L’ancien procureur antiterroriste François Molins a estimé lundi au procès de l’attentat de Nice que le choix fait par les médecins légistes de prélever l’entièreté des organes de certaines victimes « ne se justifiait pas », tout en défendant la nécessité des autopsies pour les besoins de l’enquête.
Après l’attaque, plusieurs familles se sont vivement émues en constatant que des victimes avaient été dépouillées de leurs organes lors des autopsies, sans qu’elles en soient prévenues.
« Mon sentiment, c’est que le prélèvement de la totalité des viscères n’était pas indispensable », a déclaré devant la cour d’assises spéciale de Paris celui qui est aujourd’hui procureur général près la Cour de cassation, l’un des plus hauts magistrats français.
« Si c’était à refaire, il n’y aurait pas eu de prélèvements systématiques », a-t-il ajouté, reconnaissant aussi des insuffisances dans l’information aux familles.
Après l’attaque au camion-bélier sur la Promenade des anglais le 14 juillet 2016, qui a fait 86 morts et plus de 450 blessés, des autopsies ont été pratiquées sur les corps de 14 victimes, dont quatre enfants, avait expliqué au début du procès l’ex-directeur de l’institut médico-légal (IML) de Nice, Gérald Quatrehomme.
« J’ai conscience que c’est un sujet douloureux pour les victimes »
François Molins, en tant que procureur de Paris alors chargé de toutes les enquêtes en matière de terrorisme, a confirmé à la barre les trois critères fixés par le parquet pour déterminer la nécessité d’une autopsie.
Le premier, pour « établir scientifiquement les causes du décès » si l’examen externe du corps n’y a pas suffi. Le deuxième, lorsque la victime a eu une prise en charge médicale avant de décéder, « pour faire la part des choses » entre ce qui est dû à l’attaque et ce qui est lié à une « éventuelle négligence médicale ». Et enfin en cas de suspicion d’atteinte par balle.
« J’ai conscience que c’est un sujet douloureux pour les victimes », mais « on ordonne une autopsie non pas pour faire de la peine mais parce qu’on en a besoin », a-t-il fait valoir. Ce n’est pas parce qu’« après coup l’autopsie n’a servi à rien qu’on peut inférer qu’il ne fallait pas l’ordonner ».
Sur chaque corps autopsié, des organes ont été prélevés et placés sous scellés, au cas où des analyses complémentaires seraient nécessaires à l’enquête, avait expliqué le Pr Quatrehomme.
« On n’a pas abordé la question des prélèvements d’organes » au cours de la réunion de travail organisée entre les magistrats et l’IML, a assuré François Molins, expliquant s’en être remis sur ce point à l’expertise des médecins légistes.
Hormis pour certains organes qu’il est nécessaire de prélever en entier lorsqu’on veut les analyser, le protocole habituel à Paris est de « prélever un échantillon, quelques centimètres », et lorsque le parquet de Paris donne ses instructions, « on n’imagine pas que ça va être autrement », a souligné le magistrat.
Les familles horrifiées par les prélèvements d’organes de leurs proches
La majorité des familles concernées n’ont pas été informées de ces actes et ne l’ont appris que lors de la procédure, voire à l’audience, ont rappelé à la barre de nombreuses parties civiles dans des témoignages déchirants.
« Je cherche à comprendre comment le système médico-judiciaire a pu en arriver à une telle absurdité : découper ma fille de 12 ans en morceaux pour déterminer qu’elle est décédée d’un polytraumatisme compatible avec la percussion avec un engin à haute cinétique. Tout ça pour ça. Mais on le savait déjà ! », avait ainsi déclaré à la barre Anne Gourvès.
En 2018, elle avait découvert « avec effroi un procès-verbal de mise sous scellés d’organes ». Elle avait dressé la liste effrayante des organes prélevés sur le corps de sa fille Amie: encéphale et dure-mère, cœur, foie, poumons, reins, bloc cervical, glandes surrénales, rate…
Anne Gourvès a fait une demande de restitution des organes, assortie d’un test ADN qui lui a été refusé. Un document médical (qui évoque une personne de sexe féminin âgée d’une vingtaine d’années) l’a fait même douter du fait qu’il s’agissait bien de ceux de sa fille.
Pour ces cas, « je ne vois pas d’autres solutions que de faire des analyses ADN pour restituer ces organes aux familles », a déclaré François Molins, précisant qu’il s’exprimait en son nom, déclenchant quelques applaudissements dans la salle d’audience.
L’audience se poursuivra lundi après-midi avec les témoignages de l’ancien chef de l’État François Hollande et son ministre de l’Intérieur de l’époque Bernard Cazeneuve.
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