Étonnamment lorsqu’on parle d’accompagnement à l’entrepreneuriat, l’idée qui fait rapidement surface est de contribuer à la création d’entreprise. Or il semble important dans notre société qui cherche à fabriquer l’entrepreneuriat (La fabrique de l’entrepreneuriat, Dunod, 2017), d’ôter ces ornières dont elle s’est rendue prisonnière.
L’entrepreneuriat revêt différents aspects, allant de l’idée d’un projet à la création d’entreprise. Ce cheminement est loin d’être linéaire. Il est fait d’allers-retours incessants, notamment dans les phases amont du projet.
Il est même possible de considérer deux états différents lorsqu’on parle d’entrepreneuriat. Un état considéré comme gazeux qui se situe en amont du processus entrepreneurial. Dans cet état, le projet entrepreneurial est peu évolué, la capacité d’action sur le projet est grande. L’autre état peut être qualifié de cristallisé. Dans cet état, le projet entrepreneurial est bien avancé. La capacité d’action sur le projet est alors plus faible. On se situe dans la phase avale de l’entrepreneuriat où l’objectif est lié à la création d’entreprise.
Si on s’accorde sur ces deux états, gazeux et de cristallisation, il conviendra de se dire que les modalités d’accompagnement ne sont pas les mêmes, parce qu’elles renvoient à deux postures d’accompagnement bien différentes, peut-être même antagonistes dans certains cas : celle du réparateur et celle du facilitateur.
Le réparateur : la figure habituelle en entrepreneuriat
Le réparateur est la posture habituellement mobilisée pour aborder l’état de cristallisation de l’entrepreneuriat. C’est la posture de l’expert qui apporte des solutions aux problèmes rencontrés par les personnes. À travers cette posture, il s’agit de rationaliser la réflexion, les décisions.
L’image du garagiste résume bien cette situation. Quand nous avons un problème de voiture, nous pouvons essayer de le réparer par nous-mêmes si nous en avons l’expertise ou nous faisons appel à un spécialiste : le garagiste. Celui-ci est capable d’apporter des solutions indépendamment du propriétaire de la voiture. En effet, nous allons au garage, où nous confions notre voiture au spécialiste et au retour nous la récupérons réparée, souvent sans chercher à savoir comment elle l’a été.
Il en va de même pour l’entrepreneur. On retrouve ici les experts techniques de l’entrepreneuriat, comme l’expert-comptable, le juriste, les différents types de financeurs, les spécialistes du brevet, de l’étude de marché… L’efficacité de ces expertises part de l’hypothèse que le projet entrepreneurial est clair. La démarche sous-jacente est de rationaliser le processus entrepreneurial dans une perspective déductive.
Cette logique s’organise essentiellement autour de quatre étapes : l’identification (comprendre la situation initiale), l’analyse (rechercher les points qui posent problème et qui seraient à travailler), la solution (trouver une ou des solutions à mettre en place) et la mise en œuvre (élaborer le plan d’action y afférent).
Le projet entrepreneurial est morcelé en divers problèmes à résoudre où chaque problème a son expert propre. L’outil privilégié dans cette démarche entrepreneuriale est le plan d’affaires (ou business plan). Dans cette perspective, le rôle de l’entrepreneur est de savoir s’entourer. Il est nécessaire pour lui de bien identifier les experts avec qui il souhaite s’engager.
Le facilitateur : la figure oubliée de l’entrepreneuriat
La reconnaissance de l’état gazeux comme partie intégrante du processus entrepreneurial nécessite d’envisager la posture nécessaire en termes d’accompagnement entrepreneurial.
Dans cette situation, il ne s’agit pas d’apporter une expertise au niveau du projet entrepreneurial mais bien de construire du sens, notamment liant, entre l’intentionnalité de l’entrepreneur, son projet entrepreneurial et son écosystème. En termes d’accompagnement, il ne s’agit pas d’apporter une expertise comme celle du réparateur mais bien d’aider l’entrepreneur à construire son projet à partir de sa vision de la société et à la partager avec les acteurs de son écosystème.
Cette façon de faire, très connue en philosophie et en psychologie, sous le terme de « maïeutique » trouve bien son intérêt en entrepreneuriat. On passe ainsi de la logique de conseil du réparateur à la logique de suggestion du facilitateur. Le rôle de celui-ci est d’aider l’entrepreneur à construire une représentation acceptable, partageable et cohérente de son projet entrepreneurial avec son écosystème, plus particulièrement par le biais dune posture réflexive. C’est en questionnant l’entrepreneur que le facilitateur va justement permettre cette réflexivité.
À travers le rôle du facilitateur, il s’agit de faire émerger l’explication de ce qui est implicite à l’entendement de l’entrepreneur. Le mentorat s’inspire partiellement de cette posture de facilitateur, notamment sur le questionnement portant sur le projet entrepreneurial.
La posture du facilitateur va cependant plus loin que le mentorat dans la mesure où elle s’intéresse à la vision de l’entrepreneur, son intentionnalité de départ et donc aux dimensions subjectives de sa pensée et de ses agissements. La posture proposée est résolument tournée vers une approche réflexive de l’entrepreneuriat amenant à une prise de conscience de la part de l’entrepreneur par rapport à ses actions et à ses décisions passées, présentes et futures.
L’image que nous pouvons donner ici est celle d’aider l’entrepreneur à descendre de son vélo pour se regarder pédaler. Au final, ce qui va permettre le passage de l’état gazeux à l’état de cristallisation correspond à la robustesse des réponses apportées par l’entrepreneur aux questions du facilitateur.
Le réparateur et le facilitateur : les deux postures de l’accompagnement entrepreneurial
De façon synthétique, il est possible de résumer ces deux postures de la manière suivante :
À travers le facilitateur, il convient de développer une rhétorique de l’entrepreneuriat. En effet, il est essentiel que l’entrepreneur puisse communiquer sa vision entrepreneuriale auprès des acteurs de son écosystème. Le facilitateur doit savoir écouter l’entrepreneur, le faire parler sur ses motivations, ses intentions, son projet, ses ambitions…
L’objectif n’est pas de juger l’entrepreneur et encore moins son projet. Alors que dans la phase de cristallisation, le jugement porté sur le projet entrepreneurial est le point de départ de l’accompagnement, dans l’état gazeux personne n’est capable de dire si cela va réussir ou pas. Ainsi le facilitateur a-t-il pour objectif de permettre à l’entrepreneur de s’essayer, de développer son expérience, d’éprouver sa vision entrepreneuriale.
Trop souvent, les projets sont évalués comme s’ils se situaient dans l’état de cristallisation, alors que très souvent ils ne sont encore que dans l’état gazeux. Cette erreur de nature a pour conséquence principale de tuer dans l’œuf des initiatives entrepreneuriales. On trouve ici une des raisons du faible développement de l’entrepreneuriat en France. Néanmoins, des solutions existent. Un certain nombre d’expériences dans le domaine se sont développées. Mais encore faut-il les mettre en place à une grande échelle. C’est tout l’enjeu des programmes dédiés à l’entrepreneuriat, comme le programme PEPITE portant sur l’entrepreneuriat des étudiants.
Christophe Schmitt, Vice-Président en charge de l’Entrepreneuriat et de l’Incubation et Professeur des Universités en entrepreneuriat, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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