pompiers, tout le stress que cela a causé… cette course contre la montre pour sauver un maximum de l’édifice, je me suis dit : ‘Oh la la, ce serait tellement passionnant de faire une enluminure !’ Du coup, dans un style du XVᵉ siècle, mais illustrant un événement marquant du XXIᵉ siècle, je trouvais ça vraiment captivant ! À peine la projection terminée, dès que je suis rentrée, je me suis mise à faire des recherches sur ce que je voulais comme mise en page, les petits motifs que je voulais mettre à l’intérieur. Puis très vite, j’ai commencé le dessin ! »

Après un an et demi et quelque 550 heures de travail où les followers de Marie ont pu suivre pas à pas son travail sur Instagram, la jeune enlumineuse a finalisé son œuvre.

Mille cinq cents ans après les débuts de l’enluminure en Occident, la jeune femme utilise des matériaux identiques à ceux du Moyen Âge. « Notre-Dame de Paris, je l’ai faite sur une peau de chèvre.  Cela peut être chèvre, chevrette, veau… Je travaille aussi avec des pigments naturels : par exemple le bleu du ciel, c’est du lapis-lazuli ! Les pigments peuvent être faits avec des pierres. Le lapis-lazuli est broyé jusqu’à ce qu’il soit transformé en poudre et que l’on puisse en faire de la peinture… Tous mes pigments, je les achète en poudre et je les prépare moi-même selon une recette médiévale. »

Marie explique comment elle réalise elle-même la base permettant de poser les feuilles d’or. « J’ai une recette d’une pâte qu’on appelle le gesso, faite à base de blanc de Meudon, de sucre et de gomme arabique. Cela produit une espèce de pâte rose que je viens poser sur le parchemin. La pâte est liquide à l’origine, comme une peinture. J’attends qu’elle sèche. Je peux poser plusieurs couches pour atteindre un niveau de relief qui me convient. Il faut donc que je pose la pâte, puis j’attends qu’elle sèche, je repose une couche, j’attends qu’elle sèche… C’est très long ! Une fois que le gesso est posé, qu’il est sec, je viens le réactiver en soufflant dessus parce qu’il se réactive avec la chaleur et l’humidité du souffle. Puis je viens enfin poser la feuille d’or. Je dispose de carnets de feuilles d’or. Je viens découper des petites parcelles dans des petits morceaux de feuille d’or que je viens poser à l’endroit où je veux qu’il y ait du doré… »

« Ça nécessite de faire vraiment un voyage intérieur »

La matière et l’esprit… si autrefois l’enluminure était exclusivement réservée aux textes sacrés, aujourd’hui, elle se révèle à tous. Pourtant, probablement comme les moines copistes d’il y a 1000 ans, Marie Lefèvre voit dans cette activité une forme de voyage intérieur spirituel. « Peut-être que certains enlumineurs ne pensent pas du tout comme moi, mais moi je pense que c’est lié à une certaine forme de spiritualité ! Parce que l’enluminure, c’est tellement long que l’on se retrouve parfois plongé pendant des mois dans un projet unique. Cela nécessite de faire un voyage intérieur. C’est un voyage dans les émotions, dans la réflexion. Avec tout le temps que je prends à peindre, à dessiner, je me retrouve avec moi-même. »

Marie est particulièrement attachée à l’enluminure de Notre-Dame. « C’est une enluminure qui est vraiment toute particulière pour moi parce que j’y ai mis énormément de sentiments ! C’est vraiment celle à laquelle je suis le plus attachée. Elle a une valeur plus sentimentale que financière. Je n’exclus pas de la vendre un jour, mais je préfèrerais qu’elle soit exposée dans un musée ou un lieu où les gens pourraient venir la voir plutôt que de la vendre à un particulier qui l’aura juste pour lui. »

Face à une demande croissante d’internautes qui souhaiteraient admirer son œuvre, Marie a contacté les gestionnaires de Notre-Dame de Paris pour leur proposer d’exposer son enluminure.

L’enlumineuse a d’ores et déjà été contactée par la bibliothèque numérique Gallica afin de faire numériser son œuvre Notre-Dame Brûle.

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