Avant les réquisitions du parquet de Paris, l’avocat de l’État, seul parti civil au procès du RN, a réclamé mercredi 11,6 millions d’euros de dommages et intérêts au parti frontiste et à ses co-prévenus dans l’affaire des kits de campagne des législatives de 2012.
« Surfacturations, « prêts fictifs », micro-parti « coquille vide » cachant une « apparence d’activité bancaire »: l’avocat de l’État, Me Bernard Grelon, a égrené les « manœuvres » du FN, devenu Rassemblement national en 2018, pour « détourner les règles électorales » et obtenir un remboursement indu des dépenses de campagne de ses candidats.
Pour ses finances déjà fragiles, le parti populiste a plus à craindre de ces dommages et intérêts que de l’amende dont le montant maximum, en cas de condamnation, ne dépasserait pas quelques centaines de milliers d’euros.
Le parti comparaît depuis le 6 novembre devant le tribunal correctionnel de Paris, pour « complicité d’escroqueries et de tentatives d’escroqueries » et « recel d’abus de biens sociaux ».
L’audience se poursuit mercredi après-midi avec les réquisitions du parquet sur la répartition des responsabilités et les éventuelles peines que méritent chacun des protagonistes jugés, selon les cas, pour escroquerie, abus de biens sociaux et de confiance, recels ou blanchiment.
Outre le parti frontiste, deux autres personnes morales – la société de communication Riwal et le micro-parti Jeanne – et sept protagonistes – dont le trésorier du parti Wallerand de Saint Just et l’eurodéputé Jean-François Jalkh – sont sur le banc des prévenus.
Tous sont liés au personnage central de l’affaire, Frédéric Chatillon, patron de Riwal et ancien président du Gud, le syndicat étudiant d’extrême-droite, dans les années 90.
L’avocat de l’État réclame en plus contre lui 1,8 millions d’euros de dommages et intérêts pour des dépenses remboursées de la présidentielle 2012.
Ce proche conseiller de Marine Le Pen est soupçonné de s’être enrichi frauduleusement, ainsi que son entourage, grâce à d’astucieux montages dans les cuisines de la communication électorale du parti.
Au cœur du dossier, les « kits » de campagne des législatives de 2012: composés de tracts, d’affiches, d’un site internet et de prestations comptable, ils étaient vendus 16.650 euros aux candidats par Jeanne, le micro-parti de Marine Le Pen, et fournis par Riwal.
Le tribunal devra dire si ce système cachait des prestations « très largement surévaluées », destinées à gruger l’Etat, qui rembourse les dépenses des candidats dépassant 5% des voix.
Jeanne prêtait en effet le montant du kit, et les intérêts, aux candidats qui lui rendaient immédiatement l’argent en achetant le matériel. Cet « aller-retour comptable » permettait à Jeanne, quasi dénué de fonds propres, d’avancer presque 9 millions d’euros. Le micro-parti attendait ensuite le remboursement de l’État pour obtenir de quoi payer Riwal, son unique intermédiaire auprès des imprimeurs.
Se succédant à la barre, les prévenus, dont le comptable Nicolas Crochet et deux autres anciens du Gud, l’élu francilien Axel Loustau et Olivier Duguet, ont défendu en bloc la légalité du système, faisant valoir que la Commission des comptes de campagne (CNCCFP) avait approuvé les comptes des candidats. Même si elle avait refusé de rembourser une partie des intérêts des prêts, jugés fictifs.
Ce sont d’ailleurs les doutes de cette commission qui ont déclenché la première enquête judiciaire en avril 2013.
Au tribunal, le trésorier Wallerand de Saint Just a justifié un « mécanisme opérationnel et financier » ayant sauvé un parti criblé de dettes après « la catastrophe politique et financière » des élections de 2007.
Les explications sont devenues plus confuses quand a été abordée la question de l’abus des biens sociaux de Riwal commis en faveur du FN ou au profit personnel des prévenus.
Le parti se voit reprocher d’avoir obtenu de Riwal des avantages indus, dont un crédit-fournisseur suspect de quelque 950.000 euros. Le FN est aussi soupçonné d’avoir facturé frauduleusement à Riwal 412.000 euros d’impressions « surévaluées » pour la présidentielle de 2012.
Le tribunal s’est aussi longuement penché sur le train de vie de M. Chatillon, 51 ans, et de son actuelle compagne Sighild Blanc, absente mais représentée par son avocat.
Via différents procédés suspects, leurs dépenses luxueuses étaient financées sur les bénéfices juteux engrangés par Riwal dans sa collaboration avec le FN. Mais l’entrepreneur a contesté tout détournement, assurant avoir chaque fois régularisé les comptes en fin d’année.
Enfin, le parquet doit aussi requérir dans un ultime volet sur les kits utilisés cette fois-ci lors des municipales 2014 ainsi que des départementales et régionales de 2015. Seuls Frédéric Chatillon, Jean-François Jalkh et Jeanne sont ici concernés.
Les avocats de la défense plaideront jeudi et vendredi. Le jugement devrait être mis en délibéré à début 2020.
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