En France, les sapeurs-pompiers volontaires sont essentiels. Ils représentent 78% des effectifs de pompiers et prennent en charge 67% des interventions (secours d’urgence aux personnes, lutte contre les incendies, accidents de la route, risques industriels, protection de l’environnement…). Leurs missions, menées en parallèle de leur activité professionnelle, sont indispensables, et le ministère de l’Intérieur ne s’en cache pas, indiquant que les sapeurs-pompiers volontaires : « constituent le socle de notre modèle de Sécurité civile ». Or, les difficultés de recrutement sont réelles.
Une large partie de la population peut en théorie s’engager comme pompier volontaire. En pratique, on observe une forte homogénéité dans les rangs, composés d’une majorité d’hommes, jeunes et issus de milieux populaires. Si l’âge peut constituer un facteur assez facilement compréhensible, le sexe et l’origine sociale méritent une attention plus particulière. Ainsi, près de cinquante ans après qu’elles aient pu s’engager pour la première fois, les femmes ne représentent toujours que 20% des effectifs. De surcroît, moins de 1% de chefs d’entreprise sont comptabilisés dans les rangs, contre 35% d’employés ou d’ouvriers.
Pour tenter de comprendre ce phénomène, nous avons réalisé une enquête qualitative, par l’intermédiaire d’entretiens et d’observations. Les individus interrogés ont fait le choix de mettre un terme à leur engagement au cours des premières années et plus particulièrement au cours de leur formation initiale. Cette dernière constitue en effet une première étape essentielle dans le parcours des sapeurs-pompiers volontaires. Elle leur permet non seulement de développer les compétences nécessaires pour répondre aux missions qui leur sont confiées, mais elle constitue également l’une des premières occasions d’immersion dans le milieu et d’interaction avec les pairs. Elle est organisée sur une trentaine de jours, répartis sur une à trois années, et est constituée de cinq modules, dont la validation permet l’accès à certains types d’intervention.
Des obstacles rencontrés en formation initiale
Les résultats montrent que certains profils sont plus susceptibles que d’autres de rencontrer des obstacles en formation initiale. Les plus touchés sont les femmes et les chargés de famille. Les femmes interrogées ont surtout été affectées par la difficile conciliation entre la formation initiale et la vie de famille, sans doute en raison de leur plus faible disponibilité pour leur engagement au regard de leur investissement familial.
Mais elles ont également été marquées par différents problèmes rencontrés avec les formateurs. Ces derniers adoptent parfois une posture rappelant celle de l’instructeur, aux antipodes de l’idée d’accompagnement dans le développement des compétences portée par les référentiels, ou peuvent manquer de rigueur dans le suivi des apprenants. Certains propos ou comportements des formateurs ont, en ce sens, pu entraver la motivation et l’apprentissage des femmes concernées, à l’image de Julie (tous les prénoms ont été modifiés), qui explique que « quand on parle comme ça, moi je préfère me mettre dans une coquille ».
Les chargés de famille ont quant à eux surtout regretté l’aspect chronophage de cette formation, qui a notamment affecté leur organisation familiale, dans la mesure où elle est généralement organisée pendant les vacances scolaires ou sur plusieurs week-ends. Mais ils ont également été déçus de la qualité du suivi de leur formation initiale, qui ne leur semble pas toujours à la hauteur, tant sur le plan administratif que sur le plan humain – en caserne notamment. De surcroît, ils ne se sont pas sentis à l’aise face aux évaluations, éprouvant généralement stress et angoisse, particulièrement en manœuvre, lorsqu’ils doivent affronter le regard de l’autre.
Des défis au sein de la caserne
Les obstacles entravant le parcours des sapeurs-pompiers volontaires ne se limitent pas à la seule formation initiale. La caserne en introduit d’autres, particulièrement pour les femmes, les chargés de famille et les diplômés du supérieur. Ces derniers sont notamment déçus par l’ambiance qui y règne, ressentant des difficultés d’intégration et la nécessité de faire ses preuves pour être accepté, ou observant des tensions entre les sapeurs-pompiers au sein de la caserne. Mais ils sont également frustrés du manque de reconnaissance de l’institution, à l’image de Pierre, qui regrette la faible indemnisation accordée aux volontaires (notamment parce que le temps d’astreinte n’est généralement pas pris en compte) : « c’est quand même un sacré sacrifice pour le peu d’argent ».
