Près de 44 milliards d’euros injectés dans l’industrie chinoise des semi-conducteurs : les experts anticipent un échec

Par Mary Hong
6 juin 2024 23:13 Mis à jour: 6 juin 2024 23:13

Face au renforcement des normes de contrôle des États-Unis sur les industries chinoises des puces et de l’IA, le Parti communiste chinois (PCC) a lancé son plus grand fonds d’investissement dans les semi-conducteurs à ce jour. Toutefois, les experts prédisent que cet effort, à l’instar du Grand Bond en avant historique, se soldera probablement par un échec.

Le 28 mai, le média d’État CCTV a annoncé que Pékin allait injecter 344 milliards de yuans (43,63 milliards d’euros) dans la troisième phase du Fonds national d’investissement pour l’industrie du circuit intégré (Big Fund III), avec la participation de six banques d’État pour la première fois. Cette phase vise à renforcer l’investissement en capital social dans l’ensemble de la chaîne industrielle des circuits intégrés par le biais d’un soutien financier à filières multiples.

La première phase du Big Fund, établie en septembre 2014, a bénéficié d’un investissement initial de 138,7 milliards de yuans (17,59 milliards d’euros) pour soutenir les principales entreprises chinoises de semi-conducteurs telles que SMIC, YMTC, HLMC et Tsinghua Unigroup. La deuxième phase, annoncée en octobre 2019 sur fond de sanctions américaines, comportait un investissement initial de plus de 204 milliards de yuans (25,87 milliards d’euros), axé sur les secteurs plus faibles de la Chine en matière d’équipements et de matériaux de semi-conducteurs, selon un rapport de l’Institut de recherche sur la défense et la sécurité nationales basé à Taïwan.

Lai Jung-wei, directeur exécutif de la Taïwan Inspiration Association (TIA), compare le développement de l’industrie chinoise des circuits intégrés à la sidérurgie primitive du Grand Bond en avant de Mao en 1958. Cette campagne visait à surpasser la Grande-Bretagne et les États-Unis dans la production d’acier, mais elle s’est soldée par une fraude généralisée, un échec et la grande famine chinoise.

Lai Jung-wei estime que l’initiative de Pékin en matière de puces ne vise pas le développement économique, mais la stabilité politique. « Le développement national de cette industrie vise en fin de compte à stabiliser le régime. C’est pour la puissance militaire et la stabilité du PCC au pouvoir », a-t-il précisé à l’édition en langue chinoise d’Epoch Times.

Il a également souligné les exigences élevées en matière de fabrication de puces, qui requièrent 600 à 700 processus et « un environnement exempt de poussière et résistant à l’humidité – des normes qui font défaut aux usines chinoises d’après un sociologue basé à Taïwan qui a visité des usines de fabrication de plaquettes de semi-conducteurs en Chine ». Selon lui, l’échec des deux premières phases a entraîné la troisième, et les perspectives restent sombres.

Une industrie mondiale

Selon Lai Jung-wei, l’industrie des puces est un secteur mondial qui a évolué au cours des trois dernières décennies. Les pays collaborent et partagent les responsabilités, en tirant parti de leurs avantages respectifs. « Le CCP ne peut pas dépasser les autres dans un court laps de temps pour établir une chaîne d’approvisionnement complète et autonome. », a-t-il conclu.

Un rapport conjoint d’Accenture et de la Global Semiconductor Alliance (GSA), publié en 2020, souligne cette dispersion mondiale, spécifiant que la fabrication de plaquettes implique 39 pays dans la chaîne d’approvisionnement et 34 dans le soutien au marché, la participation directe à la conception de plaquettes s’étendant à douze pays, et les tests et l’emballage de produits, à 25 pays.

Un rapport de mars 2023 de Tebon Securities, basé à Shanghai, souligne que la Chine est en tête des dépenses d’investissement et des secteurs à forte intensité de main-d’œuvre tels que l’emballage et les tests, tandis que les secteurs de la conception, de l’équipement et de la recherche et du développement (R&D) sont dominés par des régions telles que les États-Unis et l’Europe.

Les défauts d’un leadership autoritaire

Lai Jung-wei estime que le leadership communiste est un obstacle majeur à la réussite de la troisième phase. « La structure économique de la Chine a toujours été planifiée et axée sur l’autorité. » Les initiatives sont prises par des loyalistes politiques qui n’ont pas l’expertise nécessaire et donnent la priorité aux objectifs politiques plutôt qu’aux stratégies axées sur le marché.

Il poursuit : « Les principaux acteurs sont des loyalistes politiques, en particulier envers Xi Jinping ; ils n’ont pas de vision pertinente, et les experts doivent obéir à ces décideurs. »

Selon lui, il s’agit d’une faille du système parti-État. « On ne peut pas s’attendre à ce qu’un tel système soit productif et innovant », conclut-il.

Pékin a nommé Zhang Xin, ancien directeur adjoint de l’Administration de la cybersécurité au sein du ministère de l’Industrie et des technologies de l’information (MIIT), représentant légal et président de la troisième phase du Big Fund.

La corruption en toile de fond

Le capital de la troisième phase du Big Fund est presque aussi important que les deux premières phases ensemble. M. Lai met en garde contre la tentation de la corruption des fonctionnaires chargés de diriger l’allocation des fonds. « Chaque personnalité politique au sein du parti-État est corrompue », affirme-t-il.

La corruption a entaché les deux premières phases du Grand fonds. Le 30 juillet 2022, Ding Wenwu, le directeur général des deux phases, a été placé sous enquête ; entre juillet et septembre 2022, sept hauts fonctionnaires l’ont été, dont Lu Jun, l’ancien directeur adjoint du département de gestion des fonds de la Banque de développement de Chine (CDB), Gao Songtao, un ancien vice-président de Sino-IC Capital, et Zhao Weiguo, président de Tsinghua Unigroup.

Tsinghua Unigroup, qui a reçu un investissement important de 10 milliards de yuans (1,27 milliard d’euros) dans le cadre de la première phase du Big Fund, a commencé à manquer à ses obligations en novembre 2020.

Selon le China Economic Weekly, au début du mois d’octobre 2020, la Chine comptait plus de 50.000 entreprises liées aux puces électroniques. Cependant, nombre de ces entreprises ont fait faillite, plus de 22.000 ayant disparu depuis 2019, et un record de 10.900 ayant perdu leur immatriculation au cours de la seule année 2023. Cela représente une moyenne de 30 entreprises chinoises liées aux puces fermées chaque jour en 2023, selon un rapport de 2023 du média chinois TMTPost.

L’économiste américain Davy J. Wong estime qu’au cours des deux premières phases, la plupart des fonds ont été utilisés à mauvais escient par des entreprises fondées sur le battage médiatique et la tromperie. « Sous le régime du PCC, il est très difficile de vraiment réussir dans la recherche et le développement. Souvent, l’argent vient plus facilement et plus rapidement avec l’escroquerie que selon le rythme des réalisations réelles en matière de R&D. »

Davy J. Wong doute que la troisième phase puisse éviter les mêmes problèmes. « Il est très peu probable que l’on puisse modifier le système de la réglementation, qu’il s’agisse du rôle du gouvernement ou de la mise en œuvre et de l’utilisation des fonds. La promotion bureaucratique dépend à la fois des stratagèmes de la gestion du personnel et de la gestion économique », ce qui l’amène à penser que la troisième phase continuera d’être un échec comme les deux précédentes.

Avec la contribution de Zhang Hong et Yi Ru.

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