Lors d’un bain de foule en Nouvelle-Calédonie, Emmanuel Macron a évoqué mardi ses potentiels successeurs à l’Élysée en 2027, n’écartant pas des possibilités son ancien Premier ministre, avec qui il entretient des relations tendues. Alors que le maire du Havre recevait Élisabeth Borne le même jour, le chef de l’État n’a pas hésité à assurer qu’Édouard Philippe est un « ami ». Vraiment ?
« En 2027, peut-être que Monsieur Édouard Philippe vous remplacera » : en déplacement à Nouméa, capitale de la Nouvelle-Calédonie, Emmanuel Macron a été interpellé ce mardi par un homme lui suggérant que son Premier ministre de 2017 à 2020 pourrait lui succéder à la présidence de la République en 2027. À cette remarque, l’actuel locataire de l’Élysée a répondu en affirmant tenir « à ce qu’il y ait vraiment une suite » aux politiques mises en œuvre durant son quinquennat. Abordant ses liens avec Édouard Philippe, le chef de l’État a en outre assuré que ce dernier est un « ami » qui « a bien fait à (ses) côtés », de 2017 à 2020.
Un président à qui Édouard Philippe doit tout ou presque ?
Derrière les alliances politiques et la proximité idéologique, l’historique des relations entre les deux hommes est tumultueux. Après la fondation de son propre parti Horizon en 2021, Édouard Philippe s’est en effet éloigné d’Emmanuel Macron. Depuis lors, en coulisses, piques et petites phrases fusent. « Emmanuel Macron a mal pris la volonté d’indépendance de son ancien Premier ministre car il estime que le maire du Havre lui devait tout », expliquait en avril 2022 le journaliste Ludovic Vigogne, sur Europe 1. Une analyse identique à celle de Louis Hausalter, journaliste politique chez Marianne, qui écrivait dans un article en septembre 2020 : un « président à qui il doit tout ou presque, lui qui n’était qu’un inconnu lorsqu’il a été nommé à Matignon en 2017 ».
Aussi, lors des tractations au moment des dernières élections législatives, Emmanuel Macron n’aurait pas hésité à lui couper l’herbe sous le pied, refusant, du moins dans un premier temps, d’accorder des circonscriptions à son ex-numéro 2 : « Aucune circonscription pour Horizons, ce sont des cons ! », martelait en privé le président à l’un de ses proches qui l’interrogeait sur les investitures pour le parti de l’ex-Premier ministre : « Il me doit tout et il pense qu’on est égaux ? Il a fumé les vapeurs du port du Havre ? », demandait-t-il ironiquement. Des propos cependant niés par l’entourage du chef de l’État, précise Europe 1. Finalement, LREM, rebaptisé « Renaissance », s’était retrouvé au sein d’une « confédération » avec le parti de François Bayrou et celui d’Édouard Philippe sous la même bannière « Ensemble ! Majorité présidentielle », mettant ainsi un terme au souhait de parti unique voulu Emmanuel Macron.
Édouard Philippe viré par Emmanuel Macron
Selon Louis Hausalter, également coauteur avec Agathe Lambret, journaliste chez BFMTV, de l’ouvrage L’Étrange victoire. Macron II, l’histoire secrète (Éditions de l’Observatoire), le remplacement d’Édouard Philippe par Jean Castex s’est révélé pour le maire du Havre une « surprise ». Ce dernier ne s’attendait pas à être évincé par le président : « On a eu plusieurs de ses proches qui l’avaient eu des jours avant et il s’attendait à rester à Matignon. Il pensait que c’était gagné. Emmanuel Macron a endormi sa méfiance », rapportait-il sur le plateau de l’émission C à vous en juin 2022.
Mais ce n’est pas tout : Emmanuel Macron se serait senti « libéré » après l’avoir congédié, puisqu’il estimait qu’« Édouard Philippe, mais aussi son entourage, l’empêchait de mettre en place la nouvelle méthode, le fameux acte 2 qu’il voulait mettre en œuvre après les Gilets jaunes. » Selon sa consœur, un proche du chef de l’État leur a confié qu’avec Édouard Philippe en Premier ministre, Emmanuel Macron s’était « senti dépossédé du pouvoir ». Elle le souligne : « C’est quand même une phrase extrêmement forte, sachant qu’on parle d’un président aussi omniprésent qu’Emmanuel Macron. Et c’est vrai qu’il s’est senti paralysé, empêché ».
