Pour la rhubarbe forcée, qui pousse dans le noir, le printemps arrive en janvier

Par Epoch Times avec AFP
18 janvier 2022 13:10 Mis à jour: 18 janvier 2022 13:20

Dans la pénombre, Robert Tomlinson cueille des tiges de rhubarbe dite « forcée », à la lumière de la bougie. Depuis quatre générations, sa famille perpétue cette tradition dans le nord de l’Angleterre, malgré des menaces comme le réchauffement climatique.

Dans le hangar de la ferme familiale à Pudsey, près de Leeds, des centaines de plants d’un rose vif se dressent vers le plafond. La température est d’environ 14 degrés et l’obscurité quasi totale.

Seul le craquement des pétioles (tiges) prélevés d’un geste expert et le vrombissement intermittent du chauffage viennent perturber le calme quasi religieux.

« On leur fait croire que c’est le printemps »

Avec cette douceur de l’air, « on leur fait croire que c’est le printemps » raconte Robert Tomlinson, 41 ans, slalomant entre ses plants de rhubarbe forcée qui bénéficient d’une appellation d’origine protégée (AOP).

L’obscurité a elle aussi une explication: « Comme il n’y a pas de lumière, la plante ne peut produire de chlorophylle et le sucre va dans la tige plutôt que dans la feuille donc vous avez des tiges plus tendres, plus sucrées ».

La rhubarbe forcée récoltée par l’agriculteur Robert Tomlinson à la lueur des bougies attend le contrôle et l’emballage dans sa ferme dans le nord de l’Angleterre, le 13 janvier 2022. Photo par OLI SCARFF/AFP via Getty Images.

Autre avantage: la rhubarbe forcée se récolte en hiver, à un moment où il y a peu de fruits et légumes frais. Dans les étals, elle sera vendue plus cher que sa cousine poussée en plein air, qui ne sera pas cueillie avant le mois de mai.

Avant de passer quelques semaines à l’abri, la rhubarbe forcée est restée deux ans en plein champ. Une fois à l’intérieur, les tiges grandissent en quelques semaines.

Le « triangle de la rhubarbe »

« On les entend littéralement pousser, ça fait comme des +pops+ », décrit Robert Tomlinson, qui habite un coin du Yorkshire surnommé le « triangle de la rhubarbe » en raison de la concentration des producteurs.

L’agricultrice Paula Tomlinson classe et emballe de la rhubarbe forcée, dans le nord de l’Angleterre, le 5 février 2021. Photo par OLI SCARFF/AFP via Getty Images.

Son arrière-grand-père a commencé à faire pousser cette plante originaire d’Asie et de Russie à la fin des années 1880. Jusqu’aux années 1960, son goût acidulé était prisé des Britanniques. Puis elle est passée de mode et face à une faible demande, de nombreux producteurs ont jeté l’éponge.

Autrefois plus de 200, ils ne sont désormais plus qu’une dizaine.

Les chefs s’emparent de ce produit

Mais ces dernières années, des chefs ont redécouvert ce produit comme Tom Cenci, qui supervise l’approvisionnement à 26 Grains et Stoney street, deux restaurants londoniens.

« Le nombre de recettes est infini », décrit-il avant de faire revenir quelques morceaux dans le jus d’une orange, ajoutant du sucre et un peu de gingembre.

La rhubarbe est cultivée dans des hangars sombres et chauffés et récoltée à la lueur des bougies pour éviter que la plante ne produise de la chlorophylle, qui préserve sa couleur et rend la rhubarbe plus douce et plus tendre. Photo par OLI SCARFF/AFP via Getty Images.

« Elle a un goût légèrement plus sucré » que la rhubarbe poussée en plein air qui peut être plus « filandreuse » compare ce chef. Il n’hésite pas à la marier avec du poisson ou du canard.

La rhubarbe forcée se décline aussi en boissons, du soda aromatisé au gin en passant par le vin effervescent ou le sirop.

Ce regain d’intérêt a permis à Robert Tomlinson de traverser la pandémie sans trop de dommages, malgré la fermeture un temps des restaurants.

Envoie sa production « partout dans le pays » et à l’étranger

Après l’avoir stockée dans des paquets rouge et jaune tamponnés du mot « Harbinger » (la variété cultivée), il envoie sa production « partout dans le pays » mais aussi à « Paris, Berlin, Zurich et même à New York », énumère le cultivateur avec fierté.

Si la demande a grimpé ces dernières années, le Brexit complique cependant ses exportations vers l’Europe, désormais plus chères.

La ferme de Tomlinson fait partie du «triangle de la rhubarbe», la zone définie trois villes. Photo par OLI SCARFF/AFP via Getty Images.

La production demande par ailleurs « beaucoup de travail » et c’est « difficile de trouver des gens pour le faire », confie-t-il tout en empaquetant des tiges aidé seulement de son épouse Paula. Le weekend, leurs deux enfants de 13 et 14 ans leur donnent un coup de main.

Autre défi: le réchauffement climatique, cause d’hivers plus doux.

« Jadis, la saison commençait bien plus tôt qu’aujourd’hui. Le changement climatique l’a un peu décalé », explique Robert Tomlinson. C’est un problème « parce que (les plantes) ont besoin d’une période de froid à l’automne pour regagner en énergie avant que nous les mettions à l’abri ».

Malgré ces aléas, le procédé reste le même depuis l’époque de son arrière-grand-père: « La manière de cultiver est quasi inchangée par rapport à cette époque car il n’y a pas d’autres façons de le faire. Donc je continuerai à cueillir à la lumière de la bougie, à la main ».


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