Pourquoi Canal+ entame-t-il un bras de fer avec l’Arcom ?

Par Ludovic Genin
10 décembre 2024 07:01 Mis à jour: 10 décembre 2024 17:29

Nouveau rebondissement dans le dossier des fréquences télé : le groupe Canal++, filiale de Vivendi, veut retirer de la TNT, à partir de juin 2025, ses quatre chaînes payantes (Canal+, Canal+ Cinéma, Canal+ Sport, Planète), en réaction notamment au non-renouvellement de la fréquence de C8.

« Tirant les conséquences du retrait de la chaîne C8, première chaîne de la TNT, par l’Arcom et d’un environnement fiscal et réglementaire de plus en plus contraignant pour le groupe en France, Canal+ annonce le retrait de ses chaînes payantes de la TNT », selon un communiqué du groupe publié le 5 décembre.

Canal+, leader européen des médias et l’un des principaux groupes mondiaux du secteur, dénonce subir « des décisions fiscales et réglementaires pénalisantes pour son exploitation en France », conteste l’ « augmentation de sa taxe versée au CNC » (Centre national du cinéma) et les « menaces sur son taux de TVA pourtant directement lié à son statut de premier financeur du cinéma français ».

Quelque 250 postes vont être supprimés, dont 150 en lien avec l’arrêt de sa chaîne C8 (CDI, CDD, pigistes et intermittents) le 28 février, a indiqué vendredi l’intersyndicale de la filiale de Vivendi.

Canal+ annonce la fin de ses chaînes payantes sur la TNT 

Cette décision de l’Arcom de fermer sa chaîne C8, comme le groupe CANAL+ n’a cessé de l’indiquer lors de ses auditions publiques, vient profondément déséquilibrer l’activité de ses chaînes payantes sur la TNT.

Le retrait de la TNT de ses chaînes payantes prendra effet en juin 2025, si la décision de l’Arcom de suspendre C8 était confirmée.

Le groupe CANAL+ a rappelé qu’il est « aujourd’hui un leader mondial du divertissement, présent dans 52 pays avec 26,8 millions d’abonnés fin 2023, et que deux tiers de ses abonnés sont situés à l’extérieur des frontières françaises. »

« La réglementation nationale est devenue un frein à l’expansion et à la rentabilité des acteurs français, bien plus régulés que leurs concurrents internationaux », avait déploré le président de Canal+ Maxime Saada en février devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les fréquences TNT.

« Seuls les abonnés de Canal+ qui sont encore sur la TNT seront concernés », est-il précisé. Ils étaient quelque 70.000 fin septembre en France, selon un document de Canal+.

L’impact pour eux sera réduit : le groupe « leur proposera les équipements nécessaires afin qu’ils puissent continuer à profiter de l’ensemble des programmes de leurs chaînes sur d’autres modes de diffusion (satellite, ADSL et fibre via les opérateurs télécoms, Internet/OTT depuis l’application Canal+ sur l’ensemble des écrans connectés) ».

Canal+ en parlait depuis quatre ans, et le mouvement paraissait « inéluctable », alors que le groupe a évolué vers une plateforme numérique. En 2020, Canal+ avait renouvelé sa fréquence sur le canal 4 pour un temps réduit volontairement de trois ans, puis dix-huit mois, jusqu’en juin 2025.

Le poids lourd de l’audiovisuel conservera toutefois deux chaînes gratuites en clair sur la TNT : la chaîne d’info CNews et CStar.

La décision de l’Arcom de fermer C8

La décision de l’Arcom en juillet avait provoqué une déflagration dans le monde de l’audiovisuel et au-delà, certains y voyant une forme de censure. En évinçant C8, première chaîne de la TNT et 5e des chaînes hertziennes, le régulateur envoyait un signal inquiétant sur le pluralisme des médias en France, déclarant a contrario avoir pris sa décision sur « l’intérêt de chaque projet pour le public au regard de l’impératif prioritaire de pluralisme ».

Le rebondissement de la semaine dernière avec la décision de Canal+ intervient alors que l’Arcom doit finaliser dans les prochains jours le processus de réattribution de 15 fréquences TNT en 2025, dont C8 a été exclu. Canal+, Canal+ Cinéma, Canal+ Sport et Planète avaient été retenues.

L’autorité devra encore statuer sur la numérotation des chaînes, que le retrait de Canal+ pourrait venir chambouler. La décision du groupe intervient aussi quatre jours avant une assemblée générale décisive pour le projet de scission de Vivendi en quatre entités indépendantes, dont la société Canal+. En cas de feu vert des actionnaires, Canal+ sera coté à la Bourse de Londres à partir du 16 décembre.

Un élan populaire pour le maintien de C8

Mi-novembre, une pétition de soutien à C8 a soulevé un élan populaire avec près d’1 million de signatures ces derniers jours. « Chaque jour, plus de 9,6 millions de téléspectateurs cumulés regardent les émissions de C8. C8 est la première chaîne de la TNT à laquelle le public est profondément attaché » peut-on lire sur la pétition.

Plus de 230.000 commentaires sous la pétition – du jamais vu -, montrent l’attachement d’un grand nombre de Français au maintien de leur chaîne de divertissement, dénonçant une censure et une atteinte « honteuse » à la liberté d’expression.

C8 a saisi la justice, en invoquant une situation « particulière au regard des enjeux économiques, sociaux et concurrentiels engendrés » pour une chaîne existant « depuis près de 20 ans ».

L’extension du pouvoir de contrôle de l’Arcom en question

Le Sénat s’était penché le 17 octobre sur le dossier du pluralisme médiatique, la droite s’opposant frontalement à l’extension des pouvoirs de contrôle du régulateur de l’audiovisuel (Arcom), aux côtés du gouvernement qui a promis un projet de loi sur l’indépendance des médias dans les prochains mois.

Au cœur des discussions, l’extension du pouvoir de contrôle de l’Arcom en matière de pluralisme des chaînes : la gauche souhaitait ainsi sanctuariser dans la loi une décision du Conseil d’État de février 2024, qui impose au régulateur d’élargir son contrôle de la « diversité des courants de pensée » à tous les invités des émissions, et non pas uniquement les personnalités politiques présentes en plateau – ce qui correspond à un fichage politique généralisé des médias, sous le giron d’une autorité administrative, proche du pouvoir.

La mesure, ainsi qu’un autre dispositif renforçant les sanctions à la disposition de l’Arcom, a entraîné une levée de boucliers de la droite, qui a obtenu leur suppression. Le sénateur LR Max Brisson a ainsi épinglé « une intention cachée » par la gauche de « cibler le groupe Canal+ » à travers ce « coup politique ». « Vous redéfinissez la liberté d’expression autour d’une espèce de vérité absolue, qui nie la spécificité de la presse d’opinion », a prolongé son collègue LR Olivier Paccaud.

Ces propositions interviennent quelques semaines après l’aboutissement des États généraux de l’information (EGI), lancés il y a un an par le président de la République Emmanuel Macron, et dont les conclusions veulent institutionnaliser la labellisation de tous les médias sur internet par la puissance des GAFAMs et par des organismes proches du pouvoir politique.

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