Le président sud-africain Jacob Zuma poussé vers la sortie ?

5 avril 2016 08:46 Mis à jour: 6 avril 2016 09:06

La Cour constitutionnelle sud-africaine a condamné jeudi 31 mars le président sud-africain Jacob Zuma à rembourser plus de 15 millions d’euros de dépenses faites sur le budget de l’État pour améliorer la « sécurité » de son ranch privé de Nkandla, dans la province de KwaZulu-Natal.

Après six années d’un combat acharné contre l’impunité du président, cette condamnation fait espérer à l’opposition la possibilité d’une destitution, ou au moins d’un renversement des équilibres politiques lors des prochaines élections municipales cette année.

Le scandale de Nkandla a commencé lorsque le médiateur de la République a été saisi sur des allégations de détournements de fonds publics au bénéfice du président sud-africain. Une enquête menée par les services du médiateur a révélé que sous couvert d’améliorer la sécurité de son ranch personnel, M. Zuma a fait financer entre autres la construction d’une piscine, d’un poulailler, d’un parc à bétail, d’une salle de spectacles… En 2014, la médiatrice de la République, Thuli Madonsela, a conclu l’enquête par une reconnaissance du détournement de 22 millions d’euros et demandé à M. Zuma de rembourser une partie des sommes mobilisées pour les travaux. Protégé par l’ANC (African National Congress) majoritaire au Parlement, Zuma a balayé les conclusions et annoncé une contre-enquête menée par son propre ministre de la police. Celle-ci a rapidement conclu qu’aucun argent public n’avait été détourné. Le ministre en charge a tenté d’expliquer que la piscine n’était en réalité qu’une « réserve d’eau » à utiliser en cas d’incendie des toits de chaume du ranch, point qu’il a tenté de démontrer dans une vidéo devenue la risée du web dans laquelle des pompiers pompent l’eau de la piscine sur la musique de O Sole Mio.

Avec son jugement, la Cour constitutionnelle reconnaît donc la culpabilité de Jacob Zuma, dont les dépenses somptuaires ont commencé quelques mois seulement après son investiture en 2009. « La Constitution, la loi et la responsabilité sont l’épée sacrée et tranchante pour couper l’affreuse tête de l’impunité », déclare la Cour dans son jugement. « Le président n’a pas su préserver, défendre et respecter la Constitution en tant que loi suprême du pays. » D’après CNN, le montant à rembourser reste à déterminer et sera fixé par le trésor national sud-africain.

Les Sud Africains, qui manifestent depuis plus de deux ans contre Zuma sous des banderoles disant « Rembourse ! », ont accueilli avec satisfaction cette décision, qu’ils considèrent comme un espoir dans la lutte anti-corruption. « Tout n’est pas perdu », s’est réjoui Julius Malema, un ancien proche de Jacob Zuma que cite The Economist. Malema dirige maintenant le mouvement populiste « Economic Freedom Fighters » (combattants pour la liberté économique), minoritaire au Parlement. « Ce jugement vient à point pour secourir notre constitution et notre pays. »

Le président n’a pas su préserver, défendre et respecter la Constitution en tant que loi suprême du pays.

– La Cour constitutionnelle

Malema et le leader de l’Alliance Démocratique Mmusi Maimane appellent à la démission de Zuma. L’opposition parlementaire a lancé une procédure de destitution qui a peu de chances de réussir tant que l’ANC, ultra-majoritaire au Parlement, soutiendra le président. « Nous ne pouvons avoir Jacob Zuma et la Constitution dans le même Parlement. Ces deux choses ne peuvent coexister », a commenté Maimane à l’énoncé du jugement contre le président sud-africain.

Réponse de Jacob Zuma

Dans une allocution télévisée vendredi 1er avril, Jacob Zuma a présenté ses excuses au peuple sud-africain et indiqué qu’il rembourserait les sommes qui lui seraient demandées, tout en repoussant la faute sur ses proches collaborateurs qui l’auraient mal conseillé. Le président affirme ainsi avoir agi « de bonne foi » et « n’avoir jamais sciemment et délibérément voulu violer la constitution ».

« Toute action jugée comme n’étant pas conforme à la Constitution a été la conséquence d’une approche différente et d’avis juridiques différents », tente d’expliquer Zuma avant de s’excuser pour la « frustration » causée. Mais après deux ans de dénégations farouches, la sincérité du président est largement mise en doute : ce n’est en effet que début février, quand la Cour csonstitutionnelle s’est saisie de l’affaire et que la perspective d’une condamnation s’est profilée, que Zuma a envoyé ses avocats dire qu’ils avaient « mal interprété » la loi et que le président était prêt à rembourser les sommes demandées.

Un compagnon de route de Mandela prend position

Après l’annonce du verdict de la Cour constitutionnelle, Ahmed Kathrada, un des leaders historiques de l’ANC, et l’un des huit activistes condamnés à la prison à vie avec Nelson Mandela en 1964, a rendu publique une lettre écrite à Jacob Zuma indiquant que sa démission est la seule solution pour que le pays sorte de la crise de confiance qu’il traverse : « Face à des critiques si étendues et si persistantes, face à la condamnation et à la demande de démission, est-ce trop que d’exprimer l’espoir que vous choisirez le bon chemin, auquel de plus en plus de monde pense, et de réfléchir à démissionner ? » « Je sais que pour ma part, si j’étais dans les chaussures du président, je démissionnerais avec effet immédiat. »

Au-delà de Zuma, c’est l’ANC tout entière, en pleine année électorale, qui est menacée par les scandales de corruption à répétition. Julius Malema l’a vigoureusement rappelé le 31 mars devant les journalistes de TimesLive : « Zuma est récemment allé aux Émirats Arabes Unis, à Dubai. Ce n’était pas une visite officielle mais une visite personnelle. Il y a apporté de l’argent. Les Gupta lui ont donné 6 milliards de rands [350 millions d’euros] à emporter à Dubai. C’est là qu’ils cachent leur argent ». « La raison est simple : quand Zuma voyage, les douanes ne fouillent pas ses bagages. »

Les Gupta, une riche famille indienne proche des Zuma (un des fils de Jacob Zuma travaille pour eux), est accusée d’être au centre d’un réseau de corruption touchant de nombreux membres du gouvernement – donc de l’ANC. Le 1er avril, la firme d’audit financier KPMG-Afrique du Sud a annoncé ne plus souhaiter intervenir en qualité de conseil des Gupta, le président régional de KPMG, Trevor Hoole, expliquant à Bloomberg que « le risque d’association est devenu trop grand ». Mi-mars, le vice-ministre des Finances Mcebisi Jonas a révélé avoir reçu par la famille Gupta la proposition de devenir ministre en chef en échange de « faveurs ». Le site internet de Jeune Afrique rappelle qu’une ancienne députée de l’ANC, Vytjie Mentor, a également affirmé s’être vue proposer le poste de ministre des Entreprises publiques par l’empire Gupta, la condition étant « d’abandonner la liaison aérienne de South African Airlines (compagnie aérienne parapublique) vers l’Inde et de la leur donner. »

L’étau se resserre donc autour du président et l’ANC pourrait choisir dans les prochaines semaines, pour éviter une contagion de révélations, de faire le ménage en son sein.

 

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