Ces dernières années en France, plusieurs cas de cancers inexpliqués, notamment chez des enfants, ont fait l’actualité. En Loire-Atlantique par exemple, un nombre anormal de leucémies avait été rapporté entre 2015 et 2019, poussant les familles à saisir l’Agence régionale de la santé (ARS). Des enquêtes sanitaires avaient été lancées, pour identifier d’éventuels facteurs environnementaux.
Tragiquement, fin 2021 à Franconville (Val d’Oise), la petite Shiloh décédait d’un rare cancer du sein à l’âge de 13 ans après une longue errance médicale. Ses parents cherchent toujours à comprendre les origines de la maladie de leur fille.
Dans ces différents cas, la question qui est dans toutes les têtes est : des contaminations environnementales sont-elles en cause ? Des polluants métalliques et/ou organiques sont en effet suspectés de provoquer des cancers, en particulier dans des zones industrialisées, agricoles ou minières. Outre les actions des services nationaux de santé, les méthodes d’analyses toxicologiques sont-elles toutes fiables et accessibles aux familles qui voudraient en savoir plus ?
Nous allons revenir ici sur une question fondamentale : l’intérêt des analyses de cheveux.
Des métaux dans les cheveux ?
Dans la vallée de l’Orbiel (Aude), une suspicion d’exposition à l’arsenic après les inondations exceptionnelles de 2018 a amené les habitants à s’inquiéter pour la santé de leurs enfants – exposition qui avait été confirmée par l’ARS.
Plus récemment, comme l’ont également fait les familles en Loire-Atlantique et celle de Shiloh, les habitants ont voulu savoir ce qu’il en était de leur niveau d’exposition aux polluants. Ils ont donc fait appel à un laboratoire privé qui se proposait de mesurer les concentrations en métaux dans une mèche de cheveux par spectrométrie de masse à plasma induit : la technique de référence du dosage des métaux. Les cheveux peuvent en effet fixer les métaux par une de leurs protéines riches en soufre, la kératine, les métaux ayant une grande affinité pour cet élément.
Les résultats des analyses ont été envoyés aux familles sous forme de tableaux avec une longue liste de métaux plus ou moins toxiques, leurs concentrations totales dans les cheveux et un code couleur (vert, orange, rouge) pour indiquer si la concentration était basse, moyenne ou élevée. Les formes physique et chimique de ces métaux dont dépend leur toxicité n’étaient pas analysées. Le tout, sans explication médicale.
Dans cette longue liste, des cas de concentrations supérieures aux seuils affichés pouvaient légitimement créer de l’anxiété chez les personnes concernées même si les laboratoires proposaient une prestation d’accompagnement en cas de doses élevées.
Une telle procédure était-elle pertinente ? Pas forcément… Car si les cheveux peuvent être un bon marqueur de contamination pour certains éléments, ce n’est pas le cas de tous les métaux comme nous allons l’expliquer.
Un métal présent en surface ou en profondeur ?
Il y a trois voies principales de contamination aux métaux : par contact dermique, par inhalation (après avoir traversé les poumons), et par ingestion (alimentation, et pour les enfants, exposition mains-bouche). On parle alors d’absorption, et elle témoigne de la présence des métaux à l’intérieur des cheveux.
Certains métaux ingérés ou inhalés peuvent, en fonction de leur forme chimique et après différents processus, passer dans le sang. De là, ils vont, en partie, se retrouver dans les phanères – dont les cheveux – en se liant à la cystéine, un constituant de la kératine. Au niveau du follicule pileux, ils vont être intégrés à la fibre capillaire en croissance. Ce processus est l’un des moyens d’élimination naturelle de certains métaux par l’organisme.
Par exemple, la présence de méthylmercure, une espèce chimique neurotoxique du mercure, dans les cheveux peut, en fonction de sa concentration, être le signe d’une contamination car on le retrouve principalement dans l’alimentation ; il est en concentration très faible dans l’atmosphère.
L’autre processus qui peut expliquer les concentrations de métaux dans les cheveux est l’adsorption, qui se produit lorsque des métaux présents dans l’air entrent en contact avec eux. Ils vont également se lier au soufre présent à la surface de la fibre, mais sans pénétrer à l’intérieur. Cette fois, les métaux n’ont pas transité par le corps et ne sont pas révélateurs d’une contamination par ingestion.
