TRIBUNE – La récente signature, par le groupe Orano, d’un accord d’investissement pour l’exploitation de la mine d’uranium de Zuuvch-Ovoo, en Mongolie, a attiré l’attention sur ce « coffre-fort géologique de l’Asie », enclavé entre ses deux puissants voisins russe et chinois. Avec la plus faible densité du monde, 3,5 millions d’habitants répartis sur 1.564.000 km², le pays du « ciel bleu éternel » mise sur une ouverture à pas feutrés aux grandes compagnies minières internationales. Une politique qui, si elle veut porter ses fruits sur le long terme, ne peut pas faire fi d’un programme de réformes constitutionnelles, fiscales et judiciaires, et se doit de renoncer à la tentation du modèle oligarchique russe.
L’Ours et le Dragon tiennent fermement en bride le Mustang des steppes
La Chine, avec laquelle la Mongolie partage 4630 kilomètres de frontières, est son principal partenaire commercial, représentant 93 % de ses exportations – dont 84 % de son charbon et de son cuivre, la majorité de sa laine, et son fameux cachemire – et 36 % de ses importations. La Russie lui fournit, quant à elle, la quasi-totalité de ses hydrocarbures – 81 % de son gaz et 87 % de son pétrole raffiné.
La Mongolie dépend également de ses deux voisins pour ses liaisons avec l’extérieur par la voie ferroviaire du Transmongolien, tracée en 1945 par les ingénieurs soviétiques, et dont le trafic s’est envolé depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022. Même chose pour les conteneurs venant des steppes, qui s’accumulent sur les quais du port de Tiabjin, au sud-est de la capitale chinoise, selon le bon vouloir des douaniers chinois.
Outre son potentiel en cuivre et en uranium, la Mongolie recèle des réserves d’or, de fer, de zinc, de terres rares, de pétrole et surtout de charbon, quasiment inépuisables. Elle espère pouvoir en tirer parti, en s’ouvrant aux investissements étrangers, afin de doubler son PIB de 23,7 milliards de dollars en 2022 à 50 milliards en 2030, et faire reculer le taux de pauvreté à 15 %, soit une diminution de moitié. Néanmoins, les prospections minières réalisées durant l’époque soviétique ne l’ont été qu’à une faible profondeur. Un manque de données qui constitue un obstacle de taille : les compagnies minières doivent partir de zéro.
Pour attirer les investissements étrangers, le Premier ministre Oyun-Erdene, – un réformiste diplômé de Harvard, en place depuis janvier 2021 sous la bannière du PPM (Parti du Peuple mongol), l’ex-Parti communiste –, a lancé un plan de modernisation : réformes constitutionnelles et judiciaires, lutte contre la corruption, véritable plaie du pays dont la Chine sait habilement user pour tenir l’État sous sa coupe, et modification des politiques et réglementations régissant les ressources naturelles.
Le spectre des nationalisations
Le groupe français Areva, devenu Orano, a ainsi vu ses vingt-cinq ans d’efforts d’exploration récompensés par la signature le 17 janvier 2025 d’un accord à long terme. Il porte sur un méga-projet associant le groupe mongol MontAtom pour l’exploitation de la mine d’uranium de Zuuvch-Ovoo, dans le désert de Gobi. Cet accord intervient un an et demi après la visite en mai 2023 d’Emmanuel Macron – première visite d’un président français en Mongolie – et concerne la mise en production de gisements d’uranium estimés à près de 90.000 tonnes.
D’une durée de 30 ans, ce projet représente un investissement initial de 500 millions de dollars avant le début de mise en exploitation du gisement et un total de 1,6 milliard de dollars durant la durée de vie de la mine avec la création de 1600 emplois. Le développement du programme durera 4 ans avant la mise en production de la mine de Zuuvch-Ovoo, dont la capacité nominale est estimée à 2500 tonnes d’uranium par an, soit 40 % de plus de ce qu’Orano produisait à Arlit au Niger.
Cet accord est doublement important dans la mesure où il participe à la consolidation de la sécurité énergétique du nucléaire français d’une part, et de l’autre annonce potentiellement un revirement significatif dans la politique d’ouverture d’Oulan-Bator.
En effet, un amendement à la loi sur les minerais voté en 2024 prévoyait d’exproprier une partie des actifs miniers de groupes internationaux sur les gisements jugés « stratégiques ». Il fixe une jauge limite de 34 % sur les droits de propriété des groupes étrangers, le reste revenant au gouvernement mongol. L’accord avec Orano, sur la base d’une combinaison d’actions préférentielles et de redevances sur ses revenus d’exploitation, s’il témoigne d’une volonté d’assouplissement des autorités mongoles, n’en demeure pas moins, à ce stade, l’exception plutôt que la règle, un succès obtenu après d’âpres négociations. Le risque de nationalisation plane toujours au-dessus des entreprises minières étrangères, systémique.
En attente du miracle mongol
Le président mongol Ukhnaagiin Khurelsukh est ainsi régulièrement qualifié d’ « admirateur de Poutine » pour lequel il a déroulé le tapis rouge lors de sa visite officielle, tandis que le président russe était sous mandat d’arrêt de la CPI. Plus que de simples liens bilatéraux rapprochés, le gouvernement mongol semble vouloir reproduire le modèle économique oligarchique qui s’est imposé en Russie à la suite de la chute de l’URSS.
Selon une étude du Centre for Resilient Society publiée en février 2025, le contrôle des actifs miniers nationaux viserait ainsi à rediriger les richesses vers les fidèles du régime pour enrichir une petite élite dont le pouvoir se trouverait consolidé. La création d’un fonds souverain dans le sillage des amendements à la loi sur les minerais a ainsi fait craindre aux observateurs internationaux que cette structure ne serve de caisse noire pour l’élite, qui cherche à s’assurer le contrôle des ressources stratégiques.
La Mongolie sait que sa neutralité est son meilleur atout. Pour autant, sa stratégie de diversification de ses partenaires, dite de la « troisième voie« , est-elle réaliste au regard de l’influence de ses deux grands voisins ? Les prochains arbitrages d’Oulan-Bator dans cette lutte pour l’exploitation des matériaux critiques et des terres rares devraient permettre de s’en faire une idée.
Eugène Berg est un essayiste et diplomate français. Spécialiste de la Russie, de l’Ukraine et du Pacifique, il a notamment publié Non-alignement et nouvel ordre mondial (1980), la Russie pour les Nuls (2016), De l’ordre européen à l’ordre mondial (2020) et Ukraine – février 2023 (2023). Il a notamment été, de 1990 à 1993 adjoint du président de la Commission interministérielle pour la coopération franco-allemande, de 1994 à 1998, consul général à Leipzig puis ambassadeur en Namibie, au Botswana (1998-2003) puis aux îles Fidji, ainsi que dans six autres territoires du Pacifique de 2004 à 2006.
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