Les chargés de famille ont régulièrement été insatisfaits de l’organisation de la caserne, en particulier parce que les nouvelles recrues ne semblent pas toujours accueillies avec bienveillance par les sapeurs-pompiers déjà en place. Sur ce point, Chloé s’adresse directement à ses anciens collègues :
« Vous dites qu’il faut recruter, que vous êtes en manque de personnel, mais le peu de gens qui sont motivés, qui viennent franchir le pas de votre caserne, essayez déjà de vous intéresser à eux et de les garder, et pas de les dégoûter en les prenant de haut et en leur faisant laver le matériel, les véhicules et compagnie ».
Les chargés de famille relèvent aussi un manque de communication et de suivi, et regrettent plus largement, comme les diplômés du supérieur, un manque de reconnaissance de l’institution et de l’État.
Un milieu toujours sexiste
Comme lors de leur formation initiale, les femmes ont éprouvé des difficultés pour concilier engagement et vie de famille. Mais elles ont surtout été affectées par l’organisation de la caserne et l’ambiance qui y règne, notamment en raison des problèmes liées à leur condition de femme que la majorité d’entre elles (61%) ont rencontrés. Le milieu apparaît sexiste et les propos désagréables ou remarques déplacées semblent monnaie courante. Elles peuvent porter sur la stature des femmes, qui ne leur permettrait pas de répondre à l’ensemble des missions, particulièrement celles réputées dangereuses comme les incendies. Elles concernent aussi la répartition des rôles au sein de la caserne, puisque comme le souligne Myriam :
« Quand on est une fille dans la caserne, on va dire que la fille elle fait le ménage, et le reste, tout ce qui est lourd, c’est les hommes ».
Mais les femmes évoquent également des propos à connotation sexuelle, et sont parfois victimes de gestes ou de comportements déplacés. Trois d’entre elles indiquent en avoir parlé avec leur chef de centre, mais ont été déçues par leur réaction, à l’image de Léa, qui explique que :
« Personne ne faisait rien et que tout le monde avait passé ça sous silence, en disant que “ça reste entre nous, que ça sort pas de nous quatre”. »
Myriam, elle, a fini par mettre un terme à son engagement :
« Je suis allée le voir deux ou trois fois, et il m’a dit qu’il allait arranger ça, mais il n’a jamais rien fait, jusqu’au jour où je suis partie. »
La plupart de ces femmes ont mal vécu les situations auxquelles elles ont pu être confrontées. Ces événements ont parfois affecté leur motivation et leur santé mentale. Cela a été le cas pour Cindy :
« J’avais 17 ans, je l’ai très mal vécu, mes parents n’étaient même pas au courant, du coup je me suis sentie seule au monde. C’était vraiment la dégringolade jusqu’au bout. »
Ces résultats font largement écho à des travaux antérieurs, dans la mesure où les stéréotypes sociaux de genre semblent toujours s’inviter dans le quotidien de la vie des casernes. Certains hommes ont du mal à accepter la présence des femmes dans un milieu qui leur a longtemps été réservé. Ils utilisent alors diverses stratégies pour les dissuader de poursuivre leur engagement, malgré la volonté de féminisation des effectifs de l’organisation et les campagnes de sensibilisation menées.
Les statistiques réalisées dans le cadre de cette étude ont d’ailleurs montré que les femmes ont deux fois plus de risques que les hommes de rompre leur engagement au cours des premières années.
Un entre-soi très marqué
Cette nouvelle enquête corrobore les résultats d’autres réalisées il y a plusieurs années. Le constat reste le même : une forte homogénéité est observée dans les rangs.
Les services départementaux d’incendie et de secours semblent toujours peiner à recruter et à maintenir dans l’engagement certains profils, à l’image des femmes, des chargés de famille et des diplômés du supérieur.
Tous éprouvent de réelles difficultés à s’intégrer dans le milieu et finissent généralement par rompre leur engagement. Il est par ailleurs intéressant de noter que dans près des deux tiers des cas, l’engagement se fait dans un contexte de connaissance du milieu, favorisé soit par la présence de sapeurs-pompiers dans l’entourage, soit par un engagement précédent en tant que jeune sapeur-pompier, soit, pour certains, par les deux. Le milieu affiche donc un certain entre-soi dont il a du mal à se défaire, malgré différentes campagnes de communication et de recrutement.
Article écrit par Pauline Born, Doctorante en Sciences de l’Éducation, Université de Bourgogne – UBFC
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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