Par ailleurs, la journaliste précise que le président français éprouve du ressentiment pour l’ancien locataire de Matignon, car la limite de vitesse à 80 km/h et la taxe carbone, mesures très mal accueillies par une partie de la population et responsables du déclenchement du mouvement des Gilets jaunes, ne constituaient pas des réformes auxquelles tenait Emmanuel Macron. Aussi, ce dernier a « ressenti une injustice » car « à chaque fois, il a l’impression que les choses lui sont retombées dessus et pas sur Édouard Philippe ».
C’est pourquoi, lors des élections législatives, le président fraîchement réélu tenait à garder une totale indépendance par rapport à son ancien bras droit : « La terreur, l’angoisse d’Emmanuel Macron, c’est qu’Édouard Philippe continue à l’empêcher, d’où l’enjeu pour lui d’avoir une majorité absolue qui ne dépende pas du parti d’Édouard Philippe. » Pari raté : la formation d’Édouard Philippe, qui a remporté 29 sièges, est devenue indispensable au parti Renaissance pour pouvoir conserver la majorité à l’Assemblée.
Cache-cache
Comme le prédisait donc Louis Hausalter en juin 2022, le « jeu de cache-cache » entre les deux se poursuit bel et bien. Dernièrement, malgré les tensions entre les deux « amis », alors que se profilait le remaniement ministériel, le président de la République a discrètement reçu Édouard Philippe à l’Élysée à l’occasion d’un déjeuner, le 12 juin, au cours duquel le maire du Havre a évoqué la possibilité d’une coalition avec la droite, dans le but de « stabiliser le jeu politique », selon les informations du Figaro. Une ligne partagée par Nicolas Sarkozy, reçu par le locataire de l’Élysée six jours plus tôt.
Hasard du calendrier : les déclarations d’Emmanuel Macron ce mardi 25 juillet sont intervenues au même moment où Édouard Philippe recevait la visite d’Élisabeth Borne, en déplacement sur le port du Havre notamment pour des annonces en matière de décarbonation du transport maritime et aérien. Comme le souligne L’Express, « une chose au moins est certaine : les oreilles présidentielles ont dû siffler, heureusement que le grand chef est à l’autre bout de la planète ». « Quand un Premier ministre d’Emmanuel Macron rencontre un (ex-)Premier ministre d’Emmanuel Macron, devinez ce qu’ils se racontent… Car Édouard Philippe et Élisabeth Borne partagent un même sens de l’humour qui ne refuse pas d’être vachard. Or l’un et l’autre savent mieux que la terre entière – et à égalité avec le seul Jean Castex – ce que signifie de travailler au quotidien avec le président ; pire, d’être le chef de son gouvernement. Métier impossible, tant Emmanuel Macron a l’habitude de demander au premier de ses ministres d’attirer la lumière mais surtout de ne pas lui faire de l’ombre, de garder le cap mais surtout de dissimuler que lui change d’avis à un rythme parfois effréné. De rester à sa place, quand l’histoire du numéro 2 qui veut devenir numéro 1, calife à la place du calife, est elle aussi vieille comme le monde. »
Il semblerait donc que les liens entre Emmanuel Macron et Édouard Philippe relèvent plus d’une entente vaille que vaille autour d’intérêts politiques communs que d’une amitié partagée. Pour autant, le chef du parti Horizons pourrait, s’il accédait au poste suprême en 2027, s’inscrire dans la continuité de la politique de l’actuel locataire de l’Élysée. Comme le soulignait Louis Hausalter, « Philippe et Macron, c’est à peu près la même chose sur le plan idéologique : on ne voit pas ce qui mettrait foncièrement en désaccord ces deux énarques quadragénaires ».
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