Donne-t-on trop d’antidépresseurs ou d’anxiolytiques aux enfants français ? La polémique émerge depuis plusieurs semaines, alimentée par un rapport très médiatisé. Si les psychiatres sont unanimes à constater l’insuffisance dramatique de l’offre de soins, certains redoutent de stigmatiser des traitements efficaces.
« Il y a une espèce d’emballement autour de ‘Oh là là, on est en train de droguer nos pauvres gamins !’ », regrette auprès de l’AFP le psychiatre Ludovic Gicquel, au nom de la Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (SFPDEA). Le sujet fait l’objet d’une vaste attention médiatique, à la suite de la publication en mars d’un rapport d’un organisme dépendant du gouvernement, le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA).
Hausse des prescriptions
Ses auteurs constataient « une augmentation considérable de la consommation de médicaments psychotropes chez l’enfant » depuis une dizaine d’années. Dans le détail, la consommation d’antidépresseurs a augmenté de moitié chez les mineurs entre 2014 et 2021, et celle de somnifères a plus que doublé.
Le rapport constate aussi que nombre de ces traitements sont prescrits en dehors de l’usage précis pour lequel ils sont approuvés par les autorités sanitaires. Mais si ces données ne sont pas contestables, le rapport a fait l’objet de vives critiques de chercheurs et de médecins, pour qui il stigmatise excessivement le recours au médicament.
« Le rapport est à charge », estime auprès de l’AFP le chercheur en santé publique Mickaël Worms-Ehrminger, spécialiste des questions de santé mentale. Les critiques pointent notamment une interprétation univoque de la hausse des prescriptions. Elles soulignent que celle-ci peut aussi être liée à un meilleur diagnostic des troubles mentaux. Quant à la prescription au-delà des indications réglementaires, les critiques estiment que ces indications sont souvent trop restrictives par rapport à ce qu’indique la littérature scientifique.
Ces débats recouvrent largement de vieux clivages au sein de la psychiatrie. Les critiques du rapport l’accusent en effet d’être biaisé en faveur d’une tradition psychanalytique hostile à d’autres approches, notamment neuroscientifique. De fait, les experts auditionnés par le rapport sont en grande partie des chercheurs sceptiques envers une approche majoritairement biologique des troubles mentaux. Reste que, dans la réalité de la pratique médicale, les clivages ne sont pas si marqués. L’essentiel des psychiatres s’accordent quant au fait qu’un psychotrope peut être un outil utile pour traiter un enfant, mais qu’il ne faut pas tout de suite l’envisager.
C’est d’ailleurs le message qu’assurent avoir voulu faire passer les auteurs du rapport. Celui-ci « ne remet pas en cause l’utilité des médicaments ni des prescriptions, mais plaide pour un rééquilibrage », a expliqué le HCFEA dans un communiqué début avril. De fait, certains psychiatres ne sont pas tant virulents contre le rapport que contre la reprise faite par certains médias, auxquels ils reprochent de ne pas chercher à comprendre les causes profondes d’une prescription excessive.
Risque d’amalgame
Les psychiatres interrogés par l’AFP, comme le HCFEA, soulignent en effet la situation dramatique dans laquelle se trouvent les parents d’un enfant atteint d’un trouble mental : il faut souvent de longs mois pour trouver une consultation psychiatrique, sans parler d’un suivi régulier avec une psychothérapie adéquate.
« À un moment donné, quand vous passez en revue toutes les options non médicamenteuses et qu’elles ne sont pas disponibles, vous parez au plus urgent et l’adolescent repart avec une ordonnance de médicaments », explique Ludovic Gicquel, pour qui ces prescriptions sont parfois le fait de médecins généralistes démunis face à une situation d’urgence. Mais « il ne faudrait surtout pas que les parents aient l’impression que dès qu’un médecin prescrit un psychotrope à leur enfant, ce n’est pas justifié : le risque, c’est l’amalgame », conclut-il.
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