Historienne et essayiste d’origine russe, Galia Ackerman a publié en 2019 un ouvrage « prémonitoire » où elle décrivait le nationalisme, militarisme et révisionnisme historique du régime de Vladimir Poutine, notamment sur l’Ukraine.
Quelques jours après le début de l’invasion de l’Ukraine, son essai, « Le Régiment immortel – la guerre sacrée de Poutine », était épuisé.
« Malheureusement, tout ce que je décrivais dans ce livre était les prémices de ce qui se passe maintenant », explique cette spécialiste de la Russie et de l’Ukraine contemporaines, directrice de la rédaction du site d’information Desk Russie.
Question: Quand Vladimir Poutine dit que l’Ukraine est une création récente, que le peuple russe et ukrainien ne font qu’un, existe-t-il des fondements historiques à ces assertions?
Réponse: « Non, non et non! Bien sûr l’Ukraine a été morcelée, occupée par des puissances différentes, essentiellement la Russie et la Pologne. Mais il y a un peuple ukrainien. Il y a certains coins de l’Ukraine où les gens ont eu quatre ou cinq nationalités au cours de leur vie sans jamais sortir de leur village! La nationalité est une chose, l’appartenance nationale en est une autre. Ce qui est constitutif d’un peuple est sa langue et sa culture. Dire que le peuple ukrainien n’existe pas, que c’est une branche du peuple russe, est un non-sens historique. C’est comme dire que les Français, Espagnols, Portugais et Roumains sont le même peuple parce que jadis leurs lointains ancêtres parlaient latin (…) Linguistiquement, il n’y a pas plus de compréhension entre l’ukrainien et le russe qu’entre le français et le portugais.
Poutine a écrit un grand article sur la question ukrainienne où il a exposé ses thèses. Il y raconte que Lénine a créé l’Ukraine de toutes pièces (..) C’est faux. Dès que l’empire des Tsars a éclaté, une République ukrainienne a été proclamée. Cela a été assez éphémère mais tout de suite le peuple ukrainien a saisi l’opportunité de créer son propre pays ».
Q: Vladimir Poutine justifie l’invasion par la nécessité de « dénazifier » l’Ukraine. Quel usage fait-il de l’Histoire de la Seconde Guerre mondiale ?
R: « Poutine avec ses idéologues ont transformé le Jour de la Victoire (célébré le 9 mai pour commémorer la capitulation nazie, NDLR) en un pivot de la nouvelle identité russe. Mais cela a des conséquences. Si vous dites que la victoire sur le nazisme est l’événement central de l’Histoire soviétique, alors, ceux qui ont vaincu représentent le bien absolu, ce qui est faux parce que c’était le combat entre deux totalitarismes. Il ne faut pas confondre l’exploit du peuple soviétique qui a combattu pour sa patrie avec les visées impérialistes de Staline.
Si vous prenez ce schéma et que vous avez les vainqueurs qui incarnent le bien et des vaincus qui incarnent le mal, celui qui a été le chef de ces forces du bien ne peut pas être un mauvais homme, un criminel. Il doit lui aussi incarner le bien. C’est pourquoi il fallait à tous prix réhabiliter Staline ».
Q: Quel est le but de l’exaltation par la régime de Vladimir Poutine de la victoire soviétique durant la Seconde Guerre mondiale: dépasser le choc de la chute de l’URSS?
R: « Je pense que les objectifs vont plus loin. Lors des marches des Régiments immortels (défilés patriotiques organisés durant le Jour de la Victoire, où des civils arborent des portraits d’aïeux ayant combattu dans l’Armée rouge, NDLR) que je décris dans mon livre, sur les voitures ou les poitrines des gens, ce jour-là, il y a un slogan: +On peut le répéter+, c’est-à-dire répéter la marche sur Berlin, reconquérir l’Europe, entièrement ou partiellement.
Je pense que cette exaltation et aussi cette guerre contre l’Ukraine ont pour Poutine l’objectif de remettre les pendules à l’heure, reconstituer partiellement ou entièrement l’Union soviétique et restaurer sa zone d’influence.
La Russie ne peut pas reconstituer un empire sans l’Ukraine. C’est un grand territoire, plus de 40 millions d’habitants, des terres très fertiles, une industrie lourde développée, un peuple qui sait travailler. Le régime russe ne veut pas un pays à côté qui a adopté des valeurs différentes, qui (…) avance vers la démocratie, vers l’état de droit. C’est un contre-exemple pour la Russie ».
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