Le projet d’Elon Musk d’offrir un accès Internet abordable à l’Afrique se heurte à des obstacles politiques et à l’appât du gain

ANALYSE

Par Darren Taylor
30 avril 2023 15:48 Mis à jour: 1 mai 2023 15:26

JOHANNESBURG, Afrique du Sud – La promesse d’Elon Musk de fournir un service internet moins cher, plus rapide et plus fiable en Afrique s’avère très difficile à tenir, même pour quelqu’un d’aussi infatigable que lui.

Le magnat des affaires et super-investisseur est le fondateur et l’ingénieur en chef de SpaceX, le PDG de Tesla et le propriétaire de Twitter. Toutefois, il peine à faire décoller son service révolutionnaire Starlink en Afrique, son continent d’origine, se heurtant à un réseau complexe de bureaucratie, d’avidité et d’incompétence.

Le plus récent pays africain ayant tenté d’empêcher le fameux entrepreneur américain de lancer son service d’internet par satellite est l’Afrique du Sud, où Elon Musk est né et a grandi.

Starlink, la « constellation internet par satellite » exploitée par SpaceX, offre un service d’accès à internet depuis 2019, actuellement disponibles dans 53 pays, selon le site web de l’entreprise.

Toutefois, seuls deux des 54 pays d’Afrique – le Nigéria et le Rwanda – ont autorisé Starlink à accéder à leurs marchés locaux. Le continent demeure dans l’ombre lorsqu’il s’agit d’accès à l’internet pour la grande majorité de ses 1,4 milliard d’habitants.

Starlink utilise des satellites en orbite autour de la terre à une hauteur relativement basse pour fournir une connectivité internet qui, selon Elon Musk, est la plus rapide et la moins chère du marché.

Elon Musk, fondateur de SpaceX et PDG de Tesla, s’exprime sur un écran lors du Mobile World Congress (MWC) à Barcelone, en Espagne, le 29 juin 2021. (JOSEP LAGO/AFP via Getty Images)

Arthur Goldstuck, fondateur du groupe technologique sud-africain World Wide Worx, a déclaré à Epoch Times que Starlink était à l’avant-garde d’une « révolution » dans l’utilisation de l’internet au niveau mondial.

« L’exemple le plus frappant est celui de l’Ukraine, où l’accès à l’internet a pu se poursuivre sans interruption, en partie parce que Musk lui-même a expédié un grand nombre de récepteurs en Ukraine. Cela dit, il s’attendait ensuite à ce que le gouvernement américain le paie pour ces récepteurs. Il ne fait donc rien sans en retirer quelque chose pour lui-même. »

Les marchés africains des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) sont largement dominés par les entreprises de télécommunications, notamment le groupe sud-africain MTN et Vodacom.

MTN est le plus important en Afrique, avec près de 300 millions d’abonnés, tandis que Vodacom en aurait 125 millions.

« Les sociétés africaines de téléphonie mobile et les fournisseurs d’accès Internet imposent les prix les plus élevés du monde pour les données mobiles, en s’attendant à ce que les populations les plus pauvres du monde paient ces prix », a déclaré à Epoch Times David Kilanji, expert indépendant en technologie, basé à Nairobi, au Kenya.

« Les gouvernements africains considèrent le boom des télécommunications et l’immense demande de connectivité comme une importante vache à lait. Ils taxent donc lourdement l’industrie des télécommunications et les services et biens connexes. En outre, les infrastructures sont généralement inexistantes ou de mauvaise qualité en Afrique, ce qui fait encore grimper les coûts. »

(Joe Raedle/Getty Images)

Selon un rapport publié en août 2022 par le service mondial de statistiques Statista, les données mobiles dans les pays d’Afrique subsaharienne sont parmi les plus chères au monde, un gigaoctet (Go) coûtant en moyenne près de 4,04 euros.

Selon une étude menée en juillet 2022 par l’entreprise technologique Cable, basée au Royaume-Uni, et publiée dans Mobile Magazine, six des dix pays où les données sont les plus chères se trouvent en Afrique subsaharienne.

La Guinée équatoriale est le pays où les données sont les plus chères au monde, selon l’étude. Dans cette petite kleptocratie d’Afrique centrale, riche en minerais, 1 Go coûte près de 45 euros.

À Sainte-Hélène, au large de la côte sud-ouest de l’Afrique, 1 Go coûte près de 36 euros, et à São Tomé-et-Príncipe il en coûte 28 euros. Tous deux ont l’excuse d’être des îles éloignées… Ce n’est pas le cas du Malawi, où 1 Go coûte près de 23 euros, du Tchad, où il en coûte près de 22 euros, et de la Namibie, environ 20 euros.

Le coût des données est « exorbitant » dans toute l’Afrique, a déclaré M. Goldstuck, où 1 Go coûte généralement plus de 9 euros.

« Comment l’Afrique peut-elle se développer dans ce contexte ? », a demandé M. Kilanji. « Une fois de plus, les grandes entreprises et les hommes politiques collaborent pour tuer notre continent. Ils ont la langue fourchue, affirmant faire tout ce qu’ils peuvent, en termes d’investissement, pour nous sortir de la pauvreté, mais, en même temps, s’associent pour qu’il n’y ait pas ou peu de concurrence sur les marchés nationaux de la téléphonie mobile. »

Selon lui, de nombreux gouvernements africains « s’efforcent à tout prix » d’empêcher leurs populations d’accéder à l’internet.

« Il est dans leur intérêt de maintenir leur population dans l’obscurité, littéralement », a déclaré M. Kilanji. « L’internet apporte la connaissance et la connaissance est une chose dangereuse. De nombreux régimes craignent que si le peuple connaît la vérité à leur sujet, il y aura des coups d’État et des révolutions à gauche, à droite et au centre. Je dirais que c’est une préoccupation légitime, n’est-ce pas ? »

Selon lui, l’accès potentiel de Starlink aux marchés africains va bien au-delà de la volonté d’une entreprise internationale de vendre des données sur un marché inexploité.

« Nous parlons ici de politique et de pouvoir. Les élites africaines perdront des milliards de dollars si Elon Musk est autorisé à entrer », a déclaré M. Kilanji.

Arthur Goldstuck ajoute que Starlink briserait le « monopole des données actuellement détenu par un nombre relativement restreint de géants de la téléphonie mobile ». Ce monopole leur permet de « facturer ce qu’ils veulent, en l’absence de réglementation de la concurrence » en Afrique.

L’abonnement mensuel de base de Starlink coûte 99 euros et permet aux utilisateurs de télécharger 1000 Go de données, ce qui signifie qu’un Go coûterait aux Africains moins de 45 centimes.

L’Afrique du Sud est l’un des pays d’Afrique où les données sont le moins cher, 1 Go coûtant environ 1,8 euro.

Or, même le gouvernement sud-africain s’oppose à l’entrée de Starlink dans cette deuxième économie la plus importante et la plus technologiquement avancée d’Afrique.

« Ce serait l’un des marchés les plus lucratifs pour Starlink dans le monde en développement. Toutefois, jusqu’à présent, le gouvernement ne lui a pas accordé les autorisations nécessaires pour opérer ici », a expliqué M. Goldstuck.

Début mars, le président Cyril Ramaphosa a nommé Mondli Gungubele, haut responsable du Congrès national africain (ANC), au poste de ministre des Communications et des Technologies numériques.

Le président sud-africain Cyril Ramaphosa s’adresse aux délégués du Congrès national africain (ANC) au National Recreation Center de Johannesburg, le 29 juillet 2022, lors de la première journée de la Conférence politique nationale du parti. (Phill Magakoe/AFP via Getty Images)

M. Ramaphosa a déclaré que Mondli Gungubele dirigerait la « transformation numérique » de l’Afrique du Sud.

Toutefois, le ministre a déclaré à Epoch Times  « ne pas être au courant de la question de Starlink ».

« J’en ai entendu parler dans certains journaux », a-t-il déclaré. « Ce n’est pas un dossier qui est sur ma table en ce moment, donc en tant que nouveau ministre, je ne peux pas faire de commentaires sur Starlink. »

Mondli Gungubele a répondu de manière relativement détaillée au parti d’opposition, l’Alliance démocratique (AD), qui lui a récemment écrit pour lui demander pourquoi Starlink n’opérait pas en Afrique du Sud.

Il a expliqué à l’AD que les succursales locales de multinationales, telles que celles de Musk, doivent, en vertu de la loi, être détenues à 30% par des « personnes issues de groupes historiquement défavorisés », et que Starlink n’avait pas accepté cette règle.

Les enjeux liés à l’émancipation économique des Noirs sont souvent attribués à des responsables du parti au pouvoir ou à des personnes proches de celui-ci.

Nous savons tous ce qui se passe dans ce pays lorsque nous entendons les mots « historiquement désavantagés » », a déclaré M. Goldstuck. « Cela signifie que les grandes entreprises donnent près d’un tiers d’elles-mêmes à l’ANC. »

Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que Musk refuse de céder une « grande partie » de ses futurs bénéfices sud-africains à des « personnes inconnues ».

Dianne Kohler Barnard, porte-parole de l’AD pour les télécommunications, a déclaré à Epoch Times qu’il était « ridicule » d’attendre d’une entreprise internationale multimilliardaire qu’elle cède au moins 30% de son capital au gouvernement de l’ANC.

« La réponse du ministre Gungubele indique que l’ANC n’a pas l’intention de mettre l’internet à la disposition de la population en Afrique du Sud. Des millions de personnes continueront donc à vivre sans accès à la technologie, à moins qu’elle ne soit fournie par un cadre de l’ANC », déclare-t-elle.

Selon M. Goldstuck, l’Afrique du Sud est « loin d’être le seul gouvernement africain à chercher à bloquer » Starlink.

« La Tanzanie, par exemple, exige que Starlink établisse une sorte de siège pour l’Afrique de l’Est dans le pays. Pourquoi une société qui opère depuis le ciel par satellite et qui dispose d’un imposant siège social aux États-Unis devrait-elle s’installer au sol à des milliers de kilomètres de là ? »

« Ainsi, plusieurs pays africains trouvent des moyens bureaucratiques pour empêcher l’arrivée d’une concurrence supplémentaire, pour empêcher l’accès universel. Les gouvernements africains parlent de l’accès universel à l’internet, mais ils ne donnent pas suite à ce discours. C’est parce qu’ils ont pour priorité leurs propres intérêts égoïstes, et non ceux de leur peuple ».

Tant que cette attitude ne changera pas, a déclaré M. Goldstuck, des millions d’Africains n’auront pas accès à ce qui est sans doute l’outil le plus essentiel au progrès dans le monde moderne.

« C’est nous, par le biais des dirigeants ineptes, ignorants et égoïstes que nous élisons et qui nous sont imposés, qui sommes responsables de l’échec du développement en Afrique. Nous ne devrions pas blâmer les autres. »

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