Dans certains cas, le métal peut être à la fois absorbé et adsorbé. C’est le cas par exemple du plomb émis par diverses industries. La concentration de métal toxique qui y sera mesurée ne sera pas le reflet de la contamination réelle. Seules des analyses de sang permettront d’évaluer précisément l’exposition au plomb.
Les limites de l’analyse des cheveux
On pourrait penser qu’il suffit de laver les cheveux pour en «décrocher» les métaux… Ce n’est que partiellement vrai. De plus, les lavages peuvent être trop agressifs (acide ou détergent par exemple) et dissoudre une fraction de la fibre du cheveu.
Comme l’écrivent le chimiste Steven Steindel (Centers for Disease Control and Prevention fédéral) et le pathologiste Peter Howanitz (université de Brooklyn) :
«Sachant que la séparation des éléments endogènes et exogènes est actuellement difficile, voire impossible, avec les méthodes de laboratoire classiques, il est compliqué de savoir ce qui est réellement mesuré. En attendant que les laboratoires soient sûrs de pouvoir évaluer ce qui a été absorbé, il est impossible de relier les mesures faites […] à des conditions biologiques.» (JAMA, 2001)
Le cheveu peut donc être utilisé pour repérer une contamination uniquement pour les métaux dont l’exposition par ingestion est beaucoup plus importante que l’exposition atmosphérique. C’est le cas par exemple de l’arsenic, du méthylmercure ou du sélénium. Pour ces métaux, une relation peut être établie entre la concentration dans le sang et celle dans les cheveux. Des doses de toxicité basées sur la concentration du métal dans les cheveux peuvent être données.
Cependant, très peu de limites de toxicité basées sur des analyses de cheveux sont disponibles à l’heure actuelle. C’est pourquoi, dans la base de données Biotox de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), qui reprend les propositions de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), aucun dosage de métal ne se fait à partir des cheveux. Ce sont les urines ou le sang qui sont considérés, en fonction des éléments que l’on souhaite analyser.
À chaque métal sa méthode de suivi
Trois métaux font l’objet d’un suivi européen dans l’alimentation depuis la directive 2001/22/CE. Si l’on veut connaître la contamination en ces métaux chez des personnes exposées, cela se fait de la manière suivante :
– Le plomb, avec mesure de la plombémie où le niveau de plomb est analysé dans le sang (comme ce fut le cas après l’incendie de Notre-Dame de Paris par exemple, ou en Guyane où le saturnisme est particulièrement suivi chez les enfants),
– Le cadmium, de la cadmiurie dans les urines cette fois,
– Le méthylmercure, dans le sang ou les cheveux si les personnes ne sont pas exposées au mercure atmosphérique. Pour les orpailleurs, exposés au mercure liquide et vapeur, l’analyse des cheveux n’est pas adéquate et l’on analyse les urines.
On voit donc que chaque métal a un seuil de toxicité spécifique au type d’exposition et à sa forme chimique. Le choix d’une matrice d’analyse (sang, cheveu, urine, etc.) doit donc se faire au cas par cas, en fonction de chaque situation.
Nous souhaitons donc alerter sur l’utilisation des cheveux comme marqueur de contamination. Si cela peut donner une indication sur l’environnement dans lequel on vit, il est nécessaire de faire des analyses complémentaires pour évaluer la contamination réelle. Vivre dans un site où l’on est exposé au plomb ne signifie pas forcément contamination : seule une mesure de plombémie (dans le sang) peut le déterminer.
Par ailleurs, les résultats des analyses des concentrations de métaux dans les cheveux ne peuvent, en aucun cas, servir de preuve devant un tribunal. Selon les sources de contamination, les analyses urinaires ou sanguines sont plus appropriées.
Ce recours à de telles mesures, non adaptées, témoigne de la difficulté d’accéder aux analyses d’imprégnation métallique adéquate – qui doivent être prescrites par un médecin. Si l’exposition est professionnelle, le médecin du travail peut être sollicité… mais c’est plus difficile auprès d’un médecin généraliste pour une exposition non professionnelle.
Il est à noter que l’occurrence de maladies habituellement rares chez plusieurs personnes sur une même zone géographique est un indice de pollution environnementale : dans ces cas-là, l’ARS doit être alertée de la situation. C’est elle qui prendra en charge le suivi médical et environnemental.
Article écrit par Laurence Maurice, Directrice de recherches, laboratoire « Géosciences environnement Toulouse », Institut de recherche pour le développement (IRD) et Laure Laffont, Docteure en géochimie, Université de Toulouse III – Paul Sabatier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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