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Pourquoi il faut enseigner l’échec aux étudiants

décembre 19, 2017 8:10, Last Updated: décembre 19, 2017 0:07
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Au XIXe siècle, le poète américain Walt Whitmann écrivait

« Vivas to those who have fail’d ! And to those whose war-vessels sank in the sea ! And to those themselves who sank in the sea ! And to all generals that lost engagements, and all overcome heroes ! And the numberless unknown heroes equal to the greatest heroes known ! « (« Bravo à ceux qui ont échoué ! À ceux dont les vaisseaux ont sombré dans la mer ! A ceux qui, dans la mer, se sont-eux mêmes noyés ! »).

En 1982, dans « Worstward Ho » (Cap au pire en version française), Samuel Beckett écrivait quant à lui

« Ever Tried. Ever Failed. No Matter. Try again. Fail again. Fail better » (« Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux »).

S’intéresser à l’échec

Premiers Aviateurs, Ed Pow Pow.

Depuis 2009 et 2015 respectivement, les Failcon et les Fuckup Nights mettent en scène des entrepreneurs venant présenter leurs échecs entrepreneuriaux en quelques slides et quelques minutes. Dans le courant de l’année 2016, un roman graphique, Les Premiers aviateurs d’Alexandre Fontaine Rousseau et Francis Desharnais, et un essai philosophique, Les vertus de l’échec de Charles Pépin, ont été publiés en langue française avec comme point commun de traiter de l’échec.

Alors que les dessinateurs rappellent que « On oublie souvent que l’échec occupe une place de choix dans l’histoire de la réussite, et l’épopée des premiers aviateurs ne fait certainement pas exception à cette règle ancestrale », le philosophe propose quelques réflexions afin de changer la perception (négative) de l’échec en France.

En juin 2017 s’ouvrait en Suède le Museum of Failure – littéralement le Musée de l’échec. Dans ce musée, des produits et services – entre autres, le Newton d’Apple, le Bic for Her, les Google Glass, la N-Gage de Nokia ou le Coca-Cola BlāK – sont exposés. Tous ces produits ou services partagent le point commun d’avoir été, pour des raisons différentes, des échecs commerciaux conduisant les firmes à arrêter leur commercialisation.

Reconnaître le rôle de l’échec

Dans des domaines et contextes différents, ces exemples ont en commun de reconnaître un rôle à l’échec. Nous adopterons ici la définition de John Danner et Mark Coopersmith : pour eux, c’est « une erreur ou un résultat indésirable qui importe » pour une organisation, une équipe ou une personne. Dans The other « F ». How Smart Leaders, Teams, and Entrepeneurs Put Failure to Work, Danner et Coopersmith discutent longuement de la nature de l’échec, des formes d’échec, des conséquences de l’échec tout en invitant le lecteur à déterminer sa propre définition de l’échec.

Les exemples précédents ne sauraient constituer une liste exhaustive des domaines dans lesquels l’échec joue un rôle. Ainsi, Charles Pépin souligne que Charles de Gaulle, J.K. Rowling, Roger Federer, Winston Churchill, Charles Darwin ou Thomas Edison ont en commun « d’avoir échoué avant de réussir. Mieux : c’est parce qu’ils ont échoué qu’ils ont réussi. ».

Houston we’ve had a problem.

Grâce au film de Ron Howard, Appolo 13, la phrase « Houston, we’ve had a problem » est devenue populaire. Ce que l’on sait moins au sujet de cette mission, c’est que la NASA la qualifie de « sucessful failure » dans la mesure où elle a permis à l’agence spatiale américaine d’acquérir de l’expérience pour les missions suivantes et notamment dans le domaine du sauvetage des équipages de navette.

L’échec à l’école

Paradoxalement, un domaine demeure relativement hermétique à l’échec : c’est le domaine de l’école et de l’enseignement. Cela est particulièrement vrai dans le cas de la France – un chapitre de l’essai de Charles Pépin est consacré à l’échec de l’école – dont le système éducatif valorise principalement la réussite et relativement peu l’échec en comparaison d’autres systèmes éducatifs.

Alors que dans les premiers temps de l’apprentissage d’un être humain, l’échec joue un rôle (l’apprentissage de la marche par le bébé qui tombant va se relever pour reprendre sa marche, par exemple), il disparaît lorsque l’apprentissage s’institutionnalise et devient l’affaire de l’école.

Cela est d’autant plus paradoxal que la créativité, reconnue avec d’autres comme l’une des compétences du 21e siècle, l’innovation et l’entrepreneuriat sont désormais enseignés dans de nombreuses institutions de l’enseignement supérieur et également dans le secondaire ou le primaire. Des techniques de créativité comme les cartes heuristiques sont ainsi utilisées et enseignées dans le secondaire. L’échec demeure pourtant encore fortement un tabou dont il ne faudrait pas parler, qu’il faudrait cacher et qu’il ne faudrait pas intégrer dans les enseignements.

Lorsqu’on s’intéresse en détail à la créativité, à l’innovation et à l’entrepreneuriat, l’échec apparaît sous une forme ou une autre : il peut s’agir d’idées abandonnées, d’inventions jamais transformées en innovations ou d’innovations n’ayant jamais rencontrées leur marché comme celles exposées au Museum of Failure.

Réduire la peur de l’échec

Pour le dire autrement, l’échec est un élément clef de la créativité, de l’innovation et de l’entrepreneuriat ou une compétence de découverte qui caractérise l’innovateur, pour reprendre le terme de Clayton Christensen, Jeffrey Dyer et Hal Gregersen dans Le Gène de l’innovateur : Cinq compétences qui font la différence. Les auteurs utilisent le terme « expérimentation » plutôt que le terme « échec », un usage qui traduit un changement de posture : Thomas Edison ne disait jamais qu’il avait échoué mais qu’il avait trouvé des solutions qui ne fonctionnent pas.

Comme le soulignent Danner et Coopersmith, le principal problème de l’échec n’est pas l’échec en lui-même mais la peur de l’échec. L’école, lieu d’apprentissage par excellence, devrait permettre de réduire cette peur de l’échec et encourager les élèves à faire et entreprendre sans avoir peur des risques, des erreurs ou de se tromper.

Ken Robinson.

Dans son TED Talk de 2006, Ken Robinson, le spécialiste anglais de l’éducation, rappelait que, si l’on est pas préparé à se tromper, on ne créera jamais rien d’original. Pour Robinson, les environnements éducatifs doivent être radicalement repensés afin de favoriser la créativité et permettre de faire l’expérience de l’échec dans une logique d’apprentissage.

En français, le mot échec renvoie également au jeu des échecs dont l’étymologie signifie « le roi est mort ». À une époque pas si lointaine de notre histoire, nous avons tué le roi. À défaut de tuer l’échec, il est grand temps de l’intégrer dans nos apprentissages.

Didier Calcei, Professeur associé en Innovation & Entrepreneuriat, Groupe ESC Troyes – UGEI

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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