Une audience « pour remettre le monde à l’endroit » : l’accusation a requis mardi cinq ans de prison dont deux ferme aménagés sous bracelet électronique à l’encontre de Christophe Ruggia, jugé pour des agressions sexuelles sur Adèle Haenel quand elle avait entre 12 et 14 ans.
Si le tribunal devait suivre ces réquisitions, Christophe Ruggia n’ira pas en prison. Pour déterminer la « juste peine », a dit la procureure Camille Poch, il faut prendre en compte le temps passé – plus de 20 ans, mais aussi « l’absence de reconnaissance des faits » à l’audience du réalisateur, leur gravité, leur récurrence, le nombre répété » des agressions, le fait qu’elles n’aient « cessé qu’à l’initiative de la plaignante », a-t-elle dit.
Entre 2001 et 2004, après le tournage du film de Christophe Ruggia Les Diables dans lequel Adèle Haenel, 12 ans, était l’actrice principale, elle s’est rendue tous les samedis ou presque au domicile du réalisateur, où se déroulaient les agressions. Elle était en quatrième et troisième.
« Il a fait le choix d’agresser sexuellement. Il avait toute sa conscience d’homme, d’adulte pour agir autrement », martèle la procureure au sujet du prévenu de 59 ans – entre 36 et 39 ans à l’époque. « Adèle Haenel a dit qu’elle se sentait responsable de cette saleté », alors « il faut replacer la culpabilité au bon endroit, dire à Adèle Haenel que ce n’est pas elle le coupable », poursuit la magistrate, sous le regard de l’actrice.
Le « temps a passé » mais n’a pas effacé les séquelles dont a souffert Adèle Haenel, toujours visibles, souligne-t-elle. Plusieurs fois à l’audience, l’actrice a été prise de spasmes nerveux à l’évocation des agressions.
« Remettre le monde à l’endroit »
L’accusation a aussi demandé une inscription au fichier des auteurs d’infractions sexuelles, une interdiction d’entrée en contact avec la victime et une obligation de l’indemniser. « Cette audience doit rappeler l’interdit, qui était l’adulte, qui était l’enfant, elle doit remettre le monde à l’endroit », avait commencé la procureure, disant n’avoir « aucun doute » sur la réalité des agressions, décrites de manière « constante » par Adèle Haenel et dont elle a parlé à son entourage « dès 2006 ».
La magistrate a ainsi balayé la « défense improbable » de Christophe Ruggia qui a parlé d’une « vengeance » car il n’aurait pas voulu faire un deuxième film avec elle. Et puis, dit-elle, que faire de cette « incapacité » du réalisateur « à décrire les rencontres du samedi après-midi, à détailler ce qu’il s’est passé pendant des heures entre un homme adulte et cette pré-ado, de 24 ans sa cadette »? Elle reprend les propos d’Adèle Haenel. « Il me reprochait l’amour qu’il avait pour moi. » Et commente : « Qu’est-ce que ça doit être lourd à porter quand on 12 ans… »
« Regard noir »
Plus tôt à l’audience, l’actrice qui contenait jusque là sa rage, se contentant depuis le début du procès de fixer Christophe Ruggia d’un regard noir qu’il évitait, l’a laissée exploser. Le cri est venu de loin et a suspendu le temps, pendant quelques secondes, dans la salle d’audience habituellement bien plus mesurée. « Mais ferme ta gueule ! », a hurlé l’actrice, debout, furieuse, ses mains tapant à plat sur la table devant elle.
Le réalisateur qui qualifie les agressions de « pur mensonge » venait de redire à la barre sa « conscience » de la « complexité » du tournage des Diables, expliquait qu’il avait tenter de protéger Adèle Haenel qui aurait pu être « moquée » au collège à cause des scènes de sexe. « J’ai suggéré qu’elle prenne un nom d’emprunt… », avançait-il, avant d’être interrompu par le cri d’Adèle Haenel.
Elle a alors quitté précipitamment la salle, comme un écho à son départ de la cérémonie des César en 2020 après la nomination de Roman Polanski. Une demi-heure plus tard, elle est revenue et s’est rassise, loin du réalisateur, cette fois sans un regard pour lui.
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