Toutefois, la perspective qui a été réaffirmée lors de ce voyage est d’atteindre un volume d’échanges de 30 milliards de dollars pour l’année 2015. Il semble que cet objectif soit très ambitieux, même si on peut supposer que l’accord-cadre signé entre le P5+1 et les Iraniens dernièrement pourra permettre l’annulation progressive des sanctions internationales et donc, indirectement, l’amplification du commerce entre l’Iran et la Turquie.
Ensuite, il faut comprendre que l’essentiel des échanges commerciaux entre les deux États concerne principalement les hydrocarbures. Incontestablement, il y a de la part des Turcs un intérêt prononcé sur ce point puisqu’ils sont des consommateurs importants d’hydrocarbures et qu’ils ne sont pas dotés de telles ressources au niveau national. Dès 1996, un accord gazier a été signé entre l’Iran et la Turquie. Il concerne la livraison annuelle d’environ dix milliards de mètres cubes de gaz iraniens à la Turquie.
Enfin, ce voyage a été l’occasion pour les deux partenaires d’aborder huit autres dossiers économiques dont des perspectives de création ou d’approfondissement de coopération commune, qui touche des secteurs aussi différents que celui de la santé, des transports – notamment aériens – ou encore de l’industrie.
L’intensité des relations économiques entre les deux pays est donc importante, mais il faut souligner l’asymétrie qui existe au cœur de leurs échanges, rappelée par le président turc lors de cette visite. En effet, l’Iran exporte environ dix milliards de dollars de produits vers la Turquie, mais n’importe que cinq milliards de dollars de produits turcs. Cette asymétrie est liée à la facture gazière principalement, et M. Erdogan souhaite qu’un rééquilibrage dans les échanges s’effectue à l’avenir. En dépit de cette difficulté, pour la partie turque, la fluidité et l’importance des relations économiques entre les deux pays surplombent incontestablement les désaccords politiques qui peuvent par ailleurs exister entre eux.
En 2014, M. Erdogan n’avait pas hésité à qualifier l’Iran de «seconde patrie». En 2002, les dirigeants de l’AKP avaient choisi d’adopter la politique du «zéro problème» avec les voisins. Cette stratégie semble mise à mal aujourd’hui. Quels sont les rapports qu’entretient la Turquie avec son voisinage régional?
Effectivement, l’ancien ministre des Affaires étrangères turc, aujourd’hui devenu premier ministre, Ahmet Davutoglu, avait beaucoup utilisé cette formule de «zéro problème» avec ses voisins. Cela avait d’ailleurs fait sourire un certain nombre de commentateurs qui avaient choisi de détourner cette formule pour illustrer une situation bien différente : celle du «zéro voisin sans problème». Mais au-delà du trait d’humour, qui selon les points de vue n’en est pas forcément un, il faut bien admettre que la mise en œuvre d’une politique régionale équilibrée et un tant soit peu normalisée n’est pas chose aisée lorsqu’on a pour voisins les États du Caucase, l’Iran, la Syrie ou encore l’Irak. On comprend bien que chacun de ces voisins, pour des raisons différentes, se trouve face à des processus de déstabilisation. C’est pourquoi il est très compliqué pour la Turquie de mettre en œuvre une politique extérieure régionale fluide.
Cette erreur d’appréciation initiale a des conséquences terribles dans la mesure où une complicité tacite semble avoir existé entre des parties de l’appareil d’État, notamment les services de renseignement et des groupes radicaux tels que le Front al-Nosra. Néanmoins, les Turcs assument avec constance – non pas cette connivence avec al-Nosra – mais plutôt leur objectif principal en Syrie qui est de chasser Bachar al-Assad du pouvoir. Ils affirment que l’État islamique n’est pas, selon eux, la première cible à combattre en arguant que la mort des 200 000 civils depuis le début de ce conflit est bien imputable au régime de Bachar al-Assad.
Leur logique est donc tout à fait claire et c’est d’ailleurs sensiblement la même que celle, entre autres, des Français et des Britanniques. Cependant, cette erreur d’appréciation initiale a induit des décisions erronées. Par conséquent, une partie de la crédibilité régionale de la Turquie, qui s’était amplifiée et affirmée au cours des années 2000, est désormais plus sujette à caution et à critique.
Par ailleurs, il y a deux autres États avec lesquels la Turquie entretient des relations difficiles. Le premier est Israël, en rapport avec la question palestinienne. On sait combien les autorités turques sont sévères, à juste titre, sur la politique de colonisation menée par Benyamin Netanyahou. Le deuxième pays entretenant des relations conflictuelles avec la Turquie est l’Égypte, puisque M. Erdogan n’a de cesse de condamner le coup d’État fomenté contre les Frères musulmans par le Maréchal Sissi, l’actuel président égyptien.
Malgré cela, la Turquie, au-delà de ses difficultés à mettre en œuvre une politique régionale normalisée, reste un pays charnière dans la région à la fois par sa place, par son histoire et par son poids démographique et économique. En dépit des turbulences et des difficultés régionales, ce pays reste central et incontournable dans toute mise en œuvre de solutions et de résolution des crises et différends qui existent au Moyen-Orient.
La situation géographique de la Turquie la place entre deux régions : l’Europe et le Moyen-Orient. La Turquie a-t-elle fait un choix entre les deux?
Non, il n’y a pas de choix fait en ces termes. Je pense que les relations internationales ne sont jamais un jeu à somme nulle. Ce n’est pas parce que la Turquie a des velléités légitimes d’être plus influente au Moyen-Orient qu’elle doit nécessairement se mettre en retrait vis-à-vis de l’Europe – et réciproquement.
On peut considérer que la Turquie est parfaitement capable et suffisamment mûre pour avoir à la fois une politique offensive au niveau économique et diplomatique au Moyen-Orient et, en même temps, poursuivre des négociations d’adhésion avec l’Union européenne. Toutefois, il est clair que l’enthousiasme turc qui s’était manifesté il y a bientôt dix ans, lors de l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Union européenne en octobre 2005, est retombé d’autant que les Européens sont eux-mêmes en crise et que l’intensité des négociations a considérablement baissé. On peut même considérer que, depuis quatre ans, il y a de facto un gel des négociations. Le projet européen apparaît peut-être également moins attractif qu’il y a une dizaine d’années pour la Turquie.
Ceci étant, je ne suis pas de ceux qui considèrent qu’ils ont tourné la page européenne. Je pense que la Turquie a toujours besoin d’entretenir les meilleures relations possible, même si elles sont parfois conflictuelles, avec l’Union européenne. Si Ankara, de manière tout à fait hypothétique, entrait un jour dans le club européen, cela représenterait un multiplicateur de puissance, à la fois pour l’Union et pour la Turquie. Incontestablement, cela donnerait à ces deux acteurs plus de poids dans la région. La question est toutefois de savoir si l’Union européenne veut se doter d’une politique extérieure commune, ce dont on peut douter. Selon moi, il n’y a pas de choix à imposer à la Turquie. Cette dernière peut parfaitement être présente sur les deux tableaux, il y a même un intérêt conjoint à voir se renforcer de meilleures relations turco-européennes pour être, ensemble, plus proactifs au Moyen-Orient.
Source : IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques)
Le point de vue dans cet article est celui de son auteur et ne reflète pas nécessairement celui d’Epoch Times